J’aurais dit modestement 4 000, grand max 5 000, mais la police annonce vaillamment 8 000 personnes pour accueillir le héros du jour, le grand, le merveilleux, l’unique Antoine Griezmann de retour au bercail après l’aventure russe et l’historique deuxième étoile du football français. Nous allons donc nous arrêter à ce chiffre-là, pour une fois. 16 000 bras levés attendant que la porte du balcon de la mairie s’ouvre. La reine d’Angleterre n’aurait pas eu mieux.

 

Depuis 13 heures, les rues de Mâcon sont coupées, les forces de l’ordre installées, la fan-zone délimitée, les gens fouillés, la petite ville si calme d’habitude s’ébranle fièrement pour le retour du fils prodige. Gros labyrinthe de barrières Vauban. La sortie de Grizou sur le balcon est prévue à 19h30. Certains sont là depuis ce matin. Moi je suis là depuis une heure et il était temps, je suis une des dernière à pouvoir atteindre la fan-zone qui ferme ses portes derrière moi. Désolé mec, c’est complet. Les tardifs resteront juste de l’autre côté des heras, tout aussi tassés mais pas parqués, pas fouillés, pas palpés. Peinards quoi. Seulement ils sont pas dans la fan-zone. Les boules.

 

La tribune des journalistes est ras-la-gueule, c’est pas compliqué, ils sont tous là. On ne compte plus les maillots Griezmann dans la foule. Le GiFi du coin a dû faire fortune. Beaucoup d’enfants. Des milliers d’enfants pour qui ce moment sera longtemps celui de leur vie. Un monsieur loyal de compète chauffe l’ambiance à coup de « I will survive » et de « FAITES DU BRUIIIIIIT ! ». Il est parfait, on dirait qu’il a fait ça toute sa vie. Et bim, il lance une Marseillaise du feu de Dieu. Et faut bien reconnaitre que ça colle des frissons. 

 

Dans le même temps, à 6m50 de là, Christophe Panzani balance sur la grande scène de l’esplanade. Il joue ce soir avec le groupe Thiefs pour le Crescent Jazz Festival. Et pour l’heure, le boulot parait compliqué. D’autant qu’il y aura certainement pas 8000 personnes devant eux ce soir, une centaine, peut-être ? Mais ils restent sereins, les gars, amusés même. Ils le savent bien qu’ils font pas le poids. La pluie viendra finir de gâcher leur journée pendant le concert. Y ‘a des jours comme ça.

De l’autre côté de la rue la foule frémit. Il arrive, dit-on. Et à 19h30 pétantes : annonce du maire qui exulte, canons de confettis et apparition de l’idole. L’exactitude est la politesse des rois. Apparition légèrement ratée somme toute puisque tous les confettis lui tombent dessus d’un coup, y’a fallu attendre que ça retombe. On avait dit mollo sur les confettis, les gars. Mais il est là le Toinos ! Si près qu’on lui poserait une main sur le cou en le félicitant. Il est grand, il est beau. Et il fait le job. Il parle, danse avec la main sur le front, chante, lance le plus beau clapping de l’histoire de Mâcon et entonne un ban bourguignon, sa fille dans ses bras, aussitôt repris par la foule en délire. Pas la fille, le ban. Plutôt gentil quand même, le délire. Familial. Bon enfant. Rien qui dépasse de trop.

 

Mâcon la sage fête son héros avec dignité. Sauf que Grizou, ce n’est pas (qu’)un héros ici. C’est aussi un frangin, un cousin, le pote d’un ami, le fils d’une collègue… Tout le monde connait son Grizou. Tout le monde a un truc à dire sur Grizou. Tiens, moi par exemple. Hé ben moi mon cousin, il l’a entrainé quand il avait 10 ans ! Et bim. Si tu m’crois pas, hey, demande à ma mère. Et dans la foule chacun raconte. « Tu savais que ses parents… ». Ouais, Grizou c’est notre pote à tous. Et c’est bel et bien à une réunion de famille qu’on a été convié. Un gamin anonyme, deux étoiles plein les mirettes, tire sur mon bras pour me dire « Tu l’as vu toi aussi ? Un jour c’est moi qui sera lui. » 

 

L’éclair que je reçois dans l’oeil quand il brandit, heureux, une coupe du monde rutilante m’interroge : C’est la vrai qu’il a ? Ou les joueurs en ont chacun une réplique pour pouvoir frimer devant les copains. Y a moyen de savoir ? 

Bref. Les gens sont contents. Ils ont touché du doigt un rêve de gosse. Ils rentreront chez eux en souriant. Dans le soleil qui se couche, du haut de sa stèle assaillie par les gosses en liesse, Lamartine contemple sa ville qui s’honore d’une nouvelle célébrité. Doit plus comprendre grand chose à ce monde le vieux. Moi-même parfois…

Ah oui, ce soir, à 18h, l’Hôtel de Ville devait accueillir les nouveaux diplômés de l’Institut de formation en soins infirmiers de Mâcon, partenaire de la ville à moult reprises. Mais il y a deux jours, on leur a fait comprendre que ce jour là, à Mâcon, valait mieux avoir pris option foot. Question de priorité sans doute.

 

  • Louise Vayssié

Photos par Louise Vayssié