Nevers avait toujours été, pour moi, des souvenirs d’enfance un peu flous et des blagues de mauvais goûts faites aux potes forcés de s’y installer. Un terrain vague au milieu de la Bourgogne. Et puis on est allés au Café Charbon, pour le festival De Nevers à l’Aube.

nevers Ö l'abe @ Ait Belkacem

Pour ses trente ans, l’association Sceni Qua Non déterrait un de ses événéments phares, abandonné en 2004. On nous promettait une nuit de carnage, de 21 heures à 7 heures, entre courts-métrages et musiciens qui décoiffent. On a donc fait Sens-Nevers le samedi 20 décembre, à travers la campagne, en plein hiver. Autant dire que traverser Château-Renard, Châtillon-Coligny, Rogny-les-Sept-Ecluses, la nuit tombée, c’est désuet, c’est charmant mais ça n’annonce pas une nuit de folie. Et pourtant.

Partis à 16h30. Arrivés à 20 heures au bar associatif La Socquette. Aux murs, des affiches de Nevers à l’Aube qui datent de dix ou quinze ans. Au milieu de la pièce, une batterie et des guitares encore bouillantes. La fête a commencé ici, il y a quelques heures. Le temps d’une bière et tout le monde se dirige vers le Café Charbon. Le lieu est déjà pris d’assaut. Des nostalgiques du festival, qui traînent leurs guêtres depuis des années à Nevers, côtoient des trentenaires, passionnés de ciné ou de musique. A moins qu’ils soient venus pour la bière et le champagne. Mauvais élèves, par contre. Dress-code : années 80. Mis à part une ou deux paires de lunettes flashy et des tee-shirts brillants assez hideux, on est tous passés à côté. Tant pis pour la conso gratuite !

Go Mental, groupe de reprise des ramones en accoustique, premiäre partie de soirÇe Ö la socquette @ JÇrÇmie Barral

Rapide tour d’horizon du lieu. Étonnant. En béton, armé pour faire la fête. Graffé, spacieux, underground, un brin lounge. À l’entrée, face au bar, Beau Catcheur détourne nos standards. Derrière, la salle de concert a été transformée en salle de projection. Des coussins recouvrent le sol et des courts québécois ouvrent le bal. On ne peut déjà plus mettre un pied dans la pièce. Tant pis. Je jette mon dévolu sur le petit salon. La lumière est rouge, le lieu, plus intimiste, les canapés confortables. Tant mieux.

Ici aussi on se sert, les uns contre les autres, sur la moquette. Derrière le paravent, certains entament une partie de jeu vidéo. C’est un peu comme aller dans la coloc’ de tes potes, avec un plus grand écran, plus de potes et une programmation qui te scotche dans ton fauteuil. Immigration, prostitution, ou de la comédie musicale qui tourne au film de zombies. « Ici, pas de comédies mièvres, a prévenu le big boss juste avant. Je ne vois pas l’intérêt de montrer un film si le réalisateur n’y a pas mis toutes ses tripes. »

01_petit_frere-1

Les courts-métrages et les concerts s’enchaînent toute la nuit. Partout. Tout le temps. Une pause clope et on retrouve Petit frère (Rémi St-Michel, 2014), projeté sur un mur, dans la cour. Un film québécois, présenté à Cannes par la Semaine de la critique, au printemps dernier. Un bonheur. La prog’ est riche et de qualité. Il est 22h30 et on sait déjà qu’on va devoir renoncer à un tas de trucs. Je n’aime pas la frustration, elle me contrarie. Ciné, concerts, confort, bordel, les potes, un homme. Il faudrait donc toujours choisir. Alors tranchons.

Je retourne au bar. Et me fais attraper par cinq nanas. Tenue léopard, justaucorps, paillettes, licorne rose sur la tête, des ukulélés, une contrebasse, un métalophone, un synthé-guitare, une basse, des claquettes… Et des mots crus. Des qu’on aime répéter, sans faux semblant, fausse timidité ou fausse politesse. Ce sera donc les Trash Croutes.

de nevers Ö l'aubeElles nous servent sur un plateau des tubes kitsch, de la traduction littérale ridicule à souhait, de la disco-pop. Au premier rang, ça se déhanche sévère, toute génération confondue. Des ballons volent (99 Luftballons, Nena, 1983). Tout le monde reprend Beyoncé et Lady Gaga, versions françaises, et pour une fois ça ne me file pas la nausée. « Il pleut des hommes » (It’s raining men, The Weather Girls, 1979) et c’est l’hystérie collective. Puis les belles nous lancent sur Maniac (Michael Sembello, 1983), chantée des dizaines de fois devant Flashdance. Notre adolescence, l’acné et les boulets en moins. Quoi que. Il y a toujours un pote pour « tomber amoureux » de la chanteuse, dit-il. Comprenez « Je veux la serrer ». Clou du spectacle, les Trash Croutes revisitent le Premier baiser de nos 10 ans, une jolie berceuse au ukulélé pour finir… « Plus tu grattes, plus t’as mal. »

Fin du show. Sceni Qua Non souffle les bougies. Au bar, on commence le champagne en feuilletant Penthouse. Sur scène, l’Anglais et les Normands de The Lanskies prennent le relais. Au comptoir, des seins se dévoilent sur papier glacé. Nouvelle bouteille. À arroser cet anniversaire, voilà qu’on a loupé le ciné-concert de Nicolas Foucrier et Ben… Un dernier verre pour oublier et je rejoins l’ambiance intimiste du petit salon. L’amoureux des chanteuses a cessé de faire le malin. Endormi contre un mur, il a renversé sa bière sur le sol, sur son pantalon et sur le mien, maintenant. Je ferme les yeux. Reveil quelques secondes plus tard. Il est déjà 4 heures !? Le champagne commence à avoir raison de moi. Dernier concert. Quelques minutes de Shadow Motel. Je file.

Midi. Dimanche. Barbie girl (Aqua, 1997, on a tout fait pour l’oublier…), puis Le Bal masqué de la Compagnie créole me sortent du lit. Dans l’appartement d’un fan de metal et de hip-hop. Dur réveil. Quelque chose cloche. Je trouve le responsable. Pas fan de variétés, mais trop saoul pour avoir encore bon goût. Il me raconte le DJ set jusqu’à 7h du mat’ et les bars de Nevers écumés toute la matinée. Je suis frustrée. Je veux revoir Nevers.

– Meli Delatour