Prise de cirq’ est le plus gros événement de cirque actuel de la région. Porté par l’association Cirq’ônflex, il vise à « explorer toute la richesse de la création du cirque contemporain et convier un large public autour d’un panorama exigeant et innovant ». Un chapiteau, des clowns, du jonglage… mais pas que. Loin de là, même. Bref, on a voulu savoir si ce truc était un peu ouaouache, ou carrément ouaouache. Éléments de réponse avec Natan Jannaud, coordinateur de la structure.

Prise de cirq

Tu peux nous raconter la genèse de Cirq’Ônflex ? J’ai créé l’association avec Anne-Laure Léonard et d’autres étudiants de l’IUP Denis Diderot en 2007/2008. Au début elle n’avait pas forcément pour vocation d’être professionnelle, c’était un projet d’études, dans lequel les gens passionnés par le cirque se sont réunis pour créer un projet d’action culturelle. Petit à petit, on s’est dit pourquoi pas aller plus loin. Puis c’est devenu un festival, Prise de cirq’, qui était au départ beaucoup dans la rue Berbisey et un peu au Théâtre Mansart. Enfin sont arrivés les premiers emplois aidés, et à présent, le but c’est d’être une structure culturelle professionnelle, même si ce n’est pas facile.

Et toi, comment tu t’es retrouvé ici ? Je suis originaire de Haute-Marne, je fais partie de cette diaspora. (rires) Je suis venu à Dijon pour mes études.

T’es sensible à la chose culturelle depuis tout petit ? Non, la culture -comme aller au théâtre, par exemple- j’y suis arrivé sur le tard. C’est par la musique que j’ai commencé, car c’est ce qui était le plus facile d’accès.

Et le cirque ? C’est un art un peu « charnière ». J’ai fait mes premières armes dans le secteur de l’éducation populaire, j’ai été animateur puis directeur de colo et c’est là que j’ai découvert le cirque, organisé des festivals en tant que bénévole également… Ce petit monde de l’associatif et de l’éducation populaire, c’est ce qui m’a amené au cirque et le cirque m’a amené à m’intéresser à plein d’autres choses, au théâtre, à la danse. C’est vrai que je n’ai pas le profil type du cultureux qui baigne dans ce milieu depuis tout petit. Quand on me demande si je bosse dans la culture, je dis que non, que je bosse dans le cirque et que ce n’est pas vraiment la culture. (rires)

Prise de cirq’ se présente comme un festival autour du cirque actuel, contemporain. C’est important ces qualificatifs ? Oui, pour les gens tout ceci est encore très confus je pense. Si on parle simplement de cirque, 75% des gens vont penser au cirque traditionnel, avec les animaux. On le voit bien quand on monte le chapiteau, les gens viennent nous voir et nous demandent où sont les animaux. On a quand même une base historique qui est le cirque traditionnel, avec des disciplines artistiques et surtout des techniques comme le trapèze, le jonglage, toutes ces choses là. Le chapiteau, c’est aussi quelque chose qui est resté. Mais j’identifie quand même le cirque contemporain plus proche du théâtre ou de la danse.

Vous allez plus loin en fait. Carrément, ça a même déplacé le propos. Le cirque était seulement un art de la démonstration, plus proche du sport. C’est à celui qui ira le plus vite, celui qui sera le plus fort, celui qui fera le plus de pirouettes en l’air.. ce côté vraiment « show ». Avec le cirque actuel, on cherche plus à amener du sens, créer quelque chose comme un groupe de musique peut le faire, ou une troupe de théâtre. On est vraiment sur un autre domaine, même s’il y a les mêmes techniques, et cet imaginaire qui reste aussi. Il y a beaucoup de clins d’œil à ces codes du cirque traditionnel, mais ce ne sont que des clins d’œil.

Soyons sérieux : le cirque, c’est quand même un bon gros truc de ouaouache, non ? (rires) Y’en a ! On accepte tout le monde, c’est un domaine qui peut être à la fois pour les intellos, les cultureux, où on fait du cirque contemporain très épuré, où on fait du jonglage sans balle par exemple. Et ça a aussi un autre côté, que je renie pas, plus identitaire on va dire. Où on se retrouve et on tape sur un djembé, même si ça c’était vrai il y a 15 ans. Un peu comme les skateurs se retrouvent. Je pense être passé par cette phase là, lorsqu’on se retrouve entre jongleurs. Alors oui, après, il y a les codes vestimentaires qui vont avec, les locks, les couleurs… (rires)

 

« On aimerait bien que le budget photocopieuse de certains nous permettent de faire vivre deux ou trois postes dans l’année. Plus qu’augmenter les budgets de la culture, j’attendrais du gouvernement actuel une meilleure répartition, vers les jeunes projets innovants »

 

C’est la 5ème édition du festival. Avec du recul, quel changement tu peux noter par rapport à vos débuts ? C’est vrai qu’on prend de la confiance sur le côté production et organisation de l’événement. Je pense aussi plus affirmer mes choix artistiques, savoir un peu ce que je veux mettre en valeur. Aussi, je pense qu’avec l’âge on comprend petit à petit tout ce jeu « institutionnallo-politique » qu’il y a dans la sphère culturelle, car on dépend énormément des subventions comme toutes les autres structures. Donc on voit aussi quelles sont les tendances actuelles. Pas qu’on s’adapte à ça, car sinon on ne serait pas dans le cirque, mais je pense qu’on a grandi en maturité à ce niveau, on a appris à travailler avec la ville de Dijon qui nous soutient de plus en plus.

Personnellement, comment tu te vois évoluer ? Pas forcément à vie à Cirq’Ônflex. Bon, d’ici là j’ai encore beaucoup de choses à faire à Dijon, on est sur un gros chantier. La Bourgogne est l’une des rares régions où il ne se passe quasiment rien au niveau du cirque. Pourquoi ? Je ne sais pas exactement, en tout cas il y a des choses à faire.

T’es sur que tu ne sais pas ? (rires) Disons que ce sont des choix qui dépendent des personnes. Quand on est plus sur des notions de culture avec un grand C, on va construire un auditorium et peut-être pas forcément s’engager sur du cirque car « le cirque ça ne fait pas sérieux ».

C’est toujours drôle un spectacle de cirque ? Non, ça peut être très intellectuel voire très chiant. Dans le répertoire des arts du cirque, l’humour a une part très importante, ça fait partie de son histoire aussi. Dans la programmation de Prise de cirq’, il y aura des choses pas drôles du tout, comme par exemple avec la compagnie Fet A Mà. Ou le samedi soir, avec la compagnie 220 Vols, un spectacle qui s’appelle Larsen : c’est une écriture à la fois très musicale, on a l’impression que c’est un concert et en même temps c’est un spectacle. On est toujours sur cet entre-deux.

Cette année dans le festival, il y aura aussi un moment plus « pro » avec un débat – rencontre. Vous avez d’ailleurs réalisé une étude sur les compagnies de cirque, vous bossez avec la DRAC. Ça vous apporte quoi ? Je ne conçois pas le développement d’un projet culturel sans un travail de fond, de structuration du secteur, de réflexion aussi, ça commence par là, fédérer les forces vives qui ne se voient pas. Ça nous apporte pas grand chose si ce n’est une reconnaissance institutionnelle notamment avec l’étude des compagnies de cirque, ça permet de montrer qu’on connait vraiment bien notre sujet.

L’étude, c’était une demande de la DRAC ? Avec Cirq’Ônflex on faisait déjà des états des lieux du cirque en Bourgogne. La DRAC et l’agence régional qui travaille avec elle (Liaisons Arts Bourgogne) ont voulu qu’on aille plus loin et qu’on en fasse une étude chiffrée, avec des graphiques, etc, afin de savoir comment se situent les compagnies économiquement. Le but, ensuite, c’est aussi de pouvoir être force de propositions, montrer qu’on a cette expertise, qu’on veut aller plus loin et proposer des projets qui ne sont pas sortis du chapeau juste comme ça. Le festival Prise de cirq’ représente 1/3 de notre temps de travail mais c’est vraiment notre vitrine, on montre qu’on est actif sur le terrain et qu’on n’est pas simplement là pour réfléchir. Contrairement à des institutions qui ne font que ça justement, ou encore à d’autres qui sortent des projets sans rien derrière. Je pense que pour une structure culturelle, il faut les deux.

L’avenir est sombre pour ces structures culturelles ? Ce n’est pas pour tout le monde pareil je pense, heureusement qu’on a de bons rapports avec la ville de Dijon qui nous soutient de plus en plus et qui trouve notre projet innovant. Mais avec les autres institutions, avant même le premier rendez-vous, on nous dit : « de toute façon on n’a pas de sous ». (rires) Après, la crise, c’est aussi une excuse. Il y a des choix qui sont faits. La plupart des gens la subissent, notamment dans les institutions qui ne peuvent pas faire grand chose. À mon sens c’est un choix politique. La culture peut faire peur aussi, les élus préfèrent sans doute construire dans le dur, dans quelque chose de symbolique alors qu’avec la culture ou les arts, ils ont du mal à concevoir les choses.

Tu t’attendais à du changement à ce niveau avec Hollande ? Un peu quand même, mais je n’avais pas non plus trop d’espoir. Ça reste une politique centriste, pragmatique. Je pense que certains élus de gauche ont compris ces enjeux. Tout ça, ce n’est pas que s’amuser, voir un spectacle et boire des bières, il y a aussi du fond. C’est sortir de son quotidien. Mais ce n’est pas gagné. Ce que j’aimerais déjà, c’est qu’il y ait une meilleure répartition des richesses dans le secteur culturel lui-même. Que les gros qui sont énormément dotés et qui gaspillent énormément en laissent un peu aux petits qui sont plus militants, plus présents sur le terrain. Je pense à plein d’associations à Dijon. On aimerait bien que le budget photocopieuse de certains nous permettent de faire vivre deux ou trois postes dans l’année. Plus qu’augmenter les budgets de la culture, j’attendrais du gouvernement actuel une meilleure répartition, vers les jeunes projets innovants.

Pour conclure, si tu avais un spectacle à conseiller aux lecteurs de Sparse ? Larsen de la compagnie 220 Vols parce qu’il y a ce mélange avec la musique, une ambiance bien rock, un bon spectacle, un peu noir. Et en plus on finit avec la boum des Suzettes donc c’est parfait !

 

– Propos recueillis par Pierre-Olivier Bobo
Crédit photo : Mano Manouch’

Prise de cirq’, du 23 au 28 avril à Dijon.
Temps fort sous chapiteau, jardin de l’Arquebuse.
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