Pour fêter la fin de saison de l’asso Propagation Bis, on a tapé la discut’ avec le réalisateur de Tous les Dieux du Ciel. Un univers singulier, des personnages atypiques et l’amour du travail bien fait : portrait d’un mec qui sait ce qu’il veut et où il va.


Entre peinture, photographie et cinéma, quel est ton parcours et où en es-tu aujourd’hui ?

« J’ai eu tout un parcours que j’ai mis en place pour m’éduquer l’œil, m’éduquer à la mise en scène. J’étais photographe de mode pendant assez longtemps en Indonésie. Là c’était du boulot, j’avais pas vraiment de matière créative. Puis j’ai fait des mises en scène pour des galeries, un peu comme David La Chapelle, même si le style était différent. C’était pas ma prétention de faire du photoreportage ou quelque chose d’épuré. Je voulais raconter des histoires, comme un metteur en scène. Mais j’étais pas prêt pour le faire en dehors de l’image figée. Les peintures c’est pareil. Elles font appel à l’imaginaire, elles racontent un instant, une évanescence du temps, qui laisse le spectateur libre de se faire sa propre histoire des sujets qui sont face à lui. »

Tes personnages et tes thématiques traitent de personnages maginaux, hors des clous, avec un côté sombre assumé.

« Oui c’est vrai. C’est même pas un choix pour moi, tu ne peux pas chasser le naturel. C’est ça mon univers. Tu parles de choses qui te touchent, qui sont proches de toi. J’aime pas le mythe du héros. Le héros magnifique n’a pas d’intérêt. Le loser, celui qui a des failles et remet cent fois sa tâche sur la table et échoue, ça me parle beaucoup plus. C’est beaucoup plus intéressant. Je ne traite jamais mes personnages avec condescendance ou mépris. Je me sens proche, sans m’identifier. Les gens qui ne réussissent pas mais qui essayent, ça me touche. »

Crédit : Alex Pixelle

La différence de rendu et de narration entre les courts métrages du début et tes productions récentes est flagrante. Comment as-tu fait évoluer ton travail en tant que réalisateur ?

« J’ai fait une trilogie de courts-métrages (Rasta kamikaze Bangbang / Dirty Maurice / Zéropolis) en réaction à un grand échec personnel. Je devais faire un film avec Canal+ en 2008. J’ai travaillé deux ans sur ce film. Un casting de dingue, on avait le budget et trois semaines avant le tournage tout s’est cassé la gueule. »

« J’ai eu des 700.000 ou 800.000 vues sur Dailymotion. Pour des films qui faisaient 40 minutes, surtout il y a 10 ans, c’était un bon buzz ! Puis en 2013, il y a eu une rupture. J’ai passé le cap du burlesque et du what the fuck. A partir de Nuit Noire, c’est là où j’ai pris une autre direction.J’ai voulu crédibiliser un peu mon travail. Avant je travaillais pour moi, pour me faire plaisir, pour me faire la main. »

«  Je suis quelqu’un d’ambitieux et j’ai envie de laisser ma trace. Mais il y avait un parcours pour ça. Donc je me laissais le temps d’une certaine maturité. Sans avoir non plus une envie d’acceptation totale. A partie de Nuit Noire, il y a eu une césure. C’est le premier film qui a bien marché, surtout aux Etats-Unis. On a gagné vraiment beaucoup de prix là-bas. J’étais fier du résultat et à chaque production j’ai envie de prendre de la hauteur. »

Est-ce que tu t’imagines mettre en image uniquement tes histoires ou serais-tu prêt à filmer un scénario imaginé par quelqu’un d’autre ?

« Ouais, ça c’est une grande question ! J’ai jamais imaginé pouvoir mettre en images un scénario qui n’est pas de moi. J’ai vraiment la notion de l’auteur-réalisateur. Pour moi faire un film est une telle épopée, une telle souffrance… C’est très compliqué, ce sont deux, trois, quatre ans de ta vie donc je n’imagine pas mettre autant de force pour quelque chose qui n’est pas hyper proche de moi. C’est aussi une catharsis, le cinéma, c’est freudien, même ! Tu créés un univers, des personnages, des antagonismes, et ensuite tu le filmes pour le porter à un public. C’est vraiment un cheminement ancré dans mon ADN. »

« Suite au succès d’Un Ciel Bleu Presque Parfait, qui m’a complètement dépassé, j’ai signé avec une agence et on commence à me proposer des scénars. Et je me suis posé la question d’accepter entre deux projets personnels. J’ai entrevu la possibilité de me mettre au service d’une histoire qui n’est pas la mienne, mais un peu comme un mercenaire, pour tester des choses. Et aussi parce que j’ai peur du vide. Si je ne bosse pas, je m’angoisse rapidement. Jusqu’ à présent j’ai dit non au 3 longs métrages qu’on m’a proposés, parce que c’était pas bon. Et pourtant il y avait un beau chèque à la fin… »

« Je suis attendu sur mon deuxième film. Est-ce que je dois vendre mon âme au diable et mettre l’aspect artistique derrière ? Jusqu’à présent non. J’attends qu’on me propose un truc dont je pourrais être fier. »

Le prix d’un film, le budget de production, c’est un marqueur de la reconnaissance ou tu ne cours pas forcément après les grosses productions ?

« J’ai pas du tout envie, pour l’instant, du gros budget. Je veux ma liberté, je veux pouvoir raconter les histoires que j’ai en moi et de la façon dont j’ai envie de les raconter. Je sais très bien qu’à partir d’un certain montant tu n’as plus cette possibilité-là parce que tu dois plaire au plus grand nombre. Je tiens à maîtriser le final cut.»

« J’accepte totalement qu’on déteste mon cinéma. J’aime créer le débat. Y’a pas de « ouais bof ». Le vite consommé / vite oublié, je ferai jamais ça. Le cinéma c’est pour apporter des émotions fortes. C’est pour ça que je ne me considère pas comme un technicien mais vraiment comme un artiste. » « J’ai dit non à un remake. Un producteur américain me proposait 1.5 milions de dollars pour une version américaine de Tous les Dieux du Ciel. Au bout de dix minutes, j’me suis cassé. Il voulait en faire un produit de consommation, j’ai pas compris la démarche. Quel intérêt ? Prendre du pognon et faire une merde… »

Le long-métrage (Tous les Dieux du Ciel) est en fait la version initiale du film que tu avais imaginé quand tu as sorti Un Ciel Bleu Presque Parfait, devenu court-métrage pour des contingences de production à l’époque. Quelles différences fais-tu entre les deux histoires désormais ?

« C’est la même histoire, le même scénario. Le court-métrage est le cœur le plus sombre, le plus noir, sans le côté onirique. On avait mis la même intention et le même effort de direction artistique sur le court-métrage, sur le rendu visuel. Nos attentes étaient assez élevées. »

« Suite au succès inattendu d’Un Ciel Bleu, quand on nous a donné la possibilité de faire le long-métrage, le budget était tout de même assez serré. Et tant mieux, quelque part… du coup, Un Ciel Bleu Presque Parfait est intégralement présent dans Tous les Dieux du Ciel. Ca a été très complexe de raccorder. Deux ans plus tard, les décors n’étaient plus réutilisables. Notamment la maison, qui est un personnage à part entière. Parfois, dans certains champs/contre-champs, t’es alternativement en 2016 et en 2018. Les raccords ont été très méticuleux. A la maturation près de quelques détails, il n’y a pas de différences entre les deux. »

« On a vécu une super histoire d’amour avec le court-métrage mais en soi il ne veut plus rien dire maintenant. On ne veut plus qu’il existe, il a été vampirisé par le long. D’ailleurs il n’est plus disponible, on l’a retiré des plateformes. Le film, c’est la version longue. »

  • Thomas Lamy

La bande-annonce de Tous les Dieux du ciel : https://www.dailymotion.com/video/x787js0

Les courts-métrages de Quarxx : https://www.dailymotion.com/quarxx

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