Je suis très, très, très content parce que le Grand Prix, la récompense la plus classe décernée dimanche dernier à Angoulême est allée à Willem, le dessinateur caricaturiste néerlandais. Joie. Parce que Willem est un des dessinateurs que j’apprécie le plus.

Alors je vais pas vous mentir, je connais principalement le Willem dessinateur de presse pour Charlie hebdo et pour Libé, mais à la lecture de l’organe de presse officiel de tous les journalistes -Wikipédia- je découvre qu’il a publié plus de 45 livres compilations de dessins de presse et BD confondues depuis 1971 ! Le dessin, le style de Willem pour ceux qui ne le remettraient pas, c’est un trait noir simple, dans la grande famille de la ligne claire.

Souvent, très souvent, il n’y a pas de décor ou alors simpliste. Ses caricatures sont mordantes et jouent énormément avec le côté mou, élastique de la peau, des visages de ses sujets ; c’est un peu les montres moles de Dali qui serviraient de base à ses caricatures. Une tendance encore associé au « mou » : ses personnages se mangent, s’entredévorent très souvent. Il joue énormément sur les anamorphoses, les effets d’optique. Pour Libé, il couvre tous les ans, le festival d’avignon et ce qui point dans ses dessins en plus de son amour pour le théâtre, c’est son amour des jeunes filles courtement vêtues en juillet, qu’il observe depuis les terrasses des cafés. Oui, il a un gros côté érotomane dans sa production.

De Willem, je connais un bouquin sorti en 97 chez Mille et une nuits, ça s’appelle Quais Baltiques. C’est un carnet de son voyage entre Rostock et Tallinn, moins de 10 ans après la chute du mur. Il visite cette partie du monde enclavée, coupée du monde par les soviétiques, et c’est drôle mais grave aussi. Il dépeint des habitants frappés par un antisémitisme archaïque, viscéral et un raciste de bon teint. Willem s’attache aussi aux  paysages industriels :  grandes grues de déchargement, cargos, tours de style soviétique…

Vous l’avez compris, au delà d’un album c’est bien toute la carrière du bonhomme, ses engagements anti-religieux, sociaux, son humour et son talent qui sont récompensés. Petit rappel : il a pointé le bout de ses crayons en France en 1968 en dessinant dans l’Enragé et Hara-Kiri.

Côté livre, c’est le tome 2 de Quay d’Orsay par Christophe Blain et Abel Lanzac qui a reçu le Fauve d’Or du meilleur album. Alors, je ne sais pas ce qu’il leur est arrivé mais à Angoulême, on ne compte pas comme ailleurs en France. Les dates, le calendrier n’a pas la même valeur qu’à Dijon par exemple. Cette bédé est sortie en… 2011. Décembre 2011, je sais, le Père Noël me l’avait apportée.  Et là on est en 2013, y’a un an de décalage !

Peu importe, cette bédé est bien et drôle. Même si à mon goût, ce tome 2 est moins fort que le premier. C’est l’histoire d’une plume du ministre des affaires étrangères à l’époque de Villepin. C’est extrêmement drôle, c’est aussi instructif et parfois un peu effrayant parce qu’on découvre le fonctionnement du ministère depuis l’intérieur, c’est vaguement journalistique du coup, mais ça frôle très souvent la poésie avec ce ministre Villepin-like, adepte de sentence philosophique et du management presque hystérique.

Le dessin de Blain, vif, toujours nerveux et léger est au diapason de la folie ou de la lenteur des personnages…. J’vous fais pas l’histoire parce que je vous en déjà parlé plusieurs fois ici.
 

Dans Entretiens avec Joann Sfar, on a l’impression de partager un peu de son talent, on côtoie une expression simple, claire, presque évidente tellement elle est bien donnée (…)


Un qui était en compét’ pour le Grand Prix, c’est Joann Sfar. Bon, il a pas eu le prix mais un bouquin retrace et explore déjà la longue et très riche carrière : Entretiens avec Joann Sfar. Ce livre fixe plusieurs rendez-vous, échanges, interviews thématiques entre cet auteur hyper productif, dessinateur, scénariste, réalisateur et Thierry Groensteen, un spécialiste, théoricien de bande dessinée, « conseiller scientifique » au musée d’Angoulême. Ce bouquin est tout à fait agréable, instructif. C’est un livre sans image avec des lettres, hein, accompagné quand même d’illustrations…

Sfar, en plus d’être un superbe auteur, est un esprit brillant. Ça on le savait mais le truc s’étale pendant 270 pages. On a l’impression de partager un peu de son talent, on côtoie une expression simple, claire, presque évidente tellement elle est bien donnée même si parfois on aborde du concept dur ou de la technique pure. C’est fluide, presque à l’ancienne aussi parfois lorsqu’il se réfère à ses « maîtres ». On rentre en partie dans son quotidien, sa manière de travailler, de démarrer une histoire, un dessin. Il donne un peu aussi à penser sur les contraintes, les obligations et les libertés que s’offre en France un individu issu d’une communauté juive de Nice, et comment et pourquoi il se revendique haut et fort anti-religieux. Il est évidemment questionné sur le cinéma : je rappelle qu’il a fait Le chat du rabbin en animé et Gainsbourg (vie héroïque). Et sur la littérature, lui qui se lance, en plus de ses 1000 autres projets, dans l’écriture de roman.

Il explique ses rapports de camaraderie avec Trondheim, Blain, Sapin, Guibert. Y’a des petites anecdotes ici et là, et dans les éléments bio très intéressants, on découvre que Baudouin, qu’il a rencontré à Nice quand il était jeune ado, lui a mis le pied à l’étrier, alors que les deux univers son super éloignés. Ça donne beaucoup de clefs de compréhension pour ses bédés, ses carnets… Y’a aussi quelques éléments de polémiques avec Menu par exemple au sujet de l’Association ou avec Angoulême.

C’est bon de partager ce temps de lecture avec cet esprit vif, drôle, enthousiaste, encyclopédique et parfois même agaçant. C’est un vrai régal. Essentiel, j’vous dis !

– Martial Ratel 

Entretiens avec Joann Sfar, Thierry Groensteen – Les Impressions Nouvelles, autour de 20 euros
Quai d’Orsay, tome 2 : Chroniques diplomatiques, Christophe Blain et Abel Lanzac – Dargaud, autour de 16 euros

La chronique bédé est un partenariat avec Radio Dijon Campus.