En souvenir de l’indien, c’était au Théâtre Mansart et c’était un spectacle de Aude Lachaise, une jeune et talentueuse auteure française qui s’inscrit dans le renouvellement de génération de la danse et de l’écriture contemporaine. Danse, mais pas seulement, En souvenir… est un spectacle hybride, une pièce mêlant texte, musique (bande son et live) et chorégraphie (gestes et danse). Hybride aussi dans les références : externes avec des clins d’œil à l’univers pop (musical et visuel) ou au cinéma (comédie musicale voire western) et internes : affres de la création dans le spectacle vivant, rapports compliqués entre le metteur en scène et les autres (comédiens, danseurs, famille, commanditaire…). Dans le style et l’écriture, elle offre un méta-discours sur l’acte créatif. Question sérieuse s’il en est, mais question revisitée avec humour et second degré, ne négligeant ni l’ironie, ni le sarcasme. Du coup, forcément, la critique est désamorcée d’entrée de jeu.

en souvenir

Sa pièce raconte : « Il était une fois, un metteur en scène qui ne savait pas quoi dire, qui ne savait pas quoi faire et qui pourtant avait répondu « oui » à une salle, à une programmation. » Vrai-faux drame. En préambule, elle annonce au public « je vais vous raconter une histoire vraiment triste. » En 2016, et sûrement avant, on sait qu’on ne doit pas faire confiance, on ne doit pas croire ceux qui nous disent ça : l’inversion de valeurs, produisant un effet comique, est récurrent dans sa pièce. Ensuite, l’histoire ou l’absence d’histoire, de discours narratif fixe quant à la réalisation scénique (donc son histoire) navigue entre annonce-renoncement et réalisation, grâce au bon vieux méta-discours. Le déroulé de la pièce est mis à nu dès la première moitié. Les choses sont claires. On passe de scènes, en sketchs tout en sachant que ce qui ne doit pas se réaliser ne se fera pas (l’invention d’une pièce par le metteur en scène fictif) et ce qui doit arriver se produira (la réalisation sur scène d’une pièce de Aude Lachaise.)

Jeune femme, Aude Lachaise, a grandi, en tout cas ça se voit dans En souvenir de l’indien, avec les films de Jacques Demy, les chansons de Michel Legrand, les comédies musicales d’Alain Resnais mais aussi, pour les chansons, avec Katerine, Florent Marchet, Arnaud Cathrine et des groupes tels que Vive la Fête pour l’électro-déconnant-chanté. Chez tous ces noms, un même spleen, une même angoisse face au monde, à la perte de sens, à l’absurde et à ce qu’on (ne) communique (pas). L’échec chanté sur les braises du volcan. Mais là aussi, dans la comédie musicale, le sens dépasse l’essence (vous l’avez ?) quand ça chante l’amour et l’entraide de manière fausse, ça récolte le rire du public et des coups-de-poing dans la gueule sur scène. Comme si on assistait à une réalisation d’un cousin lointain de Jacques Demy, une espèce de Jean-Jacques Demy (Portion).

Aude Lachaise sait qu’elle créé en 2015, monte sur scène en 2016. Elle sait donc qu’il lui est impossible d’écrire, de jouer, de monter des pièces comme avant, question de renouvellement et de nouveauté. Alors, via ce spectacle elle joue la fossoyeuse des pratiques et des idées d’avant sous un vernis d’ironie, de second degré : pourquoi pas faire, un spectacle avec des amateurs, des handicapés ou se présenter à poil sur scène. Un tas de gestes habituels souvent insupportables car mû par des sentiments moraux, trop moraux ou par vaine provocation. Pour faire vite, Aude Lachaise aimerait bien, au moins pour voir, pour rigoler, sait qu’elle ne peut point mais y touche un peu quand même.

En souvenir...

Visuellement, c’est beau (persistance d’un vieux concept) : plexi en fond de scène laissant voir sans montrer (vraie fausse mise à nu des coulisses), belles lumières, et jolie moquette (?). Les danseurs. En sont-ils vraiment ? Oui, car ils dansent mais pas seulement car ils jouent, chantent. C’est bien réalisé : Aude Lachaise est accompagnée de Nicolas Martel (de Las Ondas Marteles, musicien, frère de Sébastien Martel) et Gilles Nicolas. En régie la musique est live, Guillaume Léglise (Go Go Charlton) joue de la guitare et pilote ses bandes son.

Finalement, malgré l’intention, revisiter et dépasser, des formes classiques, les genres, En souvenir… reste forcément collé à ses références sans vraiment les éliminer. Comme un prélude à une création plus novatrice, plus risquée. Un court instant, après, un morceau d’Elvis, le roulement de batterie final est bouclé. La musique devient une espèce de jungle barrée comme un rythme frénétique pour une électro qu’on écoutera peut-être dans quelques années. Et là, on peut déceler, imaginer que Aude Lachaise tripatouille du neuf. C’est court, mais là, elle offre une direction en dehors de tout discours renonciateur ou destructeur. À suivre…

Malgré deux-trois instants, ou face à ses postures et ce comique, un peu trop « je sais quand on est », qui donnent envie de ne pas aimer ce spectacle, c’était pas mal.

– Martial Ratel