Jeudi 24 mai, vendredi 25. Retour à Théâtre en Mai, en équilibre entre politique et poétique. Blood’n’Guts, la malédiction du péno manqué par Didier Six à Séville en 82 est encore vivace ! Pour ces deux derniers jours de festival avant le final, c’est un triplé au-dessus de la lucarne.

Arnachy In The UK(raine)

Jeudi soir, 19h. C’est l’heure des retrouvailles avec les cocos du Théâtre Dakh. Après un passage marquant l’an dernier, les Ukrainiens font un trou dans leur répéts à Vidy-Lausanne pour venir jouer à Dijon leur version de King Lear. Grande classe ! Et cette relecture s’annonce prometteuse dans les mains d’un type comme Vlad Troïtskyi, ancien biznessman reconverti en apprenti comédien puis metteur en scène au sein d’une Ukraine dont on imagine le peu de cas qu’elle peut faire du théâtre quand on voit l’état de la cellule de Tymochenko ou du chantier de l’Euro 2012.

Et la galerie de gueules bizarres déroulées dans la première partie de son Roi Lear, prologue est à la hauteur : mort gaulée comme une femme de pêcheur ou une rombière d’Auteuil, anges déchus montés sur gravats, officiers orgiaques sur plateform-boots, malfrats cocaïnés sortis de chez Scorsese. C’est un joyeux bordel qui nous pousse vite à croire que nous sommes rendus dans la tronche même de Shakespeare. C’est du Kantor qui aurait bouffé une tartine de Benno Besson arrosée de Langhoff, cuvée précoce. Pas mal, indocile à souhait. La deuxième partie s’amorce, et tintin, pas de prologue mais un maigre résumé des mésaventures de Lear, le roi qui mise sur le mauvais cheval. Et là, les coutures se laissent voir très vite. Deux heures de spectacle et trois idées étirées au-delà du raisonnable plus tard, on sort comme on est venu, les poches vides. Impression de s’être fait avoir. C’est con, Gazza et moi, on avait envie de cette relecture comme on se souvenait avec un petit sourire culcul de cet EP sorti en 93, Pisni is The Smiths, où The Ukrainians, débarqués dans le métro français, reprenaient avec accordéon et mandoline la classe des britons new-wave. Avec ce deuxième round de l’alliance britanico-ukrainienne, on reste dans le tape-à-l’oeil séducteur.

Reste quand même les cinq dernières minutes où le commissaire Cabrol et l’inspecteur Troïtskyi déterre le cadavre du grand Will avec une putain de belle idée de bataille générale livrée à coups de bambous ralentis au niveau du Nô japonnais. Là, il y a la vraie valeur du pouvoir au théâtre, celle de faire gober, à qui voudra, le monde avec un bout de bois.

Pompidou Blues

Plus compliqué, le cas de Quartier Général, fresque intimiste (c’est possible?) et politique sur la jeunesse du jour et ses atermoiements quant à l’engagement, à l’espoir et au désir. C’est le Ring-Théâtre qui est à l’oeuvre sur le plateau de l’atheneum, vendredi. Les jeunes pousses ne font pas dans l’économie : texte original, équipe nombreuse. Chaque corps de métier est assumé par la même classe d’âge, c’est risqué et c’est bien joué. Et ça assume pas mal, même si la forme reste un peu dans le panneau des grandes déclarations de sortie d’école, la galerie tape dans le cliché sans s’y vautrer complètement. Le texte est alerte même s’il s’obstine un peu trop à prouver que le théâtre est une branche radicale de la littérature. Il gagnerait à redescendre de son piédestal pour revenir un peu dans le corps de ses interprètes, un peu trop dépassionnés, déréalisés. Plus emmerdant, la petite bande parle de la jeunesse du jour en ressuscitant les vieilles lunes : CNPF, actions de 68,  candidature de DSK aux présidentielles, nouvelle vague cinoche et autres coquetteries sixties. Du coup tout ça est un peu flou, carrément suranné, finalement plein d’efforts pour peu de fond actuel et percutant. Des jeunes qui jouent aux vieux. Marche pas trop. Leçon 1 : le revival rétro du rock garage n’est pas soluble dans la pensée théâtrale. Gazza est parti réécouter Bo Diddley en brûlant des cierges à Terry Venables pour le futur de Carteron.

Ich bin ein Wurlitzer

Gros morceau du jour, Le Peuple d’Icare. Trip communautaire et identitaire, cette histoire de fuite en avant dans l’imaginaire est assez familière pour qui a la chance d’avoir écouté les Bad Seeds quand ils étaient encore rustres. Direct, c’est Berlin, le mur, le béton et les jolies plages cimentées de RDA. Icare, « poulet tombé du ciel » débarque dans un no man’s land où rien ne dort, où ça dégueule du boyau et de la bière. L’Amérique (les indiens, Al Capone…) est convoquée comme une résistance et chacun essaie de tenir debout, que ce soit dans la forêt à chasser des loups en forme de biches, dans un tipi à oilpé, dans un bar de fortune à gueuler du punk ou dans une Trabant break. La vache, c’est surprenant cette histoire d’indiens allemands et campeurs du week-end, cette recherche d’un ailleurs où la communauté aurait sa chance. C’est presque émouvant. Presque parce que le texte de Dan Artus est pas super clair, tout occupé qu’il est à faire des volutes contempopo et ombilicales. La mise en scène nous aide guère plus avec ces indiens, silhouettes muettes et pas vraiment gaies. J’ai dû sauter des pages dans mes Yakari quand j’étais gosse. Soit tout est décousu et tape à côté, soit ça joue pour soi et nous laisse un peu couillon dans cette frontalité de monologues abscons. Pourtant le propos aurait pu être un vrai coup de gueule comme le théâtre allemand a su en produire. Pourtant les comédiens ont du corps, ce qui aurait pu venir nous chercher s’ils ne l’avaient pas livré à une hystérie facile.  Pourtant de très belles idées surnagent : la station-bière du décor est taillée comme une case de BD, le petit oratoire à souvenirs regarde crânement du côté de Boltanski et le boulot de lumière, vraiment nickel, ne faiblit jamais. Alors que veut donc nous dire Dan Artus avec ce crypto-brûlot pour proto-squatteurs ? Que la RDA, c’était pas tranquille tranquille ? Merci pour le scoop ! Un des personnages livre à Icare, notre guide, cette phrase apparemment clé : « tu es damné, tu es déchu. » « Oui, très déchu… » me souffle Dzwoneck égaré là, sur le même banc que moi.

 

– Badneighbour