Alors que la fusion des régions s’annonce difficile, tout Bisontin honnête imagine déjà sa ville devenir aussi vivante que Le Creusot. Il y peu, un ami m’a dit que Besançon autrefois était le centre du monde, il pensait alors à la grève de 1967 de la Rhodiaceta, au groupe Medvedkine, à la présence de Jean-Luc Godard et de Chris Marker. Cette époque est révolue. Souhaitant visiter les expositions estivales du Consortium, je capitule et décide de prendre le TER de 12 heures 33, munie d’un « pass visi’TER journée » à 16 euros, le Tram a du retard, je manque mon train et m’engouffre sans permission dans le TGV qui part deux minutes après le TER mais arrive trente minutes plus tôt à Dijon.

Brian Calvin, End of Messages, vu d'ensemble 1

Je suis venue au Consortium pour voir Brian Calvin, plutôt l’exposition concernant ses étranges toiles tant vantées par la presse, le couple Lavrador/Moulène en tête. J’étais sceptique en découvrant sur le net ces visages aux couleurs pastel. J’étais encore plus sceptique parce qu’une toile de Brian Calvin avait été retenue pour faire illustrer la couverture du CD de l’été des Inrocks. Parce que Calvin était trop fêté, j’avais décidé de ne pas aimer son travail, de n’y voir qu’un illustrateur de mode et qu’une exposition surfant sur notre fainéantise estivale. De la même façon, je n’ai jamais ouvert Harry Potter parce que toute ma génération s’en est repue à loisir. Refus de l’esprit grégaire ou réaction stupide, je dois avouer que Calvin m’intriguait quand même et que je nourris également le désir d’en être et donc de ne pas passer à côté de tout ce qui émerge mon époque.

Lorsque j’arrive au Consortium après avoir traversé la rue d’Auxonne, célèbre dans l’esprit des Bisontines pour sa prison pour femmes, et m’être aventurée dans le parking d’un supermarché, je suis accueillie au loin par deux chiens féroces. Ces sculptures animales et la blancheur du lieu m’intimident, pourtant, je découvre la richesse de la programmation. Le lieu est presque désert. Dommage pour leur taux de fréquentation estivale, mais tant mieux pour moi qui verrai les lieux dans de meilleures conditions, c’est-à-dire sans supporter les regards pénétrés ou les remarques suspicieuses de mes contemporains. Quatre salles sont consacrées aux toiles de Brian Calvin. L’accrochage mêle sans souci chronologique des toiles réalisées entre 1995 et 2014. Bien sûr, il y a les visages énigmatiques qui occupent surtout la deuxième salle. Que dire de ses faces pastel aux regards démesurés ? Les critiques semblent s’être arrachés les cheveux pour statuer sur leur signification. Claire Moulène, dans les Inrockuptibles du 15 juillet 2015, évoque leur naïveté de cartoon en même temps que le sentiment de troubler ces figures en visitant l’expo. Judicaël Lavrador, le 26 juin 2015, dans Libération y voit le portrait de sujets absorbés, détachés et fuyants refusant de révéler la moindre intériorité à son observateur.

Brian Calvin, Courtesy of the Artist, 2000

Les deux critiques s’accordent pour leur attribuer la palme du cool, sans définir la notion avec trop de précision, ce en quoi je suis tentée de les rejoindre et confesse que c’est sans doute ce qui m’a au fond donné envie de voir l’expo de Brian Calvin. Peut-être que la dimension cool de l’œuvre de Calvin se tient toute entière dans les couleurs utilisées, allant des pastel au turquoise en passant pas le rose coquelicot. Camaïeux à l’œuvre dans l’esthétique seapunk, dans les filtres d’Instagram et le retour en force de la lomographie, ce code couleur très tendance traverse l’œuvre de plusieurs jeunes artistes comme Tianzhuo Chen exposé pour l’été au Palais de Tokyo. La force de l’expo réside à mon sens dans le parcours tel qu’il a été pensé par Eric Troncy. Calvin ne peint pas que ces portraits étranges, beaucoup d’autres toiles donnent une vision plus large sur une action. Souvent, l’espace est divisé et mis en abîme. Le paysage se multiplie au sein de l’espace de la toile, il est sur un tee-shirt, sur un ongle, sur une autre toile portée par un des personnages. La peinture de Calvin semble hantée par la problématique du dédoublement, celui des visages, des paysages. Toute représentation, comme dans un trip psychédélique, s’ouvre sur une multiplication infinie. On pense aux espaces enchâssés à la fin de 2001 l’Odyssée de l’espace de Kubrick. Suis-je le seul sur cette terre à cet instant à regarder ce paysage, à fumer cette cigarette ? L’univers paranoïaque de Calvin, malgré ses couleurs attrayantes, est instable. La dernière salle de l’exposition met fin au délire. Les toiles sont dépourvues de présence humaine, on respire face à la mer.

Je ne connaissais pas Brian Calvin et les images qui ont servi à sa communication ne lui rendaient pas grâce, parce qu’elles limitent son travail à ses visages qui, hors contexte, sont cools mais un peu idiots. L’accrochage donne le sentiment que l’artiste est en recherche, qu’il évolue, qu’il tente des directions, rebrousse chemin, creuse un sillon et non qu’il s’enferme dans la peinture répétitive de minois opaques. Bien que les expositions thématiques soient à la mode parce qu’elles mettent en valeur l’intelligence du commissaire d’exposition et le font progressivement accéder au rang d’artiste, il me semble que la monographie, même chronologique, reste la démarche la plus efficace pour offrir aux visiteurs quelque chose du travail d’un artiste.

– Florence Andoka