À l’occasion du Festival Impetus, on est allé à la rencontre de Laibach, la tête d’affiche. Laibach est l’une des plus anciennes formations musicales européennes. Subversif, provocateur et dérangeant, Laibach a toujours suscité de nombreuses polémiques et interrogations. N’est-ce pas l’un des rôles de l’art de déranger ? De questionner ? Ivan Novak, projectionniste et « directeur artistique » du groupe, nous a accordé quelques instants pour répondre à nos questions.

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Laibach est un groupe légendaire qui a influencé plusieurs générations d’artistes. Le groupe fait parti des précurseurs de l’Indus et mêle depuis plus de trois décennies provocations, imagerie totalitaire, subversion et reprises hors du commun. Les derniers faits d’armes notables du groupe sont d’avoir réalisé la bande originale d’Iron Sky et d’avoir été le premier groupe occidental à tourner en Corée du Nord. N’en déplaise à Manu Chao.

Ivan Novak, c’est un mec qui ne joue plus dans Laibach. Il est une sorte de manager, directeur artistiques et ingénieur lumière. Ce n’est pas tous les jours que tu parles à un mec qui a commencé la musique dix ans avant ta naissance.

Merci beaucoup de nous accorder cette interview. On a écouté Spectre, le dernier album de Laibach sorti en 2014, et il nous semble beaucoup plus « pop ». Est-ce que tu es d’accord ?

On essaie toujours de faire de la pop, tu sais. Des fois ça le fait un peu plus, des fois un peu moins. Depuis qu’on a essayé de bosser sur la pop culture, j’entends la culture populaire, nous essayons de faire des albums pop. Il est vrai que certain albums ont été considérés comme plus expérimentaux. On aime aussi faire des side projects, plus philosophiques ou pour travailler les formes. Spectre est un album qui a été créé pour le marché. Donc oui, on peut dire que c’est un album pop.

Laibach existe depuis environ quarante ans, quel est votre point de vue sur l’évolution de la musique européenne ? Est-ce qu’il y a selon vous encore des projets subversifs ?

Cela dépend bien sûr de quel genre de musique on parle. De classique, de jazz… Dans l’ensemble il y a beaucoup de très bonne musique. Sans doute plus que jamais. Les gens ont les outils pour produire de la musique, pour créer dans de bonnes conditions assez facilement. Le problème est au niveau de la diffusion et de la promotion. Tout a vraiment changé à ce niveau-là. Il y a tellement de choses qu’on ne sait pas ce qui se fait à travers le monde.

En ce qui concerne le côté subversif de la musique, je pense que ça a plus évolué du côté des formes. En ce moment je pense à des mecs comme Arca. Il n’est pas le seul, mais d’une certaine manière il détruit les règles de comment faire de la musique, de la percevoir, de l’écouter. Il fait aussi ce travail extraordinaire avec son ami Jesse Kanda. Ils font quelque chose de différent. Ils questionnent tout ce qui a été fait auparavant dans les musiques électroniques. Chez Bjork il y aussi une forme de subversion. Je pense qu’il y a encore des possibilités. Aujourd’hui, tout est beaucoup plus diversifié. Il est plus compliqué de comprendre ce qu’il se passe. On essaye de comprendre ce qu’il se passe autour du monde. Il est difficile de comprendre les interconnexions entre les capitaux, les politiques, les religions, les mouvements sociaux. Le monde d’aujourd’hui est bien plus chaotique que dans les années 60 ou 70. Il y avait une simple séparation entre l’Est et l’Ouest…

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Tu parlais d’un album conçu pour le marché. Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui les artistes ont besoin de rentrer dans le système pour toucher le plus de personnes ? Est-ce qu’il y a d’autres moyens ?

Il y a de nombreux moyens. Il y a des groupes qui ne font pas de concerts, ils mettent juste leurs titres en ligne. D’autres ne produisent pas leur musique et ne font que présenter de la musique. Je pense aux DJ. Si tu te considères vraiment comme musicien, tu n’as pas besoin de vouloir t’adresser à tout le monde. Ça dépend de ce que tu veux. Nous, on travaille dans la pop culture comme culture moderne, démocratisée. On essaie de tourner parce qu’on pense que la musique en live est quelque chose de différent et plus attractive qu’en album. Bien sûr qu’on essaie de communiquer avec des personnes, par contre on n’ira pas en direction de certaines personnes avec qui on ne se sentirait pas à l’aise.

Vous avez été découverts par un public plus jeune il y a maintenant quatre ans, avec la réalisation de la bande originale d’Iron Sky. Peux-tu nous raconter comment Laibach a rencontré l’équipe du film et comment ça s’est passé ?

On jouait en Finlande, à Turku ou Tampere. Je ne me souviens pas très bien. Ces mecs sont venus nous voir avec des dossiers et des présentations de leur projet. On n’a pas vraiment étudié la chose en détail. Le directeur du festival nous a contacté à nouveau et est venu nous voir à Ljubljana pour nous proposer de faire la musique pour ce film. Il nous a expliqué que toute l’équipe du film était fan de Laibach.

Est-ce que vous avez vu le film ? Qu’est-ce que vous en avez pensé ?

Je pense que c’est un bon film pour une première réalisation. Il faut comprendre comment est-ce qu’il a été fait. Tous les fonds ont été collectés via Internet. C’est intéressant et révélateur sur de nouvelles manières de créer. Je pense que c’est un bon film. Il aurait pu être mieux mais il aurait aussi pu être pire. Si vous vous souvenez du chef d’œuvre Le Dictateur de Charlie Chaplin, je trouve que ce film a un peu de ça : dans le côté humoristique et dans la morale.

Laibach est le premier groupe à avoir joué en Corée du Nord il y a quelques mois. Comment est-ce que vous l’avez vécu ? Est-ce que certaines choses vous ont marquées ? Des souvenirs ?

(Rires) C’était quelque chose de… différent. Si vous avez vu le film The Truman Show, c’est une sorte de Truman Show collectif. On n’essaie pas de dire que l’on vaut mieux qu’eux (les Nord-Coréens). Ces personnes vivent dans une grande prison et ils ne sont pas vraiment au courant. Les gens y sont fantastiques. Vraiment. Il y a une certaine qualité de vie qui est peut être mieux que d’autres endroits sur Terre. Ce n’est pas possible de faire des comparaisons. On ne connaît pas toute l’histoire. C’est beaucoup plus complexe que ça en a l’air. C’est dur de faire des jugements..

On ne pense pas spécialement à des jugements mais surtout à des ressentis, des émotions…

C’était très bien. C’est une sorte d’utopie. Tu dois y accepter de te plier aux règles. Il y a quelques personnes qui ont voyagé et qui parlent d’autres langues. Cependant, la plupart d’entre eux croient profondément en leur société. C’est un monde différent. Il y a des gens qui essaient de s’échapper de ce pays et, bien sûr, il s’y passe des choses horribles comme dans tous les pays. Pour nous, ça a été une expérience impressionnante et d’une certaine manière très élégante.

Est-ce que vous pensez que le gouvernement de Corée du Nord vous a montré ce qu’il voulait et non la réalité du pays ?

Tout le monde le fait, tu sais. Si tu vas à Paris, on va juste te montrer la belle partie de la ville. Pas celle qui est laide. On a vu un peu de la Corée. On n’a pas seulement joué à Pyongyang, on a un peu voyagé. On est allés à la frontière avec la Corée du Sud. Encore une fois, tu ne peux pas dire que c’est pire qu’à d’autres endroits. Peu être qu’ils sont moins développés sur certains points. Par contre, ils ont une architecture moderne très intéressante, supérieure, plus complexe. Pyongyang est impressionnante, surtout quand on prend en considération qu’elle a été entièrement été détruite par les bombes américaines. Elle a été entièrement reconstruite. C’est très intéressant. Bien sûr, la nuit on regardait par la fenêtre voir ce qu’il se passait : rien.

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Il y a quelques instants tu parlais de Paris. En novembre 2015, un concert de rock a été attaqué par des terroristes. En tant qu’artiste et en tant que membre de Laibach, cela aurait très bien pu arriver durant l’un de vos concerts…

Tu sais, la vie est dangereuse. Les accidents peuvent arriver à tout moment chaque jour. C’est aussi le monde que nous construisons. Bien sûr que c’est un événement tragique et que c’est terrible ce qu’il s’est passé à Paris, à Bruxelles, en Espagne… Partout dans le monde. Je pense aussi à la Syrie, à l’Irak, à l’Afghanistan. Tout cela est connecté. Le monde est ce qu’il est et on prend des risques au quotidien. L’histoire française n’est pas non plus la plus belle. On ne doit pas oublier comment la France a traité ses colonies et non plus l’histoire post-coloniale. Il y a aussi toutes ces personnes qui viennent vivre en France et qui sont considérées comme « citoyens secondaires ». On ne peut pas voir le blanc et le noir. Bien sûr que c’est un événement tragique.

Pour revenir à Laibach et ses morceaux ; vous avez réalisé plusieurs reprises improbables. On pense à « Life is Life » ou encore « The Final Countdown ». Est-ce que ces reprises sont des parodies ou est-ce que vous aimez vraiment ces morceaux, auxquels vous vouliez donner vos propres interprétations ?

On a été inspirés par ces morceaux. Pas : « ouah, on adore le morceau » mais plus : « ce morceau a quelque chose, on pourrait en dire différentes choses avec une autre approche ». Ces morceaux sont totalement nouveaux. Tu vois, au début, on a tous entendu des dizaines de fois « Life is Life » et personne n’aimait vraiment ce morceau. À force de l’entendre, on s’est dit : « il faut qu’on fasse quelque chose ! » (Rires) C’est comme avec « One Vision » de Queen. On s’est demandés : « qu’est ce qui se passerait si on passait le morceau en allemand ? ». Cela devient totalement différent et prend un autre sens. C’est surtout des questions de contexte. Tu peux toujours voir des choses totalement différentes selon l’angle que tu as.

Juste pour finir, est-ce que vous avez eu des coups de cœurs pour des bouquins, des artistes, des films ces derniers temps ?

C’est toujours difficile de répondre à ce genre de questions. Il y a tellement de choses qui sortent, qui sont créées. On essaye de suivre l’actualité mais ce n’est pas toujours évident. On regarde beaucoup de films. Même des films français, certains sont géniaux. En général, le cinéma français, ça commence et tu te dis : « ça va être vraiment chiant ». Ok, il se passe rien mais c’était vraiment bien. (Rires)

– Propos recueillis par Jérémie Barral & Martin Caye
Photos : J.B.