Michel Cloup est un de ces maîtres du rock français des années 90. Guitare saturée et plume ciselée. Il s’est arrêté lundi à la Péniche Cancale de Dijon pour nous livrer un set intense et émouvant. Le tout en duo avec Julien Rufié le batteur métalleux toulousain qui éclate les peaux de caisses claires. C’est à la timonerie de la péniche que je l’ai rencontré, avec sa vapoteuse et ses cernes d’homme inspiré.

Pour ceux qui ne le savent pas, tu es à l’origine du groupe Diabologum, une référence de la scène française des années 90. J’imagine qu’à chaque interview on te parle de ça mais  tu as conscience du côté « culte » du groupe ?

Oui, j’en ai surtout pris conscience quand on a réédité le disque N°3 l’an dernier et quand on a joué aux Rockomotives de Vendôme en 2011. J’ai vraiment pris conscience que l’album n°3 était culte. Ce qui est drôle, c’est que ça touche des gens d’une certaine génération, mais on aussi vu des mecs plus jeunes s’intéresser au truc. Finalement ça passe d’une génération à l’autre. C’est assez marrant.

En 2011 vous vous êtes donc reformés, comment ça s’est passé ?

Il y a eu un concert et demi en fait. C’était donc aux Rockomotives de Vendôme. Un des programmateurs m’a appelé et m’a dit : « j’ai eu une idée folle, je pense que tu vas m’envoyer chier mais je voudrais inviter Diabologum ». Il se trouve qu’à ce moment là on se voyait tous les quatre et ça se passait plutôt bien. Finalement cette idée folle s’est concrétisée. D’ailleurs quelques temps avant on a eu une offre pour le vernissage d’une expo au Confort Moderne à Poitiers. L’expo, s’appelait « De la neige en été ». Le directeur qui n’était pas au courant du projet de réformation à Vendôme m’a appelé pour me dire qu’il voulait me proposer quelque chose de complètement fou… (Rires) Je lui dis dit « allons-y ». Par contre on a joué trois titres. C’était annoncé comme un concert surprise, mais ça avait fuité à droite à gauche. On a joué vingt minutes.

On peut envisager encore une reformation Diabologum ?

Non. On a eu beaucoup d’offres mais on n’a pas du tout envie de relancer le projet.

Tu as un son mais tu as aussi une plume. Il y a une poésie brute, « universelle et banale » comme tu dis. Quelque chose de cinématographique. Comment travailles-tu ?

En fait, c’est pas très intéressant. Je pense que je travaille comme la plupart des gens qui écrivent des textes. Parfois il y a des idées et puis parfois il n’y en a pas. (Rires). C’est très empirique. J’ai vaguement l’idée de ce que je veux raconter et puis après les mots suivent. On me dit souvent qu’il y a une écriture cinématographique. Ceci dit, c’est vrai que le cinéma, les images ont une influence sur moi beaucoup plus importantes que la littérature par exemple. L’art contemporain, la vidéo, les choses expérimentales, et les séries TV -je regarde beaucoup de séries-, influencent beaucoup plus mon écriture que les livres. Je lis des livres hein ! Il y a des auteurs qui m’ont marqué mais les images m’inspirent plus en fait.

michel-cloup-peniche-cancaleEn 2001 tu sors ton projet Expérience, un an avant Arnaud Mischniak, ton collègue de Diabologum, créait Programme. Que penses-tu de son travail ?

C’était très bon ! Mais c’est à ce moment que j’ai compris pourquoi il y avait eu un clash sur Diabologum et pourquoi chacun était parti dans des directions différentes. Au final, même si plein de gens rapprochaient les deux projets, je pense que c’est deux manières extrêmement différentes de dire des choses assez similaires. Bon, à l’époque c’était un peu compliqué, j’ai pas forcément écouté les albums de Programme en boucle chez moi vu que la séparation n’a pas été vraiment simple. Mais c’est clair que c’est très bon, c’est le haut du panier.

En 2011, tu lances Michel Cloup (Duo), est-ce que tu comprends que certains croient que t’as choisi un drôle de pseudo ?

(Rires) Oui mais bon j’aurai pu m’appeler Jean-Louis Murat !

michel-cloup-duo-ici-et-la-basSur « Ici et là-bas », ton dernier album, tu es rejoint par Julien Rufié. Peux-tu nous dire quelques mots sur votre collaboration ?

Y’avait un autre batteur sur les deux premiers albums, Patrice Cartier qui était également de l’aventure Expérience. Mais il a eu envie de mettre la musique en sourdine, les tournées notamment. Il avait envie de changer de vie. Quant à Julien, on se croisait régulièrement puisqu’il avait son local de répétition en face du mien. On se connaissait depuis longtemps et naturellement je lui ai proposé de jouer ensemble pour voir ce que ça pouvait donner. Assez rapidement on était ok pour jouer ensemble. C’était cool, ça a marché. C’était un début de collaboration assez simple en somme.

Julien, tu peux nous dire un mot sur ta collaboration avec Michel?

C’est tombé à un moment où j’avais moins de projets simultanés. J’aimais beaucoup les disques du duo, je connaissais Patrice l’ancien batteur. Et puis la formule duo m’excitait musicalement. C’est pas forcément très courant surtout dans le rock. J’ai toujours joué dans des groupes où on était au minimum quatre personnes voire plus. J’ai une formation jazz mais j’ai fait du rock essentiellement. Ma culture c’est le rock. On a retravaillé les morceaux que Michel a apporté. Au début on a fait que de la musique. Sans les textes. Il y avait quelque chose d’assez libre et une vraie dynamique, on passait de rien à un énorme magma sonore. Quelque chose d’organique et d’humain m’a séduit. C’était très intéressant.

Le dernier album commence par « Qui je suis » et tu parles d’une époque que tu n’as « jamais autant méprisé ». Pourquoi ?

Bah oui… je sais pas. Je ne vois pas ce que je peux rajouter. En ce moment je trouve que… on se dit à chaque fois que ça va aller mieux et puis en fait j’ai l’impression qu’on va toujours vers le pire. Oui j’assume ce que j’écris mais je ne vois pas ce que je peux expliquer, ça me semble assez évident. On vit une époque de merde.

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Est-ce que cette colère est  « ton meilleur carburant » ? (cf. album « Notre histoire »)

Oui et non… c’est pas que ça aujourd’hui. La colère est un peu plus canalisée, elle s’exprime différemment on va dire. Mais il n’y a pas que de la colère dans mes chansons. On a vachement retenu ce texte, cette phrase et ce refrain mais il n’y pas que ça je crois. Justement j’explore plein de choses plus intimes et plus touchante dans mes textes. La colère n’est pas forcément mon seul moteur.

Sinon, qu’est-ce que tu écoutes ?

Les derniers trucs que j’ai aimé ne sont pas vraiment dans le rock. En fait le rock, à part quelques vieilles têtes m’ennuie un peu. Je trouve la musique d’aujourd’hui assez formatée et plutôt chiante. Y’a des choses biens mais globalement je ne suis pas très excité par ce que j’entends. Y’a des jeunes groupes qui ne sont pas forcément inintéressants, mais comme je commence à avoir un certain âge, je raccroche souvent ça a des choses plus anciennes. J’ai envie de trucs plus surprenants. Mais en ce moment, j’ai bien frissonné sur un guitariste nigérien qui s’appelle Mdou Moctar. C’est du rock touareg, y’a plein de choses dans ses disques. Y’a des morceaux très acoustiques et traditionnels et d’autres très rock et bordéliques. Des espèces de jam transe avec des solos de guitare incroyables qui durent dix minutes. Il a aussi réinterprété des chansons avec des boîtes à rythmes et des vocodeurs. J’écoute aussi un groupe colombien les Meridian Brothers. J’ai bien aimé leurs albums, c’est à la fois bourré de références traditionnelles cumbia et en même temps c’est complètement barré très proche de Devo et The Résidents. Après, j’écoute toujours autant mes vieilles références à moi des années 90. D’ailleurs le dernier album de Thurston Moore était plutôt réussi. Bon, y’a quelques trucs biens mais je trouve quand même que le rock est devenu ennuyeux.

diabologum-3Tu ne trouves pas qu’il n’y a plus du tout de rockstars ?

Pfff moi les rockstars ça m’emmerde ! J’en ai rien à cirer. Même Kurt Cobain je pense que ça lui aurait fait du bien de continuer de sortir des disques garage. Ca ne lui aurait pas empêché d’être bon. Non vraiment les rockstars m’emmerdent. Surtout qu’aujourd’hui on a quoi ? Pete Doherty ? Je suis désolé mais entre lui et Hendrix y’a pas photo. C’est de la merde (Rires). Le problème, c’est que le rock est devenu un moyen de te refourguer des jeans, une musique de fond pour vendre des blousons. The Kills par exemple, c’est une copie conforme pas inspiré d’un groupe des années 80 qui s’appelait Royal Trux. Ce groupe expérimentait des choses. The Kills, c’est juste des poseurs, pour moi c’est vide. C’est emblématique de cette époque que « je n’ai jamais autant méprisé » (Rires). Mais bon visiblement le mainstream plaît aux gens.

Et qu’est-ce que tu regardes ?

Je regarde plus de séries que de films depuis quelques années. Pareil, je trouve que globalement le cinéma est assez chiant. C’est toujours pareil, il y a des pépites dans le cinéma mais dans le fond je trouve que les séries vont beaucoup plus loin. Plus loin dans l’écriture, la psychologie des personnages. On donne le temps de faire vivre des histoires. J’ai vu des trucs comme The Leftovers, plutôt bizarre mais très intéressant. J’ai vu aussi les Marvel sur Netflix. J’ai adoré Breaking Bad, Saul, Fargo, Bloodline… J’en ai vu plein, mais le problème des séries c’est que je les oublie. Surtout quand tu en regardes beaucoup. Je garde toujours le dernier épisode d’une série sur mon disque dur pour me remémorer l’histoire avant d’attaquer une nouvelle saison. (Rires) En plus souvent je m’endors devant. Strangers Things était très créatif mais j’ai trouvé ça un peu trop référencé. Le côté revival était très calibré sur la nostalgie quadra. Mais au final, c’est très réussi bien sûr !

Qu’est-ce que tu manges ?

De moins en moins de viande, mais surtout ce que je ne mange plus ce sont toutes les saloperies qu’il y a dans les loges en tournée. J’ai arrêté les trucs fluo.

– Propos recueillis par Cédric de Montceau
Photos : C.D.M.