Voilà maintenant plus d’un an que l’international tunisien Oussama Haddadi avale les bornes sur les flancs gauches de Ligue 1, pendant que tu vomis encore tes poumons du Soccer 5 du dimanche d’y a 2 semaines. Son intégration à la vie dijonnaise et à la Ligue 1, son amour indéfectible pour le Club Africain, le mondial russe… Comme d’habitude, l’infatigable latéral gauche du DFCO n’a pas triché et s’est adonné au petit jeu des confessions. Interview à la fleur d’oranger, ambiance café des délices. 

Bon Oussama, tu viens de Tunisie, t’as joué pendant 7 ans au Club Africain de Tunis. On est arrivé ce matin y’avait des supporters de ce club qui t’attendaient déjà, ça arrive souvent ? Tu as encore une belle image là-bas ?

Oui, ils viennent me voir très souvent, ça fait très plaisir. C’est mon club, j’ai quasiment fait toute ma carrière là-bas. J’y ai été formé, j’ai passé 6 ans avec les équipes de jeunes, 7 avec le groupe pro en étant capitaine les 2 dernières saisons. 

Raconte-nous un peu comment c’était les derbys de Tunis entre le Club Africain et l’Espérance de Tunis ? C’était chaud ?

Ouais, c’est très chaud, vraiment. Tu as des supporters qui ne dorment pas la veille du match avec le stress et la tension. Je me souviens du derby de 2015, chez nous, c’était la finale de championnat. Il restait 2 matchs et on avait 2 points d’avance, si on gagnait ce match, on était champions, si on perdait, ils passaient devant nous avec 1 point. On a gagné ce match 1-0 (NDLR : suite à une percée et un centre d’Oussama en personne, c’est la vidéo), l’ambiance était exceptionnelle. Il y avait 60.000 supporters du Club Africain, puisque maintenant en Tunisie, les supporters ne peuvent plus se déplacer par sécurité à cause de problèmes qu’il y a eu dans d’autres matchs, même pas dans le derby en plus. Avant c’était 30.000 / 30.000. Et quand tu te déplaces, tu entends les insultes, c’est très difficile de se concentrer.

Et la ville s’arrête de vivre ? Elle est coupée en deux ?

Oui, en fait, au centre-ville de Tunis, tu as le quartier de Bab Jedid aux couleurs du Club Africain et  Bab Souika, celui de l’Espérance, c’est juste à côté. D’ailleurs, on arrive à voir leur parc d’entrainement depuis le nôtre, y’a même pas 500 mètres. En plus de ça, on partage ensemble le Stade Olympique de Radès. Et quand tu te déplaces, c’est très dur. Tu as 60.000 spectateurs qui te détestent, on entend toutes les insultes, il faut rester concentré et c’est le plus dur.

Du coup, quand tu arrives à Dijon, c’est pas la même ambiance. C’est plus difficile de se motiver ? Comment ça se passe ?

Non, on a toujours la motivation car on aime le foot et on se donne à 1000 pour-cent, peu importe les supporters, le club, c’est mon métier. Mais au Club Africain, les gens vivent pour le Club Africain. Franchement, je n’ai jamais vu ça dans ma vie. Les gens te disent : « Dans la vie, j’ai ma religion, ma famille et le Club Africain ». Je connais même des gens qui ont divorcé à cause du Club Africain ou d’un derby. Ils rentrent et se fâchent avec leur femme. T’as aussi des gens qui sont morts pour ça. C’est un truc de malade.

On peut dire qu’il y a une connexion, une histoire liée entre le football tunisien et le football français. Tu as beaucoup de joueurs tunisiens qui ont évolué et jouent toujours en Ligue 1 et à l’inverse la Tunisie à gagner la CAN avec Roger Lemerre en 2004. Pourquoi tu as choisi Dijon particulièrement ?

C’est le club qui me voulait le plus, même si y’avait aussi des clubs allemands et turcs. Pour moi, la Ligue 1, c’était très bien pour débuter en Europe et comme je parle le français, ça facilite forcément l’intégration.

Quand 2 amoureux du Club Africain se retrouvent au paradis de la ZX

Tu savais des choses sur la ville avant de venir ?

Non, rien du tout. Enfin, si, je savais juste qu’il faisait froid. Après, j’aime bien l’environnement ici, l’ambiance est familiale. Quand je trouve des jours de repos, j’en profite pour aller visiter les endroits d’à côté comme la Suisse. J’aime bien la montagne, la nature. Comme j’ai pas beaucoup d’amis tunisiens dans ces coins là, je pars parfois avec des coéquipiers comme Foued Chafik, avec ma copine ou tout seul.

Et à Dijon, tu sors un peu ? Tu as le temps pour profiter de la ville ?

J’ai pas beaucoup de temps, je suis souvent à la maison pour bien récupérer, quand j’ai une ou deux journées de repos après les matchs, je profite, sinon c’est compliqué.

D’ailleurs, c’est un sujet dont on parle peu mais la vie privée d’un footballeur pro n’est pas difficile par moment ? Tu peux pas toujours faire ce que tu veux ?

C’est difficile car on ne peut pas faire n’importe quoi, on ne peut pas s’amuser n’importe où, n’importe quand. Il faut être préparé et concentré à chaque entrainement, tout va vite dans le football professionnel, à la moindre connerie, tu peux te blesser. Si tu sors en boite, tu auras des problèmes physiques. Pour moi, la récupération est aussi importante que l’entrainement.

« Je connais même des gens qui ont divorcé à cause du Club Africain ou d’un derby. C’est un truc de malade. »

 

Au niveau du terrain, tu as toujours été défenseur ?

Ouais, depuis tout petit, j’étais défenseur central pendant toute ma formation au Club Africain. J’ai commencé à évoluer en tant que latéral gauche avec les pros avec le coach Pierre Lechantre (NDLR : Pierre Lechantre a entrainé le Club Africain lors de la saison 2009-2010). Depuis ce jour-là et jusqu’à présent, je n’ai pas quitté ce poste.

C’est pas un peu ingrat, un peu dur comme poste ? Tu dois être au top physiquement, être bon défensivement, bon offensivement etc…

C’est très très dur, on fait beaucoup de kilomètres, le plus de courses à haute intensité mais c’est bien, ça me plait. J’aime bien faire les efforts, me donner à 1000 pour-cent et rentrer chez moi sans regrets, tranquille, avec le sentiment d’avoir tout donné, même si on perd.

Et le niveau du championnat français par rapport à ce que tu avais vécu auparavant ?

La Ligue 1 ? Globalement, c’est plus fort comparé au championnat tunisien qui est quand même plus basé sur l’engagement. En France, c’est plus tactique, plus technique, plus physique, c’est le haut-niveau. On travaille beaucoup plus ici au niveau de la préparation des matchs.

Y’a des équipes qui t’ont impressionné ? Des joueurs ?

Lyon et Paris, évidemment. Au niveau des joueurs, Lacazette m’avait beaucoup impressionné l’an dernier. Tu as aussi Fékir, tellement vif, explosif et à la fois solide. C’est très dur de gérer ce genre de joueur de petite taille qui va vite et si technique.

Le DFCO est présenté comme la petite équipe du championnat, tu le vois comment ça toi ?

Personnellement, je ne m’intéresse pas à ceux qui disent que Dijon est une petite équipe ou je ne sais quoi. L’intérêt pour nous était de finir maintenu, c’est le cas. Maintenant, si on finit 10ème ou 11ème, tant mieux. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent mais nous on joue bien au foot, on a peur de personne. Quand on va à Paris, on y va pour jouer foot même si on prend des buts derrière, des 8 ou des 5-0. Certes, il faut être solide, ne pas laisser trop d’espaces, tenter de bien jouer au foot en étant fort défensivement. Notre coach veut qu’on joue bien au foot et qu’on prenne du plaisir.

Comment tu juges cette saison dans l’ensemble ? Vous avez acquis le maintien assez tôt comparé à l’an passé et puis au niveau de la progression dans le jeu ?

On se sent clairement plus fort que l’année dernière. Si on avait gagné plus de matchs à l’extérieur, on serait bien plus haut au classement et il ne faut pas oublier notre grosse série à domicile (NDLR : soit 10 matchs sans perdre). Dans l’ensemble, on fait une très bonne saison, sur tous les plans. Il ne faut pas lâcher les 4 derniers matchs (NDLR : Interview réalisé le 25 avril dernier).

« Je déteste l’attaquant qui veut me dribbler, faire le malade avec moi. Il faut le calmer. » 

 

Justement, quand tu es sur de rester en Ligue 1, comment tu fais pour te remotiver ?

Non. Tu as le classement, il faut toujours avoir un objectif, se fixer le top 10, ce sera très bien.

On t’entend dire que pour toi, Dijon, c’est le club parfait pour progresser en Europe. Comment tu vois ton avenir ? Tu aimerais changer ?

Je me plais très bien ici, je sais que je peux y progresser, m’améliorer sur certains domaines. C’est un bon club, structuré et sérieux. Toutes les conditions sont réunies. Après, oui, j’ai des ambitions sur le plan personnel, j’aimerai voir jusqu’où je peux aller. J’ai la Coupe du Monde qui arrive, c’est une bonne vitrine pour se montrer. Sinon, j’aime bien la Bundelisga et la Premier League. C’est le top.

T’as eu des touches ?

Oui en Allemagne. J’en ai eu aussi en Championship (NDLR : La 2ème division anglaise), y’avait Fulham qui s’était manifesté. Après, c’était compliqué pour moi de jouer en Angleterre parce que je n’avais pas le passeport européen qui me permettait de jouer là haut.

Avec les potos de la sélection. Crédit : Instagram d’Oussama Haddadi.

Bon, y’a un truc important qui se passe à la fin de l’année avec ton équipe nationale…

Oui, évidemment, j’espère être dans les 23 pour le Coupe du Monde. Je suis toujours appelé lors les rassemblements. Je dois me montrer prêt. Le sélectionneur m’a dit qu’il n’y allait avoir aucun problème si je jouais, j’ai participé à tous les matchs cette saison, sauf quand j’étais suspendu.

Tu tombes dans le groupe de l’Angleterre, la Belgique et le Panama, tu le vois comment ça ?

Ça va être très dur. Après, on a un très bon groupe, on est 14ème au classement FIFA. On sort de deux amicaux où on a fait deux performances de très haut niveau contre le Costa Rica et l’Iran. Notre objectif va être d’essayer de passer le premier tour, une chose que la nation n’a jamais réalisé dans son histoire. C’est le rêve de tout un peuple.

Tu n’es pas toujours titulaire en sélection en ce moment, comment tu abordes ça psychologiquement et à l’approche d’un tel évènement ?

Je travaille pour la gagner, la sélection c’est dur. Tu as les meilleurs joueurs du pays qui prétendent à une place de titulaire, c’est normal que ce ne soit pas facile. Tu as beaucoup de bons joueurs en Tunisie qui évoluent dans des championnats costauds comme en France, en Turquie.

Tu penses qu’il y aura une révélation dans le groupe Tunisie, un joueur qui va se démarquer ?

Tu as Youssef Msakni qui s’est gravement blessé en se faisant les croisés, lui c’est un sacré joueur…

Crédit : Facebook Oussama Haddadi

Justement les blessures avant les grandes échéances, tu y penses ? Tu te retiens ? Ça te fait peur ?

Non ! (avec les gros yeux) Y penser, c’est le meilleur moyen de se blesser. Il ne faut pas se retenir, y aller moins fort, moins mettre le pied.

C’est vrai que toi tu y vas jamais à moitié, des fois même, au stade, tu nous fais peur, tu ne te retiens jamais.

Oui, les défenseurs doivent y aller et être des guerriers. Il faut que les attaquants ressentent la peur pour prendre le dessus dans la tête. Moi je déteste l’attaquant qui veut me dribbler, faire le malade avec moi. Il faut le calmer.

Ton pote Naïm Sliti reste au DFCO, les dirigeants ont payé l’option d’achat. T’es content ? Et toi d’ailleurs, tu restes aussi ?

Oui ! Avant qu’il nous rejoigne ici, et même bien avant que Dijon prenne contact je l’avais souvent au téléphone et je lui disais : «  Viens à Dijon, on a un bon groupe ». Quand Dijon l’a contacté, je lui ai dit «  N’hésite pas ! Viens ! Tu vas être tranquille ». Finalement, il est content, il a bien rebondi. Après, en ce qui me concerne, je suis en contrat jusqu’en 2019, pour le moment, je me sens très bien ici, ça va dépendre de la Coupe du Monde, de la fin de saison. On verra.

Pour finir, ton pied droit, il te sert à quoi ?

À accélérer ! à courir ! C’est plus dur pour nous, les purs gauchers, d’utiliser notre pied droit. Naïm (Sliti) et Foued (Chafik) se moquent toujours de moi par rapport à ça…

 

  • Interview réalisée par Chablis Winston & Mhedi Merini.

Photos : Mhedi Merini.