C’est la teuf au DFCO. Pendant que les gars se maintiennent dans l’élite, les filles, elles, y accèdent. Justement, on en parle avec la capitaine Alexia Trevisan. N’en déplaise aux bouffons qui pensent que le foot n’est qu’une affaire de gars bien burnés, Alexia a une vraie vision du foot et régale au sein de la défense centrale des féminines du DFCO. La montée en D1, la perception du foot féminin, son évolution, l’unité du DFCO… Entretien 4-4-2 et cheveux longs.

Bon, l’accession en Ligue 1, on imagine que c’était énorme dans le vestiaire. Comment avez-vous vécu ce grand moment ?

C’était vraiment un moment agréable à vivre parce qu’on arrive à monter à 2 journées de la fin. Puis c’est vrai qu’au mois de mars, on ne voyait pas tout ça comme perdu mais la défaite à Nancy nous a fait mal sur le coup mais elle nous a servi à remobiliser un peu tout le monde. Monter à 2 journées de la fin (NDLR : Entretien réalisé le 11 mai 2018), c’est une grosse satisfaction. On a pu fêter ça à l’avance en conservant un minimum de concentration pour les matchs qui restent pour finir avec plein de points d’avance.

En plus, c’est compliqué pour monter, il faut absolument finir premier. Ça doit pas être facile d’aborder ça psychologiquement…

Oui, c’est ça. Il y a 2 groupes en 2ème division féminine, le premier de chaque monte. C’est le plus dur, on a quasiment pas le droit à l’erreur. On a 2 défaites pour le moment, le coach nous avait prévenu en nous disant que l’équipe qui perdrait le moins de matchs allait monter, il nous avait dit qu’on allait avoir 2 jokers, pas plus. On les a grillés (NDLR : 2 défaites face à Nancy et Saint-Etienne) et on est premier. Il avait raison. Faut être constant, tout le temps concentré. C’est un sacré challenge, on n’a même pas de barrage, ni de meilleur deuxième.

Dès l’entame de saison, l’ambition de monter était déjà là ?

Je suis arrivé ici en 2015 et le projet du club était de monter en Ligue 1 dans les trois ans. En 2016, on finit 2ème derrière l’OM à quelques points. L’an passé, on termine à 1 point du Val d’Orge et on ne monte pas à la dernière journée. Là, c’était vraiment frustrant…

Qu’est-ce qui a été votre force cette année ?

À la base, on est une bande de copines. On a aussi un groupe de qualité, la majorité des filles présentes ici ont côtoyées la D1, notamment Tatiana Solanet ou Laura Bouillot avec qui j’ai joué à Yzeure (NDLR : Alexia y a évolué entre 2010 et 2014), puis même celles qui n’ont pas forcément évolué en D1 ont connu des sélections nationales en jeune. Cette expérience est un plus pour la gestion des matchs. La qualité technique et tactique de notre groupe a aussi fait sa dynamique.

« Les Lingons qui viennent nous voir pour le match de la montée ? Honnêtement, je n’ai jamais vu une telle ambiance dans ma carrière.« 

 

Justement, ça t’inspire quoi de jouer des grosses écuries comme l’Olympique Lyonnais ou le Paris-Saint-Germain l’an prochain ?

Personnellement, je l’aborde sans pression car je connais ce championnat. Après jouer ces équipes, c’est pas forcément marrant dans le sens où les surprises sont impossibles, c’est pas comme le football masculin de ce point de vue là. L’écart est important, dans ces clubs, tu trouves des internationales, c’est plus puissant aussi, on va apprendre.

Vous avez obtenu votre accession lors de la victoire 4-0 face à Ambilly, les Lingons ont mis le feu…

Pour être honnête, c’est la première fois que je vis ça, et même quand j’ai joué contre des grosses équipes comme l’OL… Je n’ai jamais vu une telle ambiance dans ma carrière. Ils sont déjà venus nous encourager contre Grenoble et Yzeure, deux matchs qu’on a gagné. C’était assez impressionnant de voir comment ça impulse le groupe surtout dans les moments de faiblesse, ça donne une envie en plus. On a pas l’impression que les matchs durent 90 minutes. C’était une fête énorme, je trouve ça vraiment bien qu’on puisse voir ça dans le football féminin et encore plus à Dijon. Le fait qu’ils nous suivent nous, les filles, ainsi que les gars, ça permet de voir qu’on est un club uni.

Oui ça participe de l’image familiale du club. D’ailleurs, les gars viennent vous voir souvent ?

Oui, Frédéric Sammaritano et encore Baptiste Reynet viennent assez souvent et sont même passés à la soirée après. Pierre Lees-Melou venait souvent aussi l’an dernier. Je sais que beaucoup sont venus pour le match d’Ambilly, y’avait Tavares, Abeid, Massouema, Rosier etc… C’est là qu’on voit que ces joueurs sont abordables. Quand je compare ça à des joueuses de l’OM que je connais, là-bas aucun gars du groupe pro’ ne va les voir jouer. Peut-être que ça va donner envie aux autres de venir nous voir un peu plus et de nous connaitre. Nous, on va pratiquement à tous les matchs et on connait leurs noms.

Crédit : DFCO

En tant que joueuses de deuxième division, ça se passe comment pour vous ? Vous êtes pros ? Semi-pro ? Vous avez un autre métier à côté ? Comment ça se passe pour toi ?

Je ne sais pas trop quel statut me donner. J’ai un contrat apprentissage, c’est à dire que je me forme parallèlement. C’était hors de question pour moi de ne rien faire à côté. Les 2 premières années, j’ai passé un BPJEPS Sport Collectif que j’ai validé. Actuellement, je certifie mon BMF pour pouvoir encadrer des équipes de football. Et l’an prochain, j’envisage de faire un BPJEPS dans la préparation physique.

Et dans l’équipe ?

Tu as de tout, des contrats apprentissage comme moi, des contrats fédéraux. Sinon il y a un peu de tout, des professeurs d’EPS, des peintres, des diététiciennes, des étudiantes…

Ça va pas poser de problème l’an prochain ? Ça va rester comme ça ?

Canal+ a racheté les droits du foot féminin, les matchs se dérouleront le samedi après-midi, et ça peut poser des problèmes pour pas mal de filles, notamment pour les gros déplacements à Bordeaux ou à Guingamp où il faudra obligatoirement partir la veille. Je ne sais pas trop comment ça se passera pour les filles qui bosseront le vendredi.

Y’a quand même 2 mondes dans le prétendu monde pro féminin… quand tu compares avec les filles qui ont le statut « professionnel » et qui ont tout leur temps consacré uniquement à la pratique du foot, à la récupération etc…

J’aime pas trop faire la comparaison mais nous on fait vraiment ça avec plaisir, sans tenir trop compte de tout ça. Tu as le club de Soyaux (NDLR : Un club de Charente, évoluant en D1), qui est vraiment amateur avec un tout petit budget et ça fonctionne. C’est un exemple. Toutes les filles travaillent et s’entrainent le soir, partent en déplacement le week-end. Elles arrivent à tout combiner, faut être organisé, faire attention à la fatigue. Après oui, ces filles qui ont un statut professionnel et qui évoluent dans les gros clubs ont un cran d’avance : Le matin, elles ont des séances de muscu, tout est allégé. C’est d’autres conditions. J’espère que ça va s’étendre aux autres clubs sinon ils vont en avoir marre que ce soit toujours Lyon devant.

« Les gens restent assez butés par rapport au fait que les filles pratiquent le football. Je les laisse penser ce qu’ils veulent, moi, je sais ce qu’on vaut. »

 

Lors du match DFCO-Guingamp, le speaker a annoncé votre accession au micro. Les gens au stade ont applaudi en masse. Tu sens l’engouement s’intensifier à l’égard du football féminin ?

Oui, vraiment. On est davantage sollicité, que ce soit dans des tournois ou même chez les petites que j’entraine, elles me demandent de signer leur t-shirt alors que je suis leur éducatrice. Les gens viennent de plus en plus au stade en plus de ça… Contre Ambilly, y’avait pas loin de 1000 personnes, pour un match de D2…

C’est bien. Ça tord le cou un peu à un univers essentiellement masculin qui pense que le foot n’est qu’une affaire de mecs…

Faut être ouvert d’esprit. Pour connaître des hommes qui n’ont que des fils, ils ne veulent absolument pas entendre parler du football féminin. Peut-être que leur vision changerait s’ils avaient une fille ou tout simplement s’ils allaient voir du football féminin. Après, l’intérêt du football à Dijon peut grandir avec notre accession, les réceptions de Lyon ou Paris attireront des gens au stade.

Mais tu leur dis quoi aux gens qui sont encore réfractaires au football féminin ?

Au début, j’essayais de faire changer leur mentalité, maintenant un peu moins. Les gens restent assez butés. Je les laisse penser ce qu’ils veulent, moi, je sais ce qu’on vaut. On sait autant jouer que les garçons, on a rien à envier à certains sur le plan technique. Après on est sans doute moins puissantes, nos morphologies ne sont pas les mêmes. On a encore du mal à être acceptées dans ce milieu par certains. Par exemple, au sein de ma formation, on n’est que 2 filles, les autres, ce sont des gars qui jouent en N3 ou DH dont certains se sont demandés ce qu’on foutait là. On nous a mis un ballon entre les pieds et on leur a montré qu’on était pas si ridicules que ça. À partir de là, les mentalités changent un peu.

Pour en revenir à toi, tu es capitaine de l’équipe depuis janvier 2017. Tu es originaire de Montceau-les-Mines, t’as joué au club de Flacé Mâcon. Comment t’es venue la passion du foot ?

J’ai commencé par la natation et au bout d’un moment je n’en pouvais plus de faire des allers-retours dans le bassin. Je faisais des compétitions nationales. Quand j’avais pas compétition, j’allais voir mon frère au match de foot, on jouait souvent ensemble et c’est à partir de ce moment que mon père a vu que je m’éclatais plus dans cette discipline. J’ai eu un peu de mal au début à aller au club de foot, parce que je ne voyais pas la moindre fille ! Mon père m’a forcé et c’est là que tout a commencé. J’avais 13 ans et demi, j’ai commencé tard mais j’avais acquis des bases de par mon frère et les moments où on s’amusait ensemble.

« Nous, les défenseurs, on est perçues comme des bouchers ou des bourins alors que le sport a changé. Il faut être technique. »

 

Tu as toujours joué à ce poste de défenseur ?

Non, j’ai commencé 9 puis je n’ai cessé de reculer, pour ensuite être milieu droit. Ensuite, Yzeure m’a recrutée après m’avoir vu jouer en défense centrale ma toute première fois, j’occupais ce poste pour dépanner. J’avais 20 ans. J’ai pas mal appris à Yzeure sur ce rôle.

J’ai vu une compilation de toi qui traîne sur YouTube. T’es plutôt dure sur la femme, t’as l’air d’être difficile à passer, tu y vas… C’est quoi pour toi une bonne défenseuse ?

Savoir lire les trajectoires, anticiper mais aussi avoir un bon bagage technique, on est les premières joueuses sur le terrain à faire les premières relances. On est perçues comme des bouchers ou des bourins alors que le sport a changé. Personnellement, je pense avoir une bonne vitesse, une fille qui va vite, ça ne fait pas peur.

Alors cet été, tu files au Texas disputer le championnat du monde militaire de foot féminin, c’est quoi cette compétition ? Je ne savais même pas que ça existait…

Et bah moi non plus. Au départ, je pensais que la compétition était exclusivement réservée aux militaires, mais non. La sélectionneuse m’a dit que les militaires n’avaient pas le niveau en général pour y participer. Les joueuses de l’Équipe de France féminine pourraient y aller, tout comme les grandes joueuses des autres nations mais les staffs ne veulent pas car la coupe du monde arrive l’an prochain en France. Mine de rien, y’aura du niveau. Notre liste abrite pas mal de filles de D1. Je suis satisfaite d’intégrer une Équipe de France même militaire, j’avais déjà fait des pré-sélections en U19 mais ça n’avait abouti à rien. Je me suis fait les croisés il y a maintenant quelques années, j’ai vraiment travaillé pour revenir, ça m’a forgé un mental et il y a cette récompense au bout. Je suis confiante, je fais une bonne saison, j’y vais avec ma coéquipière Tatiana Solanet et surtout je ne suis jamais allée aux États-Unis. C’est le top. 

Pour finir, Marinette Pichon ou Sergio Ramos ?

Griezmann ! Il vient de Mâcon. Gamine, j’ai joué contre lui, le voir faire une telle carrière, c’est génial.

 

  • Interview réalisée par Mhedi Merini

Photo de Une : Vincent Poyer.