L’évolution du Tribu festival, le statut des intermittents du spectacle, la place de l’auditorium, les after à Dijon… Entretien sans langue de bois avec Fred Ménard, directeur de Zutique Productions et boss du festival qui entame vendredi prochain sa 15ème édition.

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À quelques jours du début du festival, il se passe quoi dans les bureaux de Zutique en ce moment ? Là, c’est surtout du calage technique en production pour les artistes, comme les transports par exemple. C’est aussi de la gestion sociale, les assurances, la billetterie, l’administratif et surtout sur la com’. Le reste est bouclé.

C’est la 15ème édition du Tribu. Est-ce que c’est symbolique pour vous ? On n’est pas trop dans ce trip de dire : « On va faire un truc spécial ». Certains font des anniversaires tous les 5 ans, voire tous les ans… Ça va, quoi. Par contre, on va se préparer pour les 20 ans de Zutique qui auront lieu dans 2 ans.

La prog’ musicale du festival cette année est plus électro-pop, non ? C’est vrai, mais on a déjà fait des choses dans cet esprit là à l’époque. Je me souviens de soirées Ninja Tune par exemple… Ce qu’on remarque aussi, c’est que les musiques du monde se frottent à d’autres choses. Au début des années 2000, il y avait beaucoup de connections entre le jazz et les musiques du monde. Les musiques se mélangent et au final on a pas mal de musiques du monde « électronisantes » comme Acid Arab ou Quantic. Sachant que ce n’est pas nouveau non plus…

C’est pour coller à l’évolution de la musique donc. Disons que Tribu, c’est un festival un peu « bâtard ». On fait du jazz et des musiques improvisées, on fait partie du réseau AJC (Association Jazzé Croisé), un des plus importants réseaux de jazz et de musiques improvisées en France. Et là dedans, nous, on est un peu à part car on fait aussi du hip-hop, des musiques du monde, même si je n’aime pas trop ce terme.

Pourquoi tu ne l’aimes pas ? Parce que… c’est quoi les musiques du monde ? Tu fais jouer un groupe de Chenôve… Bah, Chenôve est un autre monde. Ou un groupe de Finlande, c’est pareil. Quand t’es aux Etats-Unis, les groupes français sont des groupes de musiques du monde. Je trouve que globalement, on est plus dans les musiques urbaines, venant de toute la planète. Et c’est vrai qu’on peut aussi être dans les musiques traditionnelles. Quantic pour moi, ce n’est pas vraiment de la musique du monde. C’est un mec qui est dans les musiques électroniques, qui a fait du dub, de la musique jamaïcaine et qui va puiser des influences dans différents pays…

Je vais te citer quelques artistes programmés cette année, tu vas me dire pourquoi il ne faudra surtout pas les louper. Kahil El Zabar ? C’est un personnage qui a une énergie sans pareille. Il a partagé la scène avec Nina Simone, Stevie Wonder… C’est une fierté pour nous de l’avoir à Dijon. C’est aussi un mec qui a de l’expérience, qui demande pas mal de pognon et qu’il faut faire venir de Chicago. C’est aussi un pilier de la ACM School of Music, une « fédération » très prestigieuse de musiciens de Chicago. On l’avait déjà invité il y a deux ans pour une masterclass avec des musiciens et non-musiciens, il a cette capacité hallucinante de transmettre à la fois son énergie et l’histoire du jazz.

Quantic ? Il fait partie des musiciens qu’on a envie d’inviter depuis longtemps. C’est le fervent représentant de ces musiques crossover qui brassent électronique, musique colombienne et d’autres types de musique… Quand je te parlais des soirées Ninja Tune de l’époque, Quantic est anglais à l’origine, et c’est ce genre d’ambiance, de brassage, qu’on aime retrouver dans Tribu.

Thomas de Pourquery ? On l’avait invité à Tribu il y a très longtemps pour une création avec des musiciens locaux, avec Mickaël Sevrain qui avait monté un big band  : « One More Time ». Thomas de Pourquery, c’est un huluberlu fort sympathique qui a l’habitude de poster sur Facebook des petites virgules incroyables… Voilà, c’est un personnage assez délirant et qui exploite toute sa créativité. C’est un super compositeur, saxophoniste de jazz, il a touché au théâtre, il se retrouve dans beaucoup d’univers artistiques en fin de compte… Et puis c’est osé de faire un hommage à Sun-Ra car c’est un personnage mythique dans le jazz. On le verra donc dans Tribu avec son projet à lui, hommage à Sun-Ra au théâtre Mansart, mais aussi avec Magnetic Ensemble, un autre projet dont il fait partie.

Du coup justement, Magnetic Ensemble ? Ça fait partie de cette scène de musiciens qui sortent du carcan jazz pour aller vers d’autres choses. En l’occurrence avec Magnetic Ensemble, on va aller vers la musique tribale, vers l’électro.

Pour Moodoïd, vous avez eu du flair… Oui, mais c’est marrant car c’est un truc qu’on avait repéré il y a 1 an. On voulait le faire au départ pour le lancement de la saison de La Vapeur et l’ouverture du festival. Finalement, ça sera un autre soir avec Jeanne Added, qu’il ne faudra pas manquer non plus. On ne fait pas trop de pop dans Tribu, mais là c’est quand même un univers assez psychédélique, c’est rare de voir ce genre de musique dans la sphère nationale. Leur manière d’arriver à insérer dans leur pop des éléments du jazz, du psyché est assez géniale. Ça fait penser à Gong, à Zappa…

Ça fait quelques années que Tribu s’installe au port du Canal. Pourquoi ce lieu à Dijon et peut-on imaginer un jour un Tribu qui se déroulerait du début à la fin là-bas ? Justement, on y réfléchit. Le site du port du Canal est très sympa. Et c’est vrai qu’après avoir fait un séminaire avec plusieurs personnes qui gravitent autour de Zutique et du festival, on s’est dit que c’était pas mal de retrouver une espèce de point central, comme on avait pu le faire auparavant sur le campus par exemple ou au jardin Darcy. À l’époque du jardin Darcy, la mairie de Dijon n’avait pas voulu qu’on reste là-bas. On avait fait trois jours de festivals dans ce lieu, ça ne se terminait pas tard en plus… Il y avait eu quelques plaintes alors la municipalité a dit « stop ». Le problème du port du Canal et du bal monté qu’on installe pour l’occasion, c’est qu’on ne peut pas présenter dans cet espace certains spectacles. Des spectacles qui demandent un peu plus d’écoute, ou tu dois être assis, des formes qui demandent plus d’attention… Au final, on réfléchit peut-être à implanter Tribu dans un même endroit, mais il faut que dans ce lieu, on ait à la fois la possibilité d’accueillir du public assis, sur une petite jauge, et la possibilité d’avoir un espace plus festif où le public peut être debout.

Dans le programme papier du Tribu, à la fin de l’édito, vous mettez un petit mot pour la défense du statut des intermittents du spectacle. T’as de bons espoirs avec la nouvelle ministre de la Culture, Fleur Pellerin ? Je crois que ce n’est pas uniquement le problème de Fleur Pellerin. C’est la cause de plusieurs entités. Moi j’ai surtout l’espoir que ce statut spécifique reste là. La plupart des musiciens avec lesquels on travaille, avec ce régime, peuvent avoir aussi un temps de réflexion. Après, je pense que ce régime ne doit pas être ouvert à tout le monde. À l’origine, c’est un régime pour les artistes et les techniciens qui encadrent, pour accompagner un temps de réflexion créative, pour répéter. Il faudra peut-être réfléchir à d’autres types de financement spécifique pour les emplois culturels, pour des postes qui ne relèveraient pas de ce statut « créatif » propre aux artistes et aux techniciens qui les entourent.

Tu l’imagines comment le Tribu dans 10 ans ? On l’imagine concentré sur un même espace, où on pourrait proposer plusieurs scènes… On souhaite garder cette mixité des genres même si c’est compliqué. On réfléchit aussi à la période : fin septembre, ça marche pas mal mais on est un peu dans le creux de la vague par rapport aux tournées d’artistes. On est entre la fin des festivals d’été et le lancement des saisons musicales dans les différentes salles en France. Donc pourquoi pas sur une autre période, pas trop éloignée non plus. On pensait éventuellement à la mi-octobre car ça correspond à la rentrée des salles. On aimerait bien aussi utiliser des lieux comme l’Opéra Dijon, l’auditorium, mais malheureusement c’est difficile d’y accéder, alors que cet espace représente une grande part du budget culturel de la ville de Dijon. C’est dommage que beaucoup d’acteurs n’y aient pas accès. Ça bloque au niveau de la direction. C’est super en terme d’acoustique mais il faudrait que ça s’ouvre un peu et que ce lieu ne reste pas autocentré sur lui même. Mais c’est pas grave hein, on va ailleurs.

Je vois. Le gros problème aussi, c’est pour trouver des lieux d’after, des lieux un peu inhabituels à Dijon. Je vois beaucoup de villes où tu as des after, des villes qui autorisent des soirées nocturnes dans des lieux particuliers. Ici, c’est dur. Bon, on nous renvoie sur tout le réseau Harmonuits, les boîtes de nuit… On va le faire à l’atheneum après la « Nuit des chercheurs » donc c’est plutôt positif. Mais c’est vrai que sur d’autres soirs, on aurait aimer par exemple faire ça à la Minoterie. Il faut donner un caractère un peu plus festif aux lieux culturels.

– Propos recueillis par P.-O.B

Tribu festival, du 19 au 28 septembre 2014 à Dijon – Plus d’infos