On sait bien que bourré, un coup, t’as essayé d’aller à la porte du diable, lol. Le διάβολος, en grec, désigne tout simplement le « double », cet Adversaire qui pervertit la réalité ; en tant que tel, il se prête bien entendu aux dispositifs cinématographiques, à la camera obscura qui peut se jouer de tout et tout renverser.

Allez, on sait que tu as déjà frisonné à onze ans devant Poltergeist ou que tu as toussé sur ton bang à dix-sept devant les scènes les plus golri de L’Exorciste. On te propose une petite sélection pas piquée des hannetons, parce que quasiment sérieuse, des meilleurs films mettant en scène le Satan. À chacun ensuite de se faire son avis : le thème mène-t-il inévitablement au grand-guignol et aux scènes pompières, ou recèle-t-il la possibilité de faire paraître des séquences sublimes ?

« Méphistophélès : Il n’y aura pas plus de mal que si ça n’avait pas été. » Goethe, Faust.

La Neuvième porte, de Roman Polanski : un film longtemps jugé mineur alors qu’il est parfaitement emblématique des angoisses et de la mæstria de ce grand réalisateur tourmenté. C’est aussi et surtout l’occasion de voir un Johnny Depp enfin correct, lui qui a sabordé (diablerie ?) comme un porçin sa carrière. Il incarne ici Corso, spécialiste en estimation de livres anciens, chargé par un collectionneur d’ouvrages sataniques millionnaire, de retrouver et comparer deux autres ouvrages en Europe qui donneraient l’occasion de communier avec la bête à corne. S’en suit une sorte de road-trip où le personnage ne se sent jamais véritablement seul, accompagné qu’il est par une bombasse chelou, qui n’est autre que le personnage campé par la femme de Polanski dans le civil, Emmanuelle Seigner. Le film vaut plus par l’évocation du pire que par son scénario à proprement parler, comme cette scène où la diabolique, lors d’une recontre censée être fortuite dans un wagon : « J’aime les trains. TOUS les trains. » (Pour rappel, Polanski est un rescapé du Ghetto de Varsovie…)

Faust, d’Alexandre Sokourov : l’adaptation du chef d’œuvre absolu de Goethe requérait bien le talent extraordinaire du réalisateur russe, lequel produit ici un écrin éblouissant pour mettre en scène les tentations du scientifique/ curieux se faisant mener par le bout du nez, aussi pour conquérir Marguerite, par Méphisto qui lui promet monts et merveille. La première vision du film donne l’impression d’avoir testé des champignons hallucinogènes de la forêt de Cîteaux à la fête foraine de la foire gastro, tant la mise en scène étourdit comme un kaléidoscope ou une boule de cristal. La gamme chromatique est retravaillée pour donner une impression d’irréalité (le directeur de la photographie est français), et on est littéralement happé et écrasé par un sentiment universel d’angoisse. Jamais, peut-être, la transgression et le péché n’ont été aussi bien filmés, dans le cadre d’une réflexion sur le pouvoir, les Lumières et la liberté humaine. Prends ça, Terrence Malick.

hqdefaultSouth Park, le film, de Trey Parker : ben tiens, en parlant de Terrence (& Philip). Soyons honnêtes, le film est moins bon que la plupart des épisodes, lesquels font parfois intervenir comme ici le plus humain des personnages de la série, Satan, lequel s’est amouraché, et on le comprend, du BG Saddam Hussein. Kenny tombé en enfer, il trouve les plans de ce couple tout mignon, à savoir rien de moins que chercher à prendre le pouvoir sur Terre. Bon, on arrête là sur le scénario qui est complètement pété, mais qui a au moins le mérite de nous arracher un ou deux sourires sur un thème qui se prête de toute façon à toutes les outrances.

Hors Satan, de Bruno Dumont : celui-ci n’est pas loin d’être le meilleur réalisateur français actuel. Imagine un peu : c’est comme si un réalisateur dijonnais avait réussi à transcender les paysages du Val-de-Saône au point de les rendre envoûtants. Dumont aime tellement son Pas-de-Calais qu’il est capable de le rendre merveilleux et vénéneux, ainsi que les visages dévastés de ses résidents, auxquels il prête un charisme solaire. Il a beau être agnostique, la question du Mal hantait déjà ses précédents films, notamment le bouleversant Flandres. Ici, il traque la bête immonde dans un silence à la fois inquiétant et envoûtant, par le biais d’un personnage taiseux (campé par un acteur non professionnel extraordinaire) qui laisse libre cours à toute interprétation concernant sa réelle identité ou fonction, entendu qu’il semble une sorte d’ange déchu ou de thaumaturge, qui va prendre sous son aile une jeune femme traumatisée. À noter : la scène de cul la moins ragoutante qu’il m’ait été donnée de voir. Beurk.

Nuit et brouillard, d’Alain Resnais : no comment.

Pour aller plus loin :

  • Jouer aux « esprits » dans ta Quechua en criant « apéroooo » lors de tes festoches de ouachon, cet été.
  • Lire F.W. Schelling, Philosophie de la Révélation. Deuxième partie. Livre III, il y développe une « satanologie » : pour amender sa philosophie du Mal, une description ontologique de l' »Adversaire » est proposée. Régal.
  • Un coup d’oeil à l’article de notre besta Valentin, sur une secte fréquentant la « porte du diable » vers Dijon.

– Tonton Stéph
Photos : DR