Trois ans après Flashmob, Vitalic revient avec un nouvel album, Rave Age. Nous sommes allés le rencontrer courant septembre lors de sa résidence à la Vapeur, alors qu’il était en pleine préparation de son nouveau ‘VTLZR’ live. Sa vision de la techno en 2012, la prochaine configuration sur scène, la conception de l’album ou encore ses restos préférés à Dijon… le boss nous dit tout.

(Cet entretien est extrait du magazine trimestriel Sparse, disponible partout à Dijon et sur commande)

Comment as-tu travaillé sur ce nouveau disque ?
Je l’ai fait en un an environ, sachant que j’avais plein d’idées accumulées depuis un moment, pendant que je jouais en live. J’avais donc une image bien définie de ce que je voulais faire. Il est moins patchwork qu’Ok Cowboy, comme c’est souvent le cas pour les premiers albums. Quant à Flashmob, c’était un disque très posé et solaire, qui correspondait à une certaine époque. Avec Rave Age, j’ai voulu faire un album destiné à être joué sur scène. Je le trouve très homogène. Tout ce que j’ai appris sur la tournée de Flashmob, je l’ai utilisé pour cet album.

Les autres morceaux sont-ils à l’image du premier titre dévoilé, No More Sleep ? Pas forcément, car No More Sleep est particulièrement dur, au même titre que La Mort sur le dancefloor avec Sexy Sushi. Quand je parle d’homogénéité, ça se traduit dans les sons, pas forcément dans le tempo ou l’ambiance. On sent que la production ne s’est pas étalée sur 3 ans.

Il y a des voix sur tous les titres. C’est un changement majeur par rapport à avant, non ?
En effet, mais l’idée ce n’est pas de trouver un filon et de faire tout le temps la même chose. J’ai besoin d’être excité quand je rentre dans un projet. J’ai besoin de prendre de nouvelles directions, d’appréhender de nouvelles techniques. J’écoutais beaucoup de pop à une époque, et j’avais envie de réaliser un album à la fois rave et pop. Ça s’est fait naturellement en produisant.

Tu es toujours à fond sur MGMT ?
C’est vrai qu’à l’époque ça m’avait retourné. Je ne vais pas te citer tout ce que j’écoute parce que c’est très divers, mais il y a énormément de choses chantées. Même en techno, je trouve que les voix sont prédominantes aujourd’hui.

Qui a choisi de sortir en premier No More Sleep ?
C’est plutôt une idée de ma maison de disque, Pias Recordings. Je suis très content de ce morceau, et ce, même si les avis sont partagés. Je pense qu’il faut attendre de le jouer en live pour vraiment pouvoir le juger. Et puis, il n’est pas particulièrement représentatif de l’album. Quand j’ai sorti Flashmob on n’a pas arrêté de me demander où était passée « l’énergie Vitalic », beaucoup de monde le trouvait mou. Et quand je me suis mis à faire des morceaux plus soutenus, on m’a reproché d’avoir délaissé le côté poétique. En fait, à chaque fois que j’ai sorti un premier EP, il s’est fait laminer. Comme le son change, il y a souvent une partie des gens qui sont déçus. En sortant Ok Cowboy, j’ai perdu certains qui aimaient Poney EP, puis en sortant Flashmob, j’ai perdu des gens qui adoraient Ok Cowboy. Et ainsi de suite. Tant que je suis suivi par certains et que d’autres dans le même temps découvrent mes productions, ce n’est pas très important. Sinon je serais encore à faire du hardcore comme quand j’étais gamin, à l’époque de Dima.

 

« Je me souviens quand j’ai sorti Fanfares,
je me suis fait ramasser alors qu’aujourd’hui
on me le cite comme morceau de référence »

 

À propos des critiques sur ce premier single, du côté des journalistes c’est plutôt positif alors que l’accueil du public a été mitigé. Est-ce que c’est quelque chose qui te touche à l’approche de la sortie de l’album ?
Déjà j’ai l’impression qu’on a tendance à garder uniquement les critiques négatives plutôt que les autres. Pour No More Sleep, il y a eu les deux. Les critiques négatives venaient surtout du public français alors que les publics anglais, belges et espagnols ont apprécié le morceau. Sur le coup je m’y attendais, ça a toujours été le cas comme je le disais. Je me souviens quand j’ai sorti Fanfares –c’était mon premier single après Poney EP– qui annonçait Ok Cowboy, je me suis fait ramasser : « Mais qu’est-ce que c’est que cette merde ? » Alors qu’aujourd’hui on me le cite comme morceau de référence. Bien sur que ça me touche, évidemment j’aurais aimé que ce soit un accueil positif à 100%, mais ça n’existe pas. Je n’en ai jamais eu et puis ce n’est pas très grave. J’ai sorti des choses sur Ok Cowboy qui étaient vraiment très dures. Maintenant on me demande où est Dima, mais No More Sleep c’est du Dima avec de la disco. Alors oui, le son a changé, la production a changé car ce n’est plus le même équipement qu’à l’époque. Mais c’est très proche de ce que je faisais avant, avec des techniques très actuelles.

Tes fans sont basés où principalement ?
Il y en a un peu partout dans chaque pays (rires). Je crois que c’est en Espagne et en Belgique que j’ai le meilleur accueil. Sans oublier le Brésil et le Japon.

Du coup t’as l’impression qu’il y a une vraie culture club là- bas, et qu’en France finalement on est un peu des pecnos ?
Je ne sais pas, je ne pense pas. Peut-être que les Français sont « enfermés » dans le son français… C’est vrai qu’on a eu 5 ans de rayonnement, on entendait dire partout « le son français, le son français, le son français ». Puis le son italien est arrivé, et les Français ne s’en sont pas rendus compte. Je pense à Bloody Beetroots, Crookers, Cyberpunkers… Mais aussi Margot en électro un peu plus solaire et plus douce, ou bien encore Rebolledo au Mexique.

En fin de compte le fil conducteur, c’est toujours la disco ?
Oui. Ok Cowboy c’était de la disco avec du rock. Flashmob c’était de la disco à l’ancienne, un peu solaire. Et Rave Age c’est de la rave et de la disco.

Sur chaque album tu changes de matériel, c’est le cas là aussi ?
Exact, c’est ce que j’ai fait. J’ai notamment utilisé l’Ultranova de Novation, un synthé Dave Smith Instrument (le Mopho), Gaia de Roland, et tout un tas de software comme Tal Audio qui fait une très bonne émulation de Juno.

Tu vas jouer ce nouveau live en groupe, avec une personne à la batterie et une autre aux claviers. Comment s’est passée la conception ?
Je suis encore dans la phase où je fais la plus grosse partie des choses tout seul. Mais les musiciens auront forcément leur mot à dire, l’idée n’est pas juste de remplacer l’ordinateur par un être humain. Avec le batteur, on décide ensemble des sons de drums à utiliser. La semaine prochaine (l’interview a été réalisée mi-septembre, ndlr) on va se retrouver tous les trois ensemble et là j’attendrai d’eux qu’ils amènent aussi leurs idées, des choses auxquelles je n’aurais pas pensé. Aujourd’hui par exemple, le batteur m’a montré des choses assez sympas en empilant des sons de batterie. Au final j’ai hate d’être sur scène, avec le groupe, et d’avoir ce frisson…

Tu t’ennuyais seul sur scène ?
Non, mais c’est toujours cette envie d’évoluer. Avant je voyageais en petit groupe de 3-4. Ensuite avec la structure il a fallu plus de monde. Cette vie de groupe, j’ai trouvé ça super.

Tu rempiles avec 1024 Architecture pour l’installation et le design de ton nouveau live : VTLZR.
Oui, ils sont très bons et il y a l’aspect humain qui rentre en compte ici, puisqu’on s’entend très bien. Ils ont aussi décidé de ne plus faire de live de musique, mais continuent tout de même avec moi. Nous sommes très proches.

Tu peux nous donner quelques pistes sur ce que ça va donner ?
C’est une structure qui contient 40 Sharpy, des lights très nerveuses qui se resserrent pour faire un faisceau laser. Donc une quarantaine de faisceaux laser multicolors, qui réagissent très vite grâce à des moteurs ultra rapides et qui se réfléchissent sur les miroirs intégrés à la structure. Ça donne des effets de lumière vraiment incroyables, comme l’impression que la lumière se tord. Mais c’est compliqué à raconter, il faut le voir.

 

« Si un musicien fait ce que le public attend,
s’il ne va pas à contre-courant de ce qu’on veut de lui,
au bout d’un moment il meurt. Il faut savoir
prendre des risques, il faut savoir se prendre des pains »

 

Tu ne feras que du live, ou il y aura aussi des DJ sets ?
Les DJ sets, je les fais en fin de tournée. J’aime bien, une fois que je suis bien essoré du live. C’est agréable de venir avec un petit équipement tout léger et faire des clubs à droite à gauche.

Tu préfères jouer tes productions ou celles des autres ?
C’est le dilemme. Régulièrement il y a un petit flottement. Je reviens de Russie par exemple où le public voudrait que je ne joue que mes morceaux. Mais quand je viens pour un DJ set, c’est aussi pour faire découvrir d’autres choses. Donc au bout d’un moment, je commence à voir les panneaux, les téléphones et les gens qui me demandent : « Quand est-ce que tu nous joues ceci ou cela ? »

D’un autre côté, c’est vachement gratifiant, non ?
Oui, mais encore une fois si un musicien fait ce que le public attend, s’il ne va pas à contre-courant de ce qu’on veut de lui, au bout d’un moment il meurt. Il faut savoir prendre des risques, il faut savoir se prendre des pains, monter, descendre… Mais je peux comprendre tout ça. Moi aussi quand j’allais voir Daft Punk en DJ set ça me fatiguait de les entendre finir par All Night Long de Lionel Ritchie. À l’époque je trouvais ça pourri. Moi je voulais Rollin’ & Scratchin’. Sauf qu’eux voulaient faire passer au public une vibe à l’époque. C’est après que j’ai compris, en me disant qu’en fait All Night Long était un pur morceau. Et ils avaient raison. Je n’ai pas envie de faire ce qu’on attend de moi. Si ça peut faire plaisir, oui, mais je ne suis pas un jukebox. J’aime faire plaisir mais j’ai besoin aussi de me sentir avancer.

La techno en 2012, c’est quoi pour toi ?
La différence par rapport à il y a une dizaine d’années, c’est qu’il y a des technos. Autant dans la musique en général c’est le grand n’importe quoi et tout le monde écoute de tout, autant en électro c’est très cloisonné. Je le vois bien avec des amis qui écoutent cette house minimale, on ne leur fera pas manger du No More Sleep par exemple ou du Cyberpunkers. Et inversement. Ce n’est plus mélangé comme ça l’était avant ! En ce moment j’aime bien les grandes épopées, les morceaux très hypnotiques de dix minutes. J’adore Pachanga Boys, ou encore le morceau All That Matters de Kölsch, que j’ai dû écouter 200 fois hier avec des amis. Dans les choses qui tapent plus, j’aime les Bloody Beetroots. Je n’apprécie pas cette image de musique à kids, car sous prétexte qu’on est jeune on serait bête. Je n’aime pas cette séparation là, car au contraire il y a une vraie vision artistique. Je connais bien Bob Rifo (de Bloody Beetrots, ndlr), c’est quelqu’un qui s’y connaît beaucoup en bédé, en culture punk. Ces choses là ne sont pas faites au hasard, ce n’est pas juste de la musique pour les mecs qui boivent.

Ton label, Citizen Records, c’est vraiment fini ?
La structure existe toujours mais on ne sort plus de disque. On a eu de beaux succès, comme Rebotini par exemple. Mais ça ne suffit pas pour payer plusieurs salaires, les charges, etc. C’était pas facile, on avait un son à nous quelque part mais c’était très large, ça allait du rock indé à des trucs très techno. C’est difficile de se faire une image dans ces cas là. Mais c’était le concept de départ, je ne l’ai pas abandonné en cours de route. Il fallait donc arrêter.

Le fait de résider à Dijon n’est pas un handicap pour bosser, rencontrer des gens ? Ça rajoute forcément deux heures de trajet en plus. J’aimerais avoir un aéroport à côté (rires). Mais j’habite toujours un peu ailleurs en même temps, à Lyon, Paris, Rome ou Barcelone…

 

« Mon rêve le plus fou ? J’aimerais aller faire
un tour en bateau entre Ibiza et Formentera
avec Giorgio Moroder, et puis passer l’après-midi
à manger des calamars et à discuter Minimoog 
»

 

Tu es allé au concert de rentrée ?
Pas cette année, mais en général j’y vais. C’est super !

Tu aimes sortir où à Dijon ?
Je vais toujours Chez Septime. Sinon j’aime bien Little Italy en ce moment, pour la mozzarella di bufala et leurs pizzas.

Que des sorties gastronomiques !
C’est vrai que je sors souvent pour déjeuner ou dîner. Sortir en club c’est difficile à Dijon, je ne vois pas trop comment… J’ai essayé de faire des soirées avec mon label et si tu ne programmes pas des grosses têtes d’affiche, c’est assez difficile de faire bouger les choses. Ici il n’y a pas cette notion, comme le Berghain à Berlin ou le Nitsa à Barcelone, où les gens sortent peu importe la tête d’affiche, simplement parce que c’est le ren- dez-vous hebdomadaire. C’est compliqué de faire ça à Dijon. Je ne vais pas faire mon vieux con mais à une époque entre l’An- fer et l’espace Grévin, il y avait entre 1000 et 3000 personnes qui sortaient chaque week-end. Maintenant c’est difficile de trainer 300 personnes dans un club.

Tu es passionné de bouffe, tu parlais même d’ouvrir un restaurant à une époque. J’aimerais, ouais.

C’est compatible avec ta carrière ? C’est fatiguant d’avoir un établissement comme ça.
Non mais je garde ça pour plus tard, quand je serai fatigué de tourner. C’est vraiment crevant de tourner. Par exemple je pars en Allemagne demain, je dois aller à Lyon à l’aéroport, prendre un premier vol pour Berlin, puis un deuxième pour Dresden, ensuite un run. Puis la même chose dans l’autre sens à 7h du matin. Sans compter l’attente avant de jouer, la musique qui tape… Je ne vais pas me plaindre car c’est un truc que je voulais depuis tout gamin. Il y a vraiment une fatigue physique qui s’installe, au delà des enjeux. Du coup je ne pense pas qu’un restaurant ça soit plus fatiguant que ça (rires).

Tu as fais des études de langues je crois.
D’anglais et d’économie, mais au fond j’ai toujours su que je voulais être Jean-Michel Jarre.

C’est lui ton idole ?
Ça l’était… avant que je le rencontre en vrai.

Parce que c’est un enfoiré ?
Pas de commentaire (rires), mais ce n’est plus mon idole.

Tu suis la politique ? Tu votes ?
Oui, ça m’intéresse. Je ne vais pas voter à toutes les élections, mais la plupart du temps quand je peux, je le fais.

Tu es satisfait du nouveau président ?
Disons qu’il n’y a pas eu assez de temps pour juger. Je sais que ça fait bien de dire « 100 jours au pouvoir… » mais il y a eu les vacances. On ne fait pas grand chose en 100 jours, moi même je fais pas grand chose musicalement parlant dans ce court laps de temps. J’aurais répondu la même chose si c’était l’autre candidat qui avait été élu.

Tu t’intéresses un peu à la « nouvelle scène » parisienne : Brodinski, Gesaffelstein, Mondkopf, tous ces mecs là ?
J’aime bien. Particulièrement Gesaffelstein, pour le côté lent…

À l’époque tu disais que tu avais un cercle d’amis limité dans le milieu, c’est toujours le cas ?
Oui, parce que pour être pote il faut partager des trucs. En tournée, soirée, on ne joue pas forcément à la même heure. Moi je joue beaucoup en festival et je suis souvent à la fin en tête d’affiche. Sans compter qu’avec notre tour bus, on est plutôt autonome. Sans faire mon solitaire, être à l’écart ça préserve aussi de pas mal de choses. Pas mal de DJ ou musiciens peuvent parfois s’enflammer un peu vite parce qu’on leur donne le ballon, et c’est aussi l’entourage qui file le melon. Pour toutes ces raisons, c’est salvateur d’être un peu à l’écart.

Quel est ton rêve le plus fou ?
J’aimerais aller faire un tour en bateau entre Ibiza et Formentera avec Giorgio Moroder, et puis passer l’après midi à manger des calamars et à discuter Minimoog. Entre bouffe et musique, c’est parfait. (rires)

On te verra à Dijon pour ce nouvel album ?
Je pense oui, certainement. Je ne sais pas si ça sera lors d’un concert de rentrée ou dans une salle, mais je vais sans doute jouer à Dijon.

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Propos recueillis par Sophie Brignoli.
Photos : Vincent Arbelet

Cet entretien est extrait du trimestriel Sparse, disponible partout à Dijon et sur commande.