Originaires de Besançon et de l’Essonne, résidents désormais à Paname et Pontarlier, les Butter Bullets se sont alliés avec l’inénarrable Alkpote pour casser le game en formant à eux trois le crew Ténébreuse Musique. Sidisid, a.k.a le Marquis de Swag, et Dela aux prods se sont prêtés au jeu des questions, contrairement à Alka. On a envie de dire : heureusement, au vu de la teneur des questions, et connaissant le zozo.

Ténébreuse Musique

Question simple, pour commencer : finalement, pourquoi vous faites du rap? 

Dela : J’ai commencé à faire du rap parce que je me suis dit que ce serait plus facile avec les filles au lycée, maintenant je continue parce que j’y ai pris goût. C’est comme une bonne drogue, quand par exemple j’ai fait un bon son, c’est un mélange de fierté et de bonheur, un peu comme quand tu as fini de chier mais en plus intense.

Sid : C’était ça ou le skateboard, j’ai fait le mauvais choix…

Alors comme ça, les autres MC’s français sont des « gogols » à vos yeux ? Du moins, la plupart ? Vous êtes bien conscients que le risque de paraître encore plus débile qu’eux est patent avec vos oeuvres qui ne témoignent de la présence d’aucun surmoi ?

Dela : C’est vrai, on ne délivre aucun message particulier, on raconte des choses et on s’amuse avec la langue française. Je crée des sons pour des ambiances ou pour faire sourire pas pour faire des discours dessus. On ne dit rien mais on le dit bien. Le surmoi tu vas le chercher dans les livres, pas dans la musique, ou alors dans la musique chiante, il faut de tout.

Sid : Tout est dit.

Y’a eu une époque où Téki Latex refusait d’affirmer qu’il avait recours au second degré lorsqu’il pourrissait des meufs, des gays, etc. C’est pas possible, ça peut pas être votre cas ?

Dela : Honnêtement, le mec qui prend toute notre œuvre au premier degré comme ligne de conduite il est vraiment mal barré dans la vie.

Sid : Moi perso je ne fais aucune différence, le mec qui écoute entend ce qu’il a envie d’entendre, ça lui appartient.

Sid, est­-ce que tu envisages ta propre démarche comme une sorte d’exutoire, de catharsis : une espèce de gros défouloir ?

Sid : Pas une seule seconde, il n’y a rien derrière, à part l’envie de faire de belles choses et y arriver. Se défouler, c’est trop personnel pour en arriver à raconter sa vie de merde sur un disque, du coup avec un raisonnement pareil on pourrait en conclure que l’on recherche un psy chez ses auditeurs… Non merci.

Les références à Milosevic, voire carrément au Troisième Reich (« on te nique la race comme ferait un bon aryen ») , jusqu’à la cover de l’album, c’est parce que ce serait là l’ultime provoc, ou parce que Butter Bullets vise à faire un rap nihiliste, qui n’hésite pas à admettre sa fascination pour le pire ?

Dela : Dans Butter Bullets il y a une pointe de nihilisme c’est sûr, et pas mal de provocation aussi. Après si les nazis nous envahissent à nouveau je serais peut-être un des premiers à partir pour Dachau et pourtant ça ne m’empêche pas de trouver qu’ils ont un super beau drapeau.

Mais quand Alka affirme que les gays et les Juifs contrôlent l’Europe, c’est encore de l’humour ?

Dela : C’est pas à nous qu’il faut poser cette question.

Sid : Il faut lui demander à lui.

Est­-ce que le rap français ne souffre pas de la provenance souvent identique des prétendants au micro ? Butter Bullets et Ténébreuse Musique tentent de varier un peu le champ lexical et même les thématiques, non?

Dela : Non le rap français souffre de la sélection que les médias font parmi ces prétendants. C’est fini maître Gims, c’est plus du rap, il a sa place sur NJR, Fun Radio, etc, mais pas sur une radio soit disant rap comme Skyrock. Il y a plein de monde en France qui font des choses bien mais ça ne les intéresse pas. Ils refusent d’éduquer leur auditoire.

Je demande ça parce que dans une interview, tu affirmais penser faire du rap « normal », comme, mettons, Gradur. Vous pensez avoir cette crédibilité auprès du public black et maghrébin ?

Sid : Mais c’est quoi du rap normal sérieux ? Est-ce qu’on fait chier les mecs du metal car ça n’est pas du « rock normal » ? Non, je ne pense pas.

Dela : Bien sûr, on n’a pas une « street cred » auprès de tous, pas auprès de la minorité qui considère que pour faire du rap il faut avoir fait de la prison par exemple.

Dans cette même interview, tu te plains que les rappeurs ne lisent pas franchement de livres, alors que toi t’hésites pas à faire référence au Marquis de Sade à l’occasion. Je connaissais que Fuzati pour faire ça. Tu lis quoi, Sid, ? Ça inspire ton écriture ?

Sid : Je ne pense pas me plaindre que les mecs ne lisent pas de livres, je disais que les mecs qui en « lisaient » en parlaient trop… Le monde m’inspire en général, toute la culture quelle qu’elle soit. Je ne suis pas un grand lecteur en ce moment, je n’y arrive pas trop. Je relis 2001 actuellement.

Bon, c’est un fait que c’est dur de faire de la thune dans le rap jeu actuel ; mais est­ce que c’est une excuse pour se montrer aussi libéral­-capitaliste, comme dans La Crise ? Ça a une conscience idéologique ou politique, un membre de Butter Bullets ?

Dela : Avec la pointe de nihilisme qui nous caractérise, non ça n’a pas de conscience politique ni idéologique un membre du Butter Bullets. Ou alors un zeste d’épicurisme.

Puisque rappeur c’est effectivement un sous­ métier, je me demandais : ça fait quoi comme taf dans la vie civile un membre de Ténébreuse Musique?

Sid : Il y a des choses qui doivent rester secrètes.

C’est important, voire indispensable pour vous de faire part de vos référents ­maîtres ricains : Pimp C, Max B, Cam’ron ? Je veux dire : quelqu’un qui ne les connaîtrait pas ne serait pas en mesure de bien rapper aujourd’hui à vos yeux ?

Dela : On peut bien rapper sans les connaître, c’est sûr. Après ce n’est pas le même background et ça peut se ressentir. Et puis si tu fais de la musique tu t’inspires forcément de ce que tu écoutes. Alors ne pas connaitre ces mecs, c’est sûrement passer à côté d’une bonne inspiration.

Vous avez dit à l’abcdrduson que l’album avec Alka avait été produit en deux jours ; ça aurait donné quoi si vous passiez ne serait­-ce que deux semaines ensemble ?

Dela : Une putain de grosse chiasse. Déjà au bout de deux jours il y a des gens qui ne suivent plus nos égarements. Imagine deux semaines ensemble, ce serait trop gras.

Sid : Je pense que ça n’aurait pas donné grand chose de bon.

Un argument en faveur du « rap conscient » et autre instrumentalisation de la zik à des fins moralisantes ?

Dela : Aucun argument pour le rap conscient, ça me fait chier à mourir.

Quel impact ça a eu sur votre travail, le fait de venir de la province, et en particulier de Franche-Comté : aucun ?

Dela : Le fait d’être en province, je pense que ça te force à te démarquer, du coup tu travailles différemment car tu n’es pas dans le jus parisien. Tu cours moins après les featurings et les bons plans et tu te concentres plus sur ta musique à mon avis. Et puis la Franche-Comté c’est tout un art de vivre, manger une raclette après une journée de studio ça te permet d’attaquer le lendemain le cœur léger. Et l’estomac lourd.

Vos familles sont au courant de ce que vous produisez ? Ils comprennent le truc ?

Sid : Moi ma mère comprend, par amour je pense…

Dela : Bien sûr ils sont au courant et non ils ne comprennent pas (mes parents), mais ils sont sympas et s’y intéressent quand même, un peu comme quelqu’un qui apprend à lire chinois. Mon frère et ma sœur c’est moins problématique, ils me supportent grave.

– Propos recueillis par Tonton Stéph