Ancienne présidente de l’association NAAT, elle a lancé la pétition « l’Affaire du siècle » , qui a cassé internet avec plus de 2 millions de signatures (record en France). Un recours climat a été déposé contre l’Etat, avec 3 autres ONG : Oxfam, la FNH et Greenpeace. L’objectif, le forcer à assumer ses engagements. Une autre manière que d’aller dans la rue pour mettre la pression…à la veille de la grande manif des jeunes pour le Climat. Marie Toussaint, juriste de son état et militante écolo, était de passage à Besançon cette semaine, alors on lui en a demandé plus sur cette affaire du siècle.

Marie Toussaint, vous êtes à l’origine de l’affaire du siècle et de la pétition dénonçant l’inaction de l’Etat en matière de changement climatique qui a recueilli 2 millions de signatures. C’est quoi ce truc ?

C’est un recours contre l’État français en responsabilité pour dénoncer le fait qu’il ne tienne aucun des engagements climatiques qu’il a pris. Tous ces objectifs sont inscrits dans la loi et nous lui demandons de remédier au retard effectif. Nous demandons au juge de donner à l’Etat des injonctions d’agir dans des domaines divers tels que l’efficacité énergétique, la consommation finale d’énergie, les énergies renouvelables ou les émissions à gaz à effet de serre, voire l’adaptation du territoire.

On a pris tous les volets de l’action climatique de la France pour montrer à quel point, dans l’ensemble des secteurs, la France est en retard par rapport aux objectifs qu’elle s’est fixée. Cela fait écho à d’autres actions en justice climatique, santé et environnement, comme les affaires de pollution des sols, de pollution à l’amiante, des algues vertes.

La France ne met rien en œuvre pour respecter ses condamnations.

Et plus particulièrement comment cette idée a-t-elle germé, quelles sont ses origines ?

Elle est née de l’urgence écologique. Après une année qui a vu défiler sécheresse, inondation, canicule, on constate que le changement climatique nous impacte sur notre territoire et sur nos vies, même en occident. Le dérèglement climatique n’est plus seulement lointain. Les initiatives citoyennes ne suffisent pas. Il faut des lois pour accompagner le changement climatique. Face aux décideurs, la démocratie peut reprendre le pouvoir. Face à ces règles qui s’écrivent ailleurs, que les grosses entreprises édictent, les riches, nous avons besoin de récupérer ce pouvoir de décision. Aucun Etat ne sort du culte de la croissance. Des lois découlent de la législation européenne et les gouvernements ne parviennent pas à tenir leurs objectifs. Face à l’urgence climatique, les Etats prétendent faire ce qu’ils peuvent, rejettent la faute sur les entreprises voire les citoyens. Des initiatives citoyennes se développent partout, mais les citoyens ont besoin de dire aux gouvernements qu’ils ne sont pas dupes et qu’ils ne font pas tout ce qu’ils peuvent.

« Face aux grosses entreprises, nous avons besoin de récupérer ce pouvoir de décision »

Comment expliquez-vous le succès de cette pétition ?

Le succès est peut-être dû aussi à un contexte. Contexte social, météorologique, concomitance à la sortie du gouvernement de Nicolas Hulot, du mouvement des gilets jaunes, avec de nombreuses personnes en colère contre l’état. Les signataires de la pétition sont multiples : les militants, les personnes sensibles à l’écologie, les jeunes. Une nouvelle génération émerge définie par une conscience écologique forte, qui fait de la question écologique la question centrale. Les jeunes européens ne veulent plus du système dont ils héritent et considèrent qu’ils ont droit à un futur. Certains même comme Greta Thunberg en Suède pensent qu’il ne sert à rien d’étudier s’il n’y a plus de planète. D’autres, étudiants dans de grandes écoles refusent d’aller travailler pour les grandes entreprises pollueuses.  On est en train de sortir du clivage droite/gauche et du fait que la répartition de la richesse se fasse en fonction du productivisme et des détenteurs des moyens de production. Les gouvernements qu’ils soient de droite ou de gauche sont productivistes et ne préservent pas la planète.

En réponse au chaos, soit on peut se réfugier dans le repli sur soi, le survivalisme et construire des îles ou des murs pour se sauver, soit on développe l’écologie et la préservation de la planète qui entraîne de nouvelles solidarités, permettant à chacun de vivre sur la planète. Il faut changer le modèle économique en utilisant le levier politique, citoyen et juridique.

Texte photo : Raphaël Helle