Une fois par mois, la librairie Grangier nous file des bouquins pour qu’on les lise et qu’on vous dise ce qu’on en pense. Plutôt cool comme job. Cette fois on s’est fait Némésis, le dernier Philip Roth.

Philip Roth aura 80 ans en 2013 et il en a sa claque d’écrire des romans et de vivre ce qu’il appelle « la lutte pour écrire ». Il a annoncé après la sortie de Némésis qu’il n’écrirait plus de fiction, il a fait le tour de ce processus de frustration qui consiste à travailler comme un malade sur trois pages qui finissent à la corbeille, et ainsi de suite…

Némésis fait partie d’un cycle de quatre romans courts après Un homme, Indignation et Le Rabaissement : chaque partie de cet ensemble expose une vision de la mort et de l’idée de destin.

 Cette introduction comme pour excuser la faiblesse de son dernier opus qui, sans être totalement mauvais, n’est pas le roman magistral qu’on attendait

Némésis est le nom de la déesse grecque des foudres divines et de la vengeance, elle illustre bien la subordination des hommes à la volonté de Dieu, et c’est l’idée générale de ce roman. Le propos de fond est assez fataliste : les bonnes intentions des hommes ne sont rien contre les décisions de Dieu.

La maladie comme châtiment divin parait
une thématique riche qui peut donner
lieu à un roman qui marque ses lecteurs

Nous sommes à Newark, New Jersey, en 1944. Le quartier juif de Weequahic est marqué par la seconde Guerre mondiale qui ravage l’Europe, les jeunes hommes sont confrontés à leurs consciences et s’interrogent sur le fait de rejoindre les troupes et se battre aux côtés de leurs contemporains pendant cette période qui exacerbe les notions de fatalité et d’engagement. Bucky Cantor a 23 ans, il a un sens extrême du devoir et la force d’un combattant mais fait face au dilemme de sa génération ; il ne peut pas rejoindre les troupes en raison de sa mauvaise vue. Il est athlète et éducateur pour les enfants du quartier qui sont les premières victimes de l’épidémie de polio qui dévaste la communauté. Il ne peut pas se battre contre le fascisme et se trouve face à une situation sanitaire contre laquelle il est là encore totalement impuissant.

Roth avait tous les ingrédients d’une grande tragédie grecque : des hommes instrumentalisés par un destin de grande envergure, la puissance divine, le contexte dramatique tant au niveau mondial que dans le quartier juif de Newark, la maladie, l’épidémie… C’était l’occasion pour lui de passer en revue des sentiments humains complexes avec une profondeur inédite. Pourtant, même si l’intention est bien là, on regrette de ne pas trouver dans Némésis une œuvre totale qui questionne la condition humaine dans toutes ces dimensions.

La maladie comme châtiment divin parait une thématique riche qui peut donner lieu à un roman qui marque ses lecteurs. Si Némésis est un bon livre, il ne tient pas les promesses de grande tragédie inspirée par son titre. Ayant passé son enfance et son adolescence au cœur de la communauté juive de Newark, Roth apporte un soin particulier aux descriptions de la vie de quartier, la précision de ses souvenirs participe à la force du récit.

Avec Némésis, Philip Roth signe un roman universel très fort auquel il manque la virtuosité qui l’élèverait au rang indiscutable de chef-d’œuvre.

– Georges 

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Nemesis, de Philip Roth. Traduit de l’américain par Marie-Claire Pasquier, 224 pages.
Gallimard, 18,90 euros.

À retrouver dans les rayons de la librairie Grangier (14, rue du Château).

Les coups de coeur de Grangier :

 

Le tireur
Swarthout Glend, éditions Gallmeister.

1901. Les derniers jours de J.B. Books sont aussi ceux d’une certaine idée du grand Ouest américain. Se sachant condamné par un mal qui n’est pas à la hauteur de son existence sur le fil, le tueur se prépare une sortie à la mesure de sa réputation… Un western atypique et d’une grande intelligence, sombre, d’une précision clinique dans la douleur des corps et des sentiments.

 

 

 

Le gouverneur d’antipodia
Jean-Luc Coatalem

Un huis-clos sur une île perdue, deux hommes que l’isolement et les idées noires à ressasser vont lentement faire glisser dans la folie. La bonne entente et l’ordre des premiers jours se délitent, l’un souffre physiquement, l’autre moralement et l’on devine que la situation tend inexorablement vers le pire. La montée dramatique s’accompagne d’une description hallucinée de la nature pour donner corps à un roman intense, original et sombre.