Arnaud Da Costa (ou ArnooO), photographe dijonnais travaillant entre autres avec La Vapeur, est un amoureux ultime de hip-hop. Il exposera ses photos shootées ça et là avec quelques grands noms, du crew IV My People aux Sages Poètes de la Rue, lors d’un salon des activistes hip-hop à Bobigny, samedi 23 février. Entretien.

C’est le rap ou la photo qui t’est apparu en premier ?
Le rap, forcément, que j’ai vraiment découvert à la fin des années 80. Pour restituer le contexte, j’étais un grand fan de Michael Jackson, qui reste mon pilier artistique. Et voir un artiste aussi complet, ça m’a amené à me renseigner sur les différentes disciplines qu’il pratiquait. Pour le chant je crois que c’était difficile à atteindre, mais la danse pouvait sembler à portée de main et de pieds, surtout que quelques années après l’arrivée du hip-hop, Michael remet la rue en avant dans Bad et The Way You Make Me Feel. À la fin des années 80, je rencontre deux danseurs à Chenôve, sans me douter que cette rencontre allait bouleverser ma vie. L’un d’eux, Anicet est en effet à l’époque l’un des activistes les plus complets : rap, danse, plus tard la production (à l’époque de l’Atari 1040 STE). J’en viens donc à danser sans réelle structure ni lieu d’accueil, comme tous les danseurs de cette génération, dans une ambiance teintée d’émulation et de partage. Plus tard, en 1996, le choses se font naturellement toujours à Chenôve, avec le noyau qui deviendra plus tard Figure 2 Style : Maxime, le frère d’Anicet est déjà plus qu’un ami et la jeune génération de l’époque a un tibia dans la porte. Pendant des années, je suis donc baigné dans ce courant, cette culture, avec des vrais puits de science à mes côtés ; et je sais que je leur dois beaucoup. Plus tard, avec l’avènement du net, je commence à apprécier quelques photos de concert et la façon qu’ont certains de retranscrire une ambiance et une énergie dans certains courants musicaux, mais reste photographiquement frustré pour les photos de rap. Loorent.com est l’un des sites que je consultais vers 2007/2008 en me disant que j’aimerais beaucoup faire ce qu’il fait. Et c’est en 2007 que j’achète un reflex : 400D de Canon en version « kit » pour type qui veut avoir un look de photographe. C’était parti pour la photo !

Le hip-hop français est un milieu simple à intégrer ou à apprivoiser ?
Malgré mon fort attachement à Michael Jackson, le mouvement hip-hop a toujours été à portée de ma vue, j’ai l’impression d’avoir alterné entre ces deux univers parfois complémentaires parfois opposés. Et je n’ai jamais lâché l’un pour l’autre, sauf peut-être en 2009 ou les hommages m’ont dégoutté de MJ. Finalement c’est peut-être indirectement ce qui m’a permis de me plonger plus dans le rap, rattraper un certain retard. Et avec mon background, je n’ai jamais eu à intégrer ou apprivoiser ce milieu. Je pense que j’en avais déjà une partie des us et coutumes. Que ce soit en battle de danse ou en concerts, je ne me suis jamais demandé ce que je faisais là, alors que ça m’est arrivé deux fois pour des types de musiques pour lesquels je ne dois pas avoir les clés pour en apprécier la subtilité. En ce qui concernent les rappeurs, ils sont à l’image des artistes d’autres familles musicales. Les têtes d’affiche ont un gros staff qui les bichonne et prends le temps de sélectionner les projets, les artistes moins exposés sont souvent plus difficiles à joindre pour le premier contact mais plus réactifs ensuite. Et il ne faut pas oublier que tu as beau écouter tel ou tel artiste depuis 20 ans et penser le connaitre par coeur à travers son oeuvre, tu restes un inconnu pour lui à la première rencontre. Si tu choisis l’option « j’aime ta musique, maintenant on se connait », avec le tact de l’acteur franco-russe des valseuses, tu pars mal. Le classique à ne pas faire : rapper à un artiste ses meilleurs couplets si tu es en comité restreint.

Parle-nous de tes sujets photographiés. Comment prépares-tu tes séances pour les portraits ?
De façon générale, j’essaye de garder le côté spontané (qui est l’appellation chic de « à l’arrache ») pour plusieurs raisons. Sans studio (j’ai 2 flashes et des boites à lumières), tu ne peux pas tout contrôler et tout préparer à l’avance. De plus, pour des artistes que tu ne connais pas, tu ne peux pas anticiper leur réaction ou leur implication dans la séance. Certains te laissent carte blanche pour que tu puisses vraiment avoir ce que tu recherches ou s’impliquent carrément de façon active dans la démarche, d’autres répondent positivement aux sessions, mais tu sens bien que c’est une faveur quand tu vois que le staff autour s’agite et te fais les gros yeux. Il y a cependant trois sessions que j’ai vraiment souhaité préparer à l’avance : la première concernait un hommage à un de mes titres préférés : Mes faiblesses et ma force d’Alcide H (Feuneu). Pour cette session, je rêvais de pouvoir illustrer la réponse qu’il a fait à Jean-Paul Sartre : « L’enfer c’est les autres mais sans ami t’es rien ». J’ai donc bataillé pour réussir à le contacter et on en a ensuite beaucoup discuté. Il s’agit vraiment d’une collaboration sur le diptyque qui en résulte, tout en gardant le côté spontané. Pour l’anecdote, on a utilisé en mannequin « main » tout ceux qui étaient sur place : son frère, ses potes et ma copine. La seconde session concernait un cliché concept que je voulais réaliser autour de IV My People. J’avais rencontré Audrey, une fan qui a un tatouage du label dans le dos, et je savais que Busta Flex, Kool Shen et Jeff Le Nerf jouaient pas loin de chez elle. J’avais donc la possibilité de représenter l’alpha et l’omega du label avec le tatouage en appui (Busta étant le premier artistes IV MY People et Jeff le dernier de facto). Durant les balances du Boomback festival, j’ai donc eu l’occasion de shooter ce cliché en trois minutes, avec un gros coup de main de Kool Shen qui a interrompu ses balances pour que Busta Flex puisse partir. Et la miracle du dieu de la spontanéité : le cliché retenu est le seul où un de mes flashes n’a pas fonctionné, donnant un effet plus sombre. Enfin, il m’est arrivé de préparer à l’avance ce que je ne voulais surtout pas. C’est le cas pour la photo avec Casey et B. James : avec un univers sombre comme l’est le leur, je voulais surtout ne pas entrer dans une logique qui amènerait une comparaison avec ce que fait Tcho qui retranscrit trop bien cette noirceur. J’avais donc à coeur d’avoir un rendu le plus lumineux possible.

La photo en concert-live, c’est complètement différent. Sans donner tes secrets les plus intimes, tu t’y prends comment ?
En photo en général, il y a une grande part de hasard : tu as beau visualiser une scène avec une idée précise, rendre tout ça est un exercice difficile. En photo d’événementiel, c’est encore plus le cas. Tu es tributaire des éclairagistes (chers « lighteux », sachez que je vous aime tous plus les uns que les autres), du positionnement initial (sauf en cas de crash barrière) et enfin finalement de l’artiste. Réussir une photo live, d’un point de vue technique, c’est combiner le hasard (par exemple les paupières fermées au déclenchement), la lumière, le positionnement de l’artiste (et de l’agencement de la scène). D’un point de vue émotionnel, c’est surtout réussir à rentrer dans la logique visuelle du groupe : certains ont un son qui me plait, mais je n’arrive pas à rentrer dans leur logique visuelle (et rien à voir avec le style de musique). Et chaque photographe développe un point de vue différent. De Didier Taberlet par exemple, j’ai appris une grande exigence sur les éléments perturbant l’esthétique du visage, par exemple une ombre de micro trop prononcée sur le menton.

Pour cette exposition, tu as du faire des choix difficiles ?
Oui forcément. Une expo, c’est un bébé et tu voudrais que tout soit le mieux possible, ou en tout cas le plus conforme à ce que tu souhaites défendre. Dans cette optique, quelques choix ont été principalement difficiles. Essayer d’avoir une agencement homogène au niveau des univers des artistes. Et je me suis rappelé deux choses qui m’ont permis d’invalider ce choix : je ne suis pas critique reconnu ni leader d’opinion rapologique, et surtout j’écoute pas mal de choses en rap français, aux antipodes les unes des autres, donc finalement le crossover n’est pas illogique par rapport à l’auditeur que je suis. Ensuite, intégrer à l’expo la photo dont je parlais concernant IV My People. Je n’étais pas satisfait du tout du rendu, mais le symbole primait. J’ai choisi de l’intégrer, et j’avoue que les avis extérieurs m’ont confirmé a posteriori que ce choix était judicieux. Le message était passé et certains ont même réussi à me convaincre du bienfondé esthétique ! Comme quoi les profs de français et experts culturels n’ont pas toujours tort quand ils imaginent des choses que l’auteur n’aurait jamais pensé exprimer. Enfin, choisir de ne pas intégrer à l’expo une photo d’un groupe au parcours discographique inattaquable : pour une fois, les photos ont été faites après leur concert et dans des conditions ne mettant pas du tout en valeur les artistes. Du coup, poubelle.

Que penses-tu de l’évolution du rap français depuis l’âge d’or du début des années 90 ? On le dira ni à la Fouine ni à Booba, promis.
L’environnement du rap (et du hip-hop aussi en général) a changé. À la fin des 80’s, quand mon pote Max me faisait écouter une nouvelle cassette de l’émission de DJ Dee Nasty sur Radio Nova, c’était un événement, comme le peu d’albums qui sortaient et que forcément on décortiquait comme des affamés. Il y avait beaucoup moins de facilité pour accéder à la musique et pour en produire (aujourd’hui en bidouillant un peu, tu peux baisser une partie -pas tous- des coûts de production d’un album). Aujourd’hui, c’est relativement facile de réaliser un disque, un peu plus dur à distribuer physiquement, mais assez facile à promouvoir, notamment avec les réseaux sociaux. Et les fanzines étaient difficiles à trouver en province, ne serait-ce qu’avoir l’info qu’ils existaient. Ça c’est pour l’environnement. Pour le rap en lui-même, beaucoup de pistes et directions ont été explorées, la langue française a été ainsi pas mal triturée, entre le fond et la forme, les métaphores et assonances, etc. L’arrivée du rap français a permis un bouillonnement linguistique qui me semble assez intéressant, mais nos générations actuelles n’ont surement pas assez de recul pour le mesurer. De la même façon que la culture hip-hop a influencé la mode, je pense que le rap français influencera notre langue, n’en déplaise aux conservateurs attachés au « français à l’ancienne » qui ont oublié que la langue a évolué depuis 2000 ans (et même depuis 100 ans). Mais le rap n’a pas évolué sur un point : il reste multiple. En 1992, au lycée on écoutait MC Solaar pour faire les lovers devant les filles, mais à la maison c’était la virulence de NTM qui résonnait : au début des 90’s, on avait déjà compris depuis longtemps que le rap était multifacette. D’ailleurs, c’est l’une de ses richesses et je reste défenseur de l’intégrité du MC par opposition aux trips hardcore : pour moi le MC qui n’est pas hardcore est tout aussi légitime qu’un autre tant que chacun ne s’invente pas la vie dont il rêve. D’ailleurs, en tant que quasi-quadra, j’ai plus un faible pour les écritures matures que pour les délires de violences, soirées, voiturées botoxées et filles tubées.

Tu travailles d’autres univers photographiques que le rap ?
Oui, à part le rap, j’aimerais faire quelque chose sur la (les) danse(s) hip-hop. Ça sera surement beaucoup plus personnel que « Regards sur le rap français », pour l’instant je shoote en battle et autres événements depuis 2010, avec une accélération depuis quelques mois, et je garde sous le coude ce qui pourrait servir à un futur projet.

Un dernier mot avant de partir ?
Pull up !

 

– Propos recueillis par Emmanuel Pop
Crédit photo : Arnaud Da Costa (dans l’ordre : B.James & Casey, DJ James, Les Sages Poètes de la Rue, DJ Naughty J, Al)

« Regards sur le rap français : un ’16 mesures’ photographique sur le rap français« 
Canal 93 – Bobigny, samedi 23 février, entrée gratuite