De Saint-Rémy en Saône-et-Loire à Dijon, Gaëtan Boissard a fait du chemin. Aujourd’hui préparateur physique des U20 de l’équipe de France de rugby, tout juste sacrée championne du monde, le Gaët’ nous raconte ce sacre et son travail de l’ombre, si important. Interview certifiée sans point de côté. 

T’es natif de Saint-Rémy, comment t’es venu le kiffe du Rugby ?

J’ai commencé le rugby à Chagny quand j’avais 10 ans avec des potes. Avant j’ai joué au foot, puis j’ai fait pas mal de sport à côté de ça. Je suis rentré dans le rugby avec des copains qui y jouaient. Ce qui me branchait vraiment c’était de faire des sports collectifs, ça s’est fait très simplement.

T’es préparateur physique des U20 de l’équipe de France de rugby, comment t’as fait le saut dans la préparation physique au juste ?

J’ai commencé des études en STAPS, je ne savais pas trop ce que je voulais faire, j’avais pas envie d’être prof d’EPS, c’est au fur et à mesure des cours, des rencontres, des découvertes que je me suis orienté vers la préparation, après j’ai aussi toujours passé mes diplômes d’entraîneur à côté, c’est pour ça aussi que je suis entraîneur-adjoint au pôle espoir de Dijon, ça me convient très bien, je fais de la préparation et du rugby avec les jeunes. Ensuite, c’est à partir du moment où les staffs des équipes de France en jeune ont commencé à s’élargir que je suis arrivé là bas, j’avais aussi l’avantage d’avoir un profil très rugby. Il faut savoir que ce sport est professionnel depuis pas si longtemps et les préparateurs physiques venaient de l’athlétisme ou d’autres sports…

Justement, les U20 ont été champions du monde au mois de juin dernier à Bézier, tu faisais partie du staff, vous avez tapé l’Angleterre en finale en plus. Que représente ce titre pour toi et tous ces jeunes ?

Ça représente énormément d’investissement et beaucoup de travail aussi… C’est une vraie récompense. C’est aussi un beau petit pied nez adressé à ceux qui critiquaient la formation française, quand le XV de France perd un match, c’est toujours la faute de la formation. Pour des personnes comme moi qui sont dedans tous les jours, ça fait un peu mal d’entendre tout ça. On a montré qu’on avait de bons jeunes joueurs et qu’ils pouvaient gagner quelque chose. C’était vraiment une super aventure humaine, avec un super groupe et des jeunes qui viennent d’horizons très différents, on représente bien ce qu’est la France et ça c’est une grande fierté.

« C’était vraiment une super aventure humaine, avec un super groupe et des jeunes qui viennent d’horizons très différents, on représente bien ce qu’est la France et ça c’est une grande fierté. »

Y’a une sacrée génération qui arrive…

Oui, tu as des joueurs très talentueux à tous les postes mais avant tout, c’est des super mecs, humbles et travailleurs qui sont là pour jouer et se faire plaisir. C’est ça qui a fait notre force, on n’a jamais oublié que le rugby restait un jeu, notre manager l’a bien dit : “Le rugby ça ne se récite pas, ça se joue”, il a su enlever toute la pression aux joueurs pour qu’ils se libèrent.

Toi qui étais à l’intérieur, qu’est-ce qui a fait la force du groupe ? Il y a eu un moment clé selon toi qui a permis à l’équipe d’aller au bout ?

C’est difficile de retenir un moment en particulier. Après les deux premiers matchs un peu poussif (ndlr : contre l’Irlande et la Géorgie) où on sentait les joueurs sous pression, on a fait une petite soirée entre nous. Et nous, le staff, on était super content parce que les joueurs se sont mis à l’écart et ont parlé entre eux. Ils ont vraiment pris le projet en main à partir de ce soir-là en se disant qu’il fallait se libérer, le match d’après, ils mettent 40 points à l’Afrique du Sud. À partir de là, on avait une énorme confiance collective. Quand ton équipe sait jouer et qu’elle est en confiance, c’est compliqué de l’arrêter.

Ce que tu me dis me fait penser à la Coupe du Monde 2011 où Lievremont et ses joueurs s’étaient mis une grosse caisse pendant la compétition…

Oui, c’est ça, il voulait que les joueurs s’affranchissent pour prendre le projet en main. Mais c’était bien plus alcoolisé que nous (rires). On a juste fait un petit restau vers la plage, un moment pour décompresser. Je pense que quelque chose s’est débloqué ce soir-là, en effet, mais ces jeunes avaient une envie monstrueuse, tous les joueurs avaient la dalle et envie d’aller chercher ce titre. C’est le fruit de beaucoup de travail, on profitait brièvement le soir de victoire, dès le lendemain on était focalisé sur l’adversaire d’après.

Et alors après la finale, ça s’est passé comment ?

Complètement fou. C’était chez nous, en France, à Béziers, avec un public en folie, ils étaient à peu près de 20.000, c’est énorme pour une compétition de jeune. J’ai senti qu’ils avaient aimé notre style de jeu, ils ont pris du plaisir à nous regarder. Ensuite, on a pu se libérer et fêter ça ensemble. Maintenant, il y a des liens vraiment forts entre nous que ce soit avec les membres du staff et les joueurs. Cette saison, on a gagné le tournoi des 6 Nations et la Coupe du Monde, ce qui n’avait jamais été fait dans l’histoire du rugby français. Après tout, c’est pas une finalité, on espère que c’est le point de départ de quelque chose, il y a marqué 5 fois « Nouvelle-Zélande » sur le palmarès de cette coupe du monde U20, on aimerait que le nom de notre pays y figure autant de fois. On veut être régulier et que ce ne soit pas juste un coup.

« Il y a marqué 5 fois ‘Nouvelle-Zélande’ sur le palmarès de cette coupe du monde u20, on aimerait que le nom de notre pays y figure autant de fois. »

J’aimerais qu’on parle de ton métier de préparateur physique maintenant. À mon avis, on n’imagine pas assez l’importance que votre travail représente, t’as beaucoup de responsabilité sur la forme des joueurs…

C’est sur. Alors après, avec les U20, c’est dans le cadre d’une sélection, la majorité du travail effectué s’est fait avec les clubs, ce qui induit beaucoup d’échanges avec eux et les différents préparateurs physiques des centres de formation et des équipes pros parce que la plupart de ces U20 commencent à croquer chez les grands. Tous ces clubs travaillent différemment donc il faut savoir s’en accommoder et le prendre en compte dans la préparation. Faut pas compter ses heures, on est souvent levé avant tout le monde, et couché après avec toute la batterie de tests sur les joueurs pour leur état de forme, avec beaucoup de suivis, beaucoup de données à gérer. C’est un vrai travail de l’ombre, on n’est jamais mis en avant. Après, nous on a “la chance” de ne pas choisir qui joue et qui ne joue pas donc on est super proche des joueurs. Je suis amené à faire des séances avec eux, jusqu’à 5 par jour parfois, notamment pour ceux qui reviennent de blessure, j’aime bien cet aspect du métier : aider chaque joueur, individuellement, à arriver à son meilleur état de forme surtout quand tu prépares une Coupe du Monde en fin de saison où tu as des joueurs qui arrivent cramés, d’autres pas assez en forme, faut individualiser le travail et aller loin dans la relation avec le joueur.

C’est un vrai travail de fourmi, le moindre détail compte jusqu’à la prise de sang individuelle…

Une Coupe du Monde se joue dans un espace temps très réduit, là on avait 4 jours pour travailler entre les matchs, l’objectif était que les joueurs récupèrent vite, pour cela il faut savoir dans quel état de fatigue ils sont, c’est pour ça qu’on fait toute une batterie de tests pour ensuite en informer le manager qui fixe les séances d’entraînement, lui dire : “ce joueur peut s’entraîner normalement, lui pas du tout”. Le but c’est d’aller prendre des données pour s’en servir après. On a su le faire et on a surtout eu la chance d’avoir un manager et des entraîneurs qui ont su nous écouter quand on avait des recommandations à faire par rapport à certains joueurs.

Ça doit pas être simple pour des entraîneurs de faire tant confiance à son staff, surtout qu’en général ils veulent tout maîtriser, ça montre qu’il n’y a pas plus collectif que la préparation d’un groupe pour une compétition…

Oui, puis c’est pas simple parce que on utilise des méthodes récentes et les entraîneurs n’ont pas été formés avec celles-ci. Pour la préparation, on était deux, mon collègue se chargeait plus de tout ce qui était scientifique, des GPS, etc., moi j’avais plus un rôle sur le terrain. J’ai 32 ans, lui en a 25 et le manager nous a fait confiance. Certains ont pensé que nous étions trop jeunes pour assumer de telles responsabilités. C’est des coachs modernes dans leur façon de penser, ils ont su adapter leur méthodes d’entraînement aux demandes qu’on leur faisait.

Le rugby est vrai sport de contact, ce paramètre change pas mal de choses sur la préparation physique j’imagine ?

Oui, à la fois il faut prendre en compte l’aspect technique de la gestion du ballon, l’aspect vitesse, l’aspect évitement, mais c’est le seul sport de combat collectif donc il y a forcément un peu plus de prégnance sur la musculation pour les préparer aux contacts. On travaille beaucoup sur nos capacités à combattre de manière efficace et à laisser le moins d’énergie dans toutes les phases de combat. La chose qui nous obnubile aussi c’est que les joueurs se relèvent vite parce qu’au rugby toutes les phases de combat amène au sol et c’est impératif de se relever vite pour être disponible pour l’action suivante.

Mais c’est pas dur de trouver l’équilibre entre la musculation et la tonicité justement ?

Oui, on a des joueurs qui sont lourds par rapport à d’autres sports, on en a qui se rapprochent des 130 kg mais qui ont été détectés pour leur qualité explosive. Notre jeu était basé sur beaucoup de vitesse, beaucoup de déplacement, en fait, on a des joueurs qui ont été éliminés d’entrée parce qu’ils étaient trop lourds. Quand tu regardes nos gabarits et surtout pour nos trois-quarts, on n’a pas de mecs trop solides mais qui vont extrêmement vites. C’était un peu notre pari, notre préparation était orientée sur la demande du manager qui était d’avoir un jeu rapide et ça a fait la différence. Certes, il faut de la densité mais pas oublier la vitesse.

Et le dopage dans le rugby, on a du mal à le quantifier, on sait que des joueurs utilisent des stéroïdes pour prendre du poids. En tant que préparateur physique, t’en penses quoi de tout ça ?

Déjà, en tant que préparateur physique, on est beaucoup dans la prévention par rapport à ça. Justement tu parlais des joueurs qui prennaient du poids, je n’aime pas dire à un joueur « toi tu dois prendre 10 kilos », je me dis que ça fera pas forcément de lui un meilleur joueur de rugby. La prise de poids doit se faire petit à petit, naturellement avec le travail, sans occulter les qualités de vitesse. Après, on sait que ça existe, on n’est pas un sport propre à 100%, je n’y ai jamais été confronté pour le moment, je n’ai jamais vu un joueur se charger devant moi. Nous on est très vigilant au comportement des joueurs, si on voit des trucs suspects on préfère aller en parler avec lui tout de suite. Sur cette Coupe du Monde des moins de 20 ans, on a été beaucoup beaucoup contrôlé, pendant la préparation, après chaque match, même à l’hôtel. Je trouve ça très bien, j’espère qu’on restera un sport où c’est le travail qui rend les joueurs performants. Avec le professionnalisme toujours plus grandissant, les dérives peuvent vite arrivées, on parle beaucoup des valeurs du rugby mais elles peuvent vite disparaître si on ne reste pas vigilant. Pour moi qui suis aussi dans la formation des jeunes, on fait beaucoup de prévention, tu peux trouver de tout avec internet par exemple.

 

  • Interview réalisée par Mhedi Merini. 

Photos : Gaëtan Boissard.