Une fois n’est pas coutume, dimanche morose rime avec Fête de la Rose. Hasard du calendrier, la petite sauterie de Frangy-en-Bresse se déroule, comme l’an dernier, un dimanche 24 août. À peine arrivés que l’on tombe sur le cortège de journalistes et de photographes encerclant Arnaud Montebourg et Yanis Varoufakis, guest star de cette édition. Et déjà premier scoop : Arnaud est grand, Yanis est chauve. À partir de ce constat, on se demande vraiment pourquoi la meute continue de suivre le duo franco-grec où qu’il aille. Ha, mais si, pour gratter de la grosse info !

43ème Fête de la Rose de Frangy en Bresse,  Arnaud Montebourg

Et bim, Arnaud Montebourg dégaine un « ça va les anciens? » à une table qui fleure bon la maison de retraite. C’est la règle, de toute façon, dans la plupart des meetings politiques: la moyenne d’âge des soutiens doit frôler facilement la soixantaine. Nous n’avons vu que peu de jeunes sur place, et il serait intéressant de faire un petit sondage dans le village pour voir lesquels d’entre eux ne prendraient pas Varoufakis pour une marque de Fêta ou un joueur de l’Olympiakos.

Par ailleurs, discuter avec les aînés qui voient tous les acquis sociaux sauter les uns après les autres (dernier exemple en date : le travail le dimanche -ne serait-ce que pour écrire cet article) était à la fois instructif et anxiogène, dans la mesure où un pessimisme diffus était sensible malgré les velléités d’enthousiasme visibles ça et là. Quelques splendides interventions au micro d’ambianceurs locaux portés sur les blagouzes et l’auto-célébration, et un concert au clavier Bontempi n’auront pas masqué longtemps le fond de la pensée de chacun : l’heure est à la morosité et à l’inquiétude. Et pas seulement à cause de l’horizon de 2017. Ni de la météo merdique.

43ème Fête de la Rose de Frangy en Bresse,  Yanis Varoufakis

La Grèce comme laboratoire du futur viol de la fonction publique française

Yannis Varfoufakis, dont le discours énergique a été méticuleusement bousillé par un traducteur atone et une copieuse averse, était venu en France pour chercher des alliés. Sa méthode est relativement simple : elle consiste à concerner les auditeurs en leur expliquant qu’ils seront à n’en pas douter les prochaines victimes de la Troïka. Mais une cible est revenue de façon plus insistante encore dans son discours ; comme dans l’intervention de Montebourg : l’Allemagne.

La Ligne Maginot est pratiquement de retour. Le tribun originaire de Fixin a essayé de démontrer que nos voisins d’outre-Rhin n’ont tout simplement pas les mêmes objectifs que nous, en tant que pays vieillissant qui passera bientôt derrière la France, d’ailleurs, en terme de population. Forcément, ils ont tendance à driver l’Europe d’une façon qui ne peut que nous défavoriser. Exemple : maintenir le taux d’intérêt directeur très bas – traduction : la Banque centrale européenne ne lâche pas de fric aux banques privées en quantité suffisante pour qu’elles accordent un crédit au pauvre que tu es ou aux entreprises. Pas de relance, pas de croissance : austérité, mec. Ouais, comme ta prof d’allemand de l’époque, celle qui avait de la moustache, là. Et cette rigueur délirante imposée aux Grecs, il n’est pas dit qu’elle ne sera pas imposée à ces « salauds de fonctionnaires » français dans quelques années, lors de la « prochaine crise ».

Ce qu’il faut retenir, à notre sens, des discours : beaucoup de velléités, « y faudrait », « y’a qu’à » – par exemple, augmenter le contrôle démocratique des institutions bien trop technocratiques, changer la politique de la BCE, etc. Mais bien peu de solutions concrètes avancées. Cela dit, c’était dans l’ordre des choses, un discours politique en tribune gardant forcément un caractère général. De toute façon il pleuvait trop, on a fini par se casser rentrer regarder le Canal Football Club, on est dimanche, après tout. Mais avant, on avait quand même cassé la croûte avec des Montebourgiens convaincus.

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Agora

Puisque le fringant politicien et le brillant économiste sont ceinturés par un service d’ordre et un essaim de professionnels le harcelant en permanence, on a plutôt essayé d’aller tailler le bout de gras avec des militants. Et à table. Tous connaissent le parcours d’« Arnaud » par coeur, certains viennent de loin, comme cette enseignante descendue de Strasbourg pour célébrer la vraie gauche. Mais on a surtout papoté avec des figures locales. Les discussions portent immanquablement sur la situation politique de nos voisines, et sur l’arrogance des Dijonnais. Dans le même temps, on discute un peu à propos de Varoufakis, de son rapprochement avec Julian Assange et de la récompense de ce dernier si quelqu’un met la main sur des documents du Tafta, le traité de libre-échange transatlantique. Mais si, tu sais, ce truc dont tu as entendu parler l’an dernier qui va faire que ton poulet emballé de chez Carrefour sera remplacé par un poulet aux hormones et lavé au chlore. Bon, on vous rassure, pendant ce temps-là on se tape un énorme poulet de Bresse 100% made in France.

À Lons-le-Saunier, le Conseil départemental est passé à droite, donc ça fait un peu la gueule dans le coin. Bon sang, le Jura, c’est pas censé être un vivier de sympathiques anars joueurs de djembé ? La montée du chômage fait des ravages, et l’alternance ne semble pas être pour demain. Idem du côté de Chalon-sur-Saône, de l’autre côté de la Bresse, où la discussion porte sur l’infamie récente du maire concernant le porc à la cantine. Ouais, le mec veut imposer ça pour tej’ les muslims de l’école républicaine, décision grave symboliquement et humainement. Et que dire de la mise en danger de la prochaine édition de Chalon dans la rue 

Dans le fond, on repart de cette Fête de la Rose sans véritablement avoir la sensation d’avoir célébré quoi que ce soit. On discerne mal l’objectif derrière l’événement. Mettre Arnaud Montebourg dans la lumière en invitant Yanis Varoufakis, que les médias nationaux n’ont pas tardé à très vite comparer leurs points communs ? Faire porte-voix à l’ancien ministre des finances grec et diffuser son message aux Montebourgiens ? L’idole de Frangy va-t-il ou veut-il se lier à Yanis Varoufakis pour définitivement mettre le seum à Manuel Valls ? On n’en sait rien. Mais on part avec un deuxième scoop. Alors que l’on attendait notre tour aux toilettes, Aurélie Filippetti débarque aux chiottes et commence à taper la discu. Figurez-vous qu’elle est enceinte (ça on savait) et que ce sera… une fille ! Tu nous entends, Voici ?

– Tonton Stéph et Valentin Euvrard
Photos : Jonas Jacquel

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La fête de la Rose en quelques chiffres

1500, à peu près le nombre de poignées de mains que les héros du jour ont dû s’infliger
824, c’est le nombre de fois où le mot « libéral » a été prononcé dans les divers discours.
175 poulets de Bresse sacrifiés sur l’autel de la fraternité et du civisme.
80 kilos de tomates. Aucune lancée.
47, le nombre de kilos de lentilles. Comme à la cantine.
30, le nombre de références à la Grèce de plus ou moins bon goût dans les discours.
1 poignée de main avec la femme de Montebourg, ancienne ministre de la culture. Aurélie Filippetti est aussi mignonne que Nathalie Koenders, en vrai. Je me lave plus jamais cette main.
0 facho sur 1km2 de ta France, sérieux, ça se fête, gros.