1980. L’avant-garde des nuits parisiennes façon Palace tient le haut du pavé. La gauche socialo prend bientôt le pouvoir et il n’y a pas que les radios qui se libèrent. La marge tient la norme en respect et l’intellect frenchie est en ébullition. Le chic côtoie les années fric, l’excentrique pique du nez dans la coke, l’art récupère une part de ses racines primitives après l’ouragan punk. Fardé, acéré et lettré comme un clown triste en opération commando dans une librairie, Guidoni apparaît sur les scènes de l’hexagone. Nocturne comme Nosferatu, vénéneux comme un phallus caché dans un banc de champignons, le chanteur chante. La nuit, les homos, les arabes et le petit monde revendiquant et militant. Poésie dégingandée pour les uns, honte un peu plate pour les autres, il est aussi le révélateur d’une France souterraine. Le TdB lui rend un hommage avec Tout Va Bien, où la tête enfin nue de Jamait est mise en scène par le taulier de la maison. Chez Sparse, on a fait semblant d’être un vieux du pavé et on a rencontré monsieur Jean Guidoni.

 Jean Guidoni

Benoît Lambert, le metteur en scène de Tout Va Bien, avoue vous devoir sa vocation. C’est après vous avoir vu en scène qu’il a décidé de devenir metteur en scène. Je me suis souvent aperçu que les gens de théâtre n’étaient pas insensibles à mes choix artistiques.

Considérez-vous vos concerts comme des performances scéniques ? Je ne me suis jamais senti acteur. Ce qui est théâtral, peut-être, c’est l’intensité des textes ou la mise en lumière. Je n’ai pas crée de personnage, disons que je me suis habillé, maquillé de façon à décaler la réalité, j’ai idéalisé très modestement mais avec dérision l’image que j’avais de ce que l’on nomme les interprètes.

On pourrait aisément imaginé le Guidoni chantant dans les années 80/85 sorti d’un film de Fassbinder. Vous êtes-vous reconnu dans cette revendication poétique et politique d’un droit à une existence non-normée, libre et urgente ? Oui, on pourrait bien sûr l’imaginer. Non seulement je me suis reconnu dans cette revendication poétique et politique mais je crois l’avoir assumée sur scène parce que c’était vital. L’urgence était de vivre, de dire, d’exprimer librement dans une forme propre à soi-même. Il n’était pas aussi improbable, dans ces années-là, de prévoir de quelles couleurs se parerait l’avenir. La force des textes était de nous placer moi et le public face à l’histoire du monde, face à l’histoire de notre pays et à nos propres combats. En fait nous avons défendu le droit à la fragilité, à la solitude et, sans prétention aucune, le droit d’être unique !

Parlez-nous du choc de la rencontre avec Pierre Philippe mais aussi avec l’univers de Fassbinder via Ingrid Caven. Tout d’abord Ingrid Caven… Un spectacle… Et à un moment de ma vie où je n’étais pas très heureux de ma « fonction » de chanteur… Voir quelqu’un qui m’ouvrait une autre voie, une autre voix ! Ingrid m’est apparue unique, cela m’a donné envie peut-être de l’être à mon tour, je me suis armé de tout mon courage et j’ai donc contacté l’adaptateur des textes de Fassbinder pour Caven : Pierre Philippe. La rencontre était évidente ! Nous avons beaucoup parlé, puis Pierre m’a envoyé trois textes : Je marche dans les villes, Chanson pour le cadavre Exquis et Tu mourras ce soir. Quant au rapprochement avec l’univers de Fassbinder je pense que la simplicité et la radicalité avec laquelle j’ai chanté certains thèmes comme l’homosexualité ou les amours tarifés y sont pour beaucoup !

On vous qualifie ici ou de chanteur underground. Peut-être est-ce à une époque, les 80’s, quasi-libertaire la création artistique et intellectuelle partait dans tous les sens et pouvait ne pas se soucier de sa rentabilité ? On se souciait quand même de la rentabilité, la différence était peut-être que les maisons de disque et les producteurs accordaient un peu plus de temps aux artistes pour s’installer ! Aujourd’hui c’est beaucoup plus rapide et la création artistique semble devoir choisir en amont sa cible. Underground pour certain sûrement mais l’envers des uns ne fait pas forcément l’endroit des autres…

Jean-Pierre Kalfon nous confiait récemment sa sensation de vivre depuis les années 80 un mouvement de fermeture des esprits et une progression rapide de la frilosité des artistes. Êtes-vous d’accord avec cette impression ? C’est un sentiment normal, immuable depuis la nuit des temps, il suffit de se pencher sur les biographies et autobiographies des artistes qui nous ont précédés. Les mêmes questions et les mêmes ressentis sont présents. Je crois qu’il faut simplement accepter une autre logique… Les références changent, l’écoute change et de nouvelles expressions s’imposent. Rien de plus normal. Je ne dis pas qu’il faille s’adapter à tout prix pour exister. Mais il faut suivre son chemin, même s’il est de traverse…

Était-ce une période plus propice à l’expérience ? Sans doute, mais au-delà de ça je crois que c’est la période de la jeunesse qui est propice à l’expérience, jeunesse d’esprit incluse bien évidemment…

Le romantisme nocturne traîne souvent dans vos chansons. C’est vrai et le romantisme peut être asexué ! Cette notion est pour moi primordiale. C’est au public de faire son choix.

Quel pourrait être votre lien à des artistes étrangers comme Bowie, Lou Reed ou encore Tom Waits, qui eux aussi portent au devant de leurs chansons le transformisme et les marginaux ? Le lien n’est en tout cas pas musical, sauf lorsqu’ils chantent du Kurt Weill. Je m’y retrouverais dans le choix des thèmes, mais de toute façon la chanson que l’on pratique dans notre pays est si différente qu’il est impossible de comparer. Nous sommes beaucoup plus attachés à notre langue qu’il n’y paraît.

– Badneighbour

Tout va bien (Jamait chante Guidoni), jusqu’à samedi au Parvis Saint-Jean