Après deux gros mois de vacances, une reprise avec deux bédés. Une bonne et une mauvaise surprise…

album-cover-large-20426Pour aller vite, on démarre par la mauvaise. C’est triste, d’autant plus que ce livre nous est vendu avec un poil d’arrogance comme une histoire qui serait encore « plus poétique que le Petit Prince ». Rien que ça… faut oser. Ce livre est Saveur Coco, dessiné et scénarisé par Renaud Dillies. On nous survend aussi son auteur. Le type a été récompensé à Angoulême et il a été nominé je ne sais combien de fois au Eisner Award, un prix très classe aux États-Unis. Bref, après tous ces roulements de tambour on est en droit d’attendre quelque chose de fort.

C’est un beau gros livre de 80 pages. L’histoire d’une cigogne et un renard perdus dans un désert à la recherche d’eau. Voilà pour la trame. Perdus dans un univers loufoque et absurde, les deux rencontrent une autruche aux pattes courtes, un escargot géant et des poissons qui volent dans le ciel la nuit. C’est emprunt d’onirisme. Les dessins sont assez chouettes. Des traits fins, des personnages comme plombés, écrasés par la chaleur du désert.

La mise en page est très belle : de grandes pleine pages sont habillement découpées par des grandes formes, de grands aplats comme des tapis d’orient. Tout cela est très beau et très orignal mais le scénario n’a aucun intérêt. La quête des deux est vaine, pas d’eau sur leur chemin -on s’en doutait- mais des mirages et une noix de coco. « Tout ça pour ça », c’est mon sentiment à la fin de chaque mini-histoires qui composent le bouquin.

Les rencontres sont parfois assez jolies, graphiquement parlant, mais il ne se passe et ne se dit absolument rien d’intéressant, sous un verni parfois métaphysique qui se rêverait drôle et pataphysique. Prétentieux du marketing -ça, l’auteur n’y est pour rien à la narration. À moins… à moins que je n’ai rien compris et que tout soit du super second degré. Un beau bouquin à feuilleter mais pas à acheter.

Bagnards évadés, petites frappes et autres prisonniers politiques enfermés dans des cages

9782205068122FSAprès cette belle entrée en matière -j’aime pas taper sur les livres mais ‘faut pas non plus mentir au lecteur- la belle surprise avec Paco les mains rouges, tome 1 – La Grande Terre. Très beau bouquin, aussi gros que le précédent, 80 pages. Dessiné par Eric Sagot sur une histoire de Fabien Vehlman.

Vehlman est un scénariste assez coté pour les bédés grand public parce qu’il enchaîne depuis des années des histoires pour des gros vendeurs comme Spirou, Green Manor, Wondertown ou Seuls.

Passant un peu à côté de ces grosses productions, il m’avait régalé avec son Dieu qui pue dieu qui pète et quelques autres. Paco est à ranger dans cette catégorie des scénarios très personnels, des histoires pas forcément évidentes et difficiles à ranger dans une seule case.

Paco se situe à Cayenne, à la grande époque du bagne. Le perso principal est condamné pour meurtre. Échappant à la guillotine, il est expédié sur la Grande Terre où les conditions de (sur)vie des bagnards s’apparentaient à l’enfer. Il chope son surnom « les mains rouges » parce qu’après avoir subi un viol collectif par des co-détenus, il tranche la gorge en public de l’un d’eux.

Ce crime lui rallonge sa peine mais lui donne un statut au sein des taulards. Naviguant entre les bonnes œuvres et les combines des matons, il se fait sa petite vie presque au chaud. Jusqu’à ce qu’il tombe amoureux… d’un détenu. Celui-là même qui l’avait tatoué lors de son voyage pour la Guyane.

La réussite de ce Paco tient à l’absence de pathos. La vie des bagnards est décrite, expliquée, sans être enjolivée mais le perso central résiste à l’écrasement. La bédé semble tellement détaillée qu’on est en droit de se demander si on a à faire à une histoire vraie. Graphiquement, c’est beau, un noir et sépia qui évite les torrents d’hémoglobine et pose une distance sur cette histoire sombre pleine d’ellipses. Dessin relativement simple, tout en rondeur, beaux cadrages et jeux d’ombres d’Eric Sagot séduiront tous les yeux.

Une histoire qui sent bon le XIXème, début XXème siècle avec ses bagnards évadés, petites frappes ou autres prisonniers politiques enfermés dans des cages. Transformés en bêtes ou rendus encore plus forts. J’attends tout simplement la suite.

– Martial Ratel

Paco, les mains rouges, tome 1, La Grande Terre – Dargaud, autour de 15 euros.
Saveur coco, Renaud Dillies – Dargaud.

 

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