Alors qu’un nouveau single d’Elektrisk Gønner vient de voir le jour, certains aficionados du groupe dijonnais se souviennent peut-être de la jeune chanteuse danoise qui avait intégré la bande autour des années 2009/2010. MØ n’était alors qu’une inconnue à la face du monde, loin des 2 milliards de vues Youtube qu’a engendré le titre Lean On, sur lequel elle posait avec Major Lazer en 2015. Retour sur cette rencontre hallucinante, entre concerts explosifs et caprices de diva.

Benjamin Løzninger s’excuse poliment pour son retard –« je discutais avec un ami et je n’ai pas vu le temps filer »- avant de s’attabler dans cette petite brasserie autour du marché dijonnais. Faut dire que le musicien multi-projets, tête pensante d’Elektrisk Gønner, a l’habitude de jongler entre ses différentes activités, naviguant entre Dijon et New York où il vit depuis désormais.

Flashback : l’avant Elektrisk Gønner
L’histoire d’Elektrisk Gønner voit le jour à la fin des années 2000. Un album au compteur, Yer Fire, sorti en 2011 chez Platinium. Un clip sexy à base de boobs et piège à clics avant l’heure (Uknowwhatiwant). Et surtout des concerts bien branlés qui enverront la petite bande un peu partout dans les festivals, des Eurockéennes de Belfort au Primavera à Barcelone, ainsi que sur une tournée nord-américaine. Le concept ? Veste orange, peinture noire sur les yeux, un son électro rock qui n’hésite pas à piocher dans le hip-hop ou la soul, et une bonne dose d’imprévu.

Benjamin n’est pas à son coup d’essai, lui qui s’amusait 10 ans plus tôt chez les énigmatiques Oslø Telescopic, en compagnie de Dominique A notamment. Il se marre : « Il devait juste faire un featuring au départ, on a sympathisé et on a fait un album, The Dominique Ø Project ».  La rencontre avec Dominique A se fera lors d’un des premiers concerts d’Oslø Telescopic, en ouverture du monsieur. Une date programmée au Café de la Danse à Paris par Julien Catala, ami de Benjamin, Bourguignon d’origine et aujourd’hui à la tête du Pitchfork festival Paris et de la très réputée agence artistique Super! Ce soir-là, convaincu de monter sur scène dans cette tenue d’homme brûlé, le Dom’ finira par enlever son accoutrement, à la grande surprise du public. Oslø Telescopic, Elektrisk Gønner : des « o » barrés et de la folie en concert. 

La rencontre sur Myspace
Chez Elektrisk Gønner, le gang est à géométrie variable sur scène. Autour de Benjamin, il y a Pierre, Arnaud, Micha, Cédric, Delphine et les autres… parfois un membre du personnel de la salle qui accueille le groupe, parfois le batteur des Married Monk, parfois Olivier Mellano. Et puis il y a eu Karen Marie Ørsted, alias . « Ça faisait un moment que je cherchais une chanteuse, une voix particulière entre pop et rap. J’étais fan de la voix de la fille des Bumblebeez et je cherchais quelque chose comme ça, avec ce phrasé. En écumant les pages de Myspace à l’époque, je suis tombé sur MØ, je tilte sur le « o » barré. Elle avait déjà quelques morceaux, un peu provoc’, un peu trash. »

Ça colle parfaitement avec ce que notre musicien recherche. À l’époque, la Danoise est quasi une inconnue, fait des concerts punk avec une copine à elle sous le nom MOR. Après quelques messages échangés virtuellement, des démos s’enregistrent, la chanteuse pose sa voix à distance sur les morceaux de Benjamin. En deux semaines, l’affaire est bouclée. Bien sûr, la collaboration se concrétise à la cool, sans contrat ni rien. MØ, qui cherche à percer, est contente de voir un groupe qui s’intéresse à elle, Benjamin tient sa chanteuse.

Eurockéennes de Belfort et petits nichons
L’arrivée de MØ en France pour la première fois s’organisera plus tard lors d’une résidence à La Vapeur à Dijon. Le groupe booké aux Eurocks, il faut bosser pour préparer l’événement. Trois jours avant de plonger dans le grand bain, la Danoise débarque donc à la gare de Dijon du haut de ses 20 piges, accompagnée de trois copines. Quelques répèts’ et hop, direction Belfort. Devant 3.000 personnes, sous sa forme aboutie, Elektrisk Gønner fait belle impression. « C’était vraiment ce que j’avais imaginé, un gang un peu théâtral, un show plus dansant », raconte Benjamin.

Bien aidé par l’équipe de La Vapeur, notamment Gilles de Valck à cette époque, Benjamin mène sa barque et cherche comment assurer la promo d’Elektrisk Gønner. Pour aller encore plus loin, il faut un clip. Un clip pour se faire connaître du public, des salles, partout dans le monde. « Qu’est-ce qui fait parler ? Le sexe, la violence… ». Benjamin en rigole et assume. Après un casting de boobs et une session d’enregistrement dans les locaux de la scène de musiques actuelles dijonnaise, Elektrisk Gønner a son clip sexy et énormément de retours. « Ça a même dépassé l’effet escompté, je lisais des commentaires du genre ‘pas besoin de mettre le son’, la vidéo s’est retrouvée sur des sites porno… »

La tournée nord-américaine, aux États-Unis et au Canada, sera la cerise sur le gâteau pour le groupe, bien que des petits cailloux se soient déjà glissés dans la chaussure de Benjamin. Le label, Platinium, n’en branle pas une pour filer des coups de main et développer le projet. Et MØ, au fil des dates, s’avère être une camarade un peu… désagréable. « À la fois diva et mémé », précise Benjamin. Brillante et rock & roll sur scène, la Danoise est plus introvertie dans la vie, a besoin de sa petite sieste et des exigences alimentaires strictes.

« Is this brie ? »
Après les Eurockéennes, Elektrisk Gønner est invité à jouer un peu partout, il faut s’organiser pour payer les billets d’avion de la chanteuse à chaque fois, qui vit toujours au Danemark. La distance n’aide pas non plus. Humainement, ça se complique au fil du temps. Arnaud Pollier, alias Jaromil, confirme. Pilier fidèle de l’aventure Elektrisk Gønner, Arnaud s’est occupé notamment du mixage de l’album à Paris, accueillant la jeune MØ pour faire les prises de son de voix dans son petit appartement de l’époque. « C’était une accumulation de petites choses, on l’hébergeait à la cool lors du mixage à Paris, on se pliait à ses exigences du genre bouffe sans gluten, et elle n’avait aucune reconnaissance, ou alors elle ne se rendait pas compte qu’elle était chez des gens et pas logée par un label ».

Malgré tout, Arnaud la prend sous son aile et endosse le rôle de nounou avec la teen. « Elle était gentille par ailleurs, mais si elle avait faim à 17h02, il fallait que j’aille casser les couilles au monde entier pour qu’elle mange à 17h02. À la fin, j’en avais ras le bol d’être l’assistant de madame et je commençais à ne plus profiter des concerts ». L’enchaînement des mauvais coups use tout le monde, même si le groupe s’en souvient aujourd’hui avec rigolade. Le choc des cultures se traduisant souvent dans l’assiette, l’anecdote la plus cocasse restera le concert de rentrée à Dijon en 2010, selon Arnaud. « Ce soir-là, elle ne pouvait pas avoir un catering plus joli, avec des produits locaux, on mangeait sous les dorures du palais des Ducs, c’était parfait. Lors de ce repas, elle était bien et avait décidé de goûter aux fromages d’ici alors que d’habitude elle ne mangeait que du brie par peur d’être contaminée par des bactéries. Je lui conseille un époisses mais je la préviens, lui dis que c’est très fort et lui suggère de préparer tout de suite un petit verre de Pinot noir pour compenser, une fois la bouchée avalée. Là, elle a mis le pain avec le petit bout de fromage dans la bouche… silence… Elle est partie en courant aux toilettes recracher tout ça… C’était vraiment théâtral comme réaction. Sur toutes les autres dates, lorsqu’il y avait du fromage elle répétait « Is this brie, is this brie ? » pour être sûre de ne pas se faire avoir. C’est devenu une blague entre nous. » Coquins. 

Les histoires d’amour finissent mal
Arnaud l’avouera : la tournée US-Canada, il refusera de la faire pour ne pas avoir à subir les petits caprices de la starlette et son manque de reconnaissance. Idem pour Pierre, le batteur. « Faut reconnaître qu’elle est hyper talentueuse, avec une voix incroyable. Et elle a été courageuse de venir ici à 20 piges, débarquant dans ce groupe de mecs », assure Arnaud. Faire les Eurockéennes, les grands festivals, le concert de rentrée, c’était déjà exceptionnel pour les amis dijonnais. Mais visiblement, pour MØ, tout était normal. « Peut-être qu’elle avait conscience de tout ça, mais elle ne le montrait pas », appuie Pierre. L’histoire entre MØ et Elektrisk Gønner finira en eau de boudin. « Elle nous a plantés sur une date ou deux, à la fin », indique Benjamin, qui lui fera comprendre qu’il était sans doute temps de passer à autre chose. MØ signera un deal chez Sony avec un CV vierge selon ce poids lourd de l’industrie, qui se targue d’avoir découvert lui-même la pépite danoise. La suite de l’histoire, vous la connaissez. Un premier album solo qui cartonne, Major Lazer, Justin Bieber, Avicii, des concerts blindés dans les festivals partout dans le monde.

Désormais superstar de la pop, MØ ne citera jamais Elektrisk Gønner dans ses interviews, mentionnant tout juste du bout des lèvres une implication dans un « groupe de Français », malgré cette petite période de sa vie où elle a pu tourner en Europe et en Amérique du Nord, se faire des expériences, prendre de l’assurance sur scène. Reniement ? Regret ? On ne saura pas. L’artiste a été contactée par nos soins, pas de réponse. Benjamin n’aura plus aucune nouvelle de sa part, malgré ses relances. Pas grave, un nouveau cru d’Elektrisk Gønner vient d’être présenté avec l’excellent morceau Money. D’ailleurs, pour ce grand retour, Benjamin a fait grimper une nouvelle chanteuse à bord du projet, la new-yorksaise Skyler Cocco. Attention, vous savez ce que ça veut dire…

– Pierre-Olivier Bobo
Photos : Vincent Arbelet, Tamara Hansen

Elektrisk Gønner – Money (Painted Black / Kaleidoscope)