Cette semaine, deux bédés fortement inspirées par la littérature. D’un côté Mark Twain, son Tom Sawyer, le fleuve et ses bateaux à aube. Et de l’autre, Fantômas, l’homme sans visage, Paris, sa police. Deux univers retranscrits dans deux styles très différents, mais un point commun : la fin du 19ème, début du 20ème siècle. Comme une espèce de marque de la modernité littéraire à travers le masque…

Dans Sailor Twain, un volumineux roman graphique de 400 pages, Mark Siegel nous emmène dans un voyage fantastique sur l’Hudson river, le long de New York, au 19ème. Ce livre fait un tas de va-et-vient entre de multiples références. Bon, Mark Twain, ok, mais aussi entre la France et l’Amérique.

Le rafiot sur lequel se passe l’histoire appartient à une espèce d’aristo français, bourgeois entrepreneur venu faire fortune sur la côte Est, tout en gardant ses manières de Français : dragueur, beau parleur et amateur de littérature. Mark Siegel, l’auteur de la BD, est un francophile. Il connait la France pour y avoir vécu, édite aux Etats-Unis Sfar, Trondheim et d’autres. Du coup il maitrise plutôt bien les univers et les références sans tomber dans la caricature grossière des Américains et de notre Français. En plus de donner ici où là des clincs d’œil à Mark Twain, le livre plonge dans l’univers et le mystère du livre, dans le mystère de la littérature, du rapport entre l’auteur et ses lecteurs…

L’histoire est celle du capitaine du Lorelei, le bateau à vapeur, qui trouve sur son pont une sirène blessée. Il la cache, la soigne et forcément, tombe amoureux d’elle. Amoureux mais pas envoûté par son chant, comme peut-être le proprio français du vapeur, et son frère étrangement disparu. À ça vous ajoutez l’histoire d’un écrivain masqué, responsable de best-sellers fantastiques, vaguement païens, anti-puritains, qui décide de dévoiler son identité sur le bateau, parce qu’il est rentré en contact épistolaire avec notre français au sujet justement « des chants des sirénes et des moyens de s’en désenvouter ».

Tout le long du bouquin, on se demande si notre capitaine se fera ensorceler par la sirène. Mais je ne vous dirai rien. L’histoire est très bien menée -sur 400 pages quand même- et le dessin noir et gris navigue joliment entre formes simplifiées pour les visages, comme des masques, et détails hyper réalistes. Des espèces de masques, sauf étrangement pour la sirène et le Français, qui n’est pas loin d’avoir les traits de Dominique de Villepin. Un bon gros livre romanesque, féérique et classieux.

Deuxième livre, La Colère de Fantômas, un revival en trois tomes. Et là c’est le premier qui vient de sortir : Les bois de justice. Bon, Fantômas est le fameux anti-héros sans visage ou aux 1000 visages, séduisant assassin, filou sans vergogne, inventé par Marcel Allain et Pierre Souvestre. Dans une présentation du livre, en introduction, on nous rappelle que de toute l’histoire de la littérature moderne, graphique ou non, il est le premier héros masqué avant tous les comics. Donc le père des super-héros est un super-vilain. Fantômas, tout le monde connait au moins les films avec Jean Marais et De Funès en commissaire Juve. Là, les auteurs Rocheleau et  Bocquet reprennent le vrai esprit de la série policière sortie à partir de 1910. Pas de blagounettes, de grimaces ou de pouic pouic De Funesssiens, mais les bas-fonds et la pègre parisienne. Alors y’a quand même un clin d’oeil, une référence aux films (il y a au moins 15 adaptations cinés depuis 1913) :  l’histoire commence dans un ciné lors d’une des toutes premières projections du cinématographe.

À la grande époque, les histoires de Fantômas étaient suivies par des milliers de personnes et les surréalistes, par exemple, trouveront dans cette figure une référence ultime. Là dans ce bouquin, Fantômas passe sous l’échafaud, tout le monde pense que c’est bon « il est mort », mais en fait non. Et il est pas content, il va se venger… C’est trop vite, dit mais c’est ça.

Graphiquement, c’est un espèce d’univers fauviste, plein de couleurs, chouette, sombre, violent et sanglant. C’est pas mal, mais il faudra attendre la sortie des deux prochains tomes pour savoir si ça valait le coup d’exhumer le cadre du père de tous les justiciers masqués.

– Martial Ratel 

La Colère de Fantômas tome 1, Les bois de justice, Bocquet et Rocheleau – Dargaud,  autour de 14 euros.
Sailor Twain ou La Sirène dans l’Hudson, Mark Siegel – Gallimard, 25 euros.

La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.