La semaine dernière, était lancée la saison 3 de Be Jazz, programmation collaborative syncopée par les 2 Scènes, Cyclop Jazz Action et La Rodia. Le soir même, Sylvain Rifflet, saxophoniste et Victoire du Jazz 2016, lorgnait sur le jazz de Stan Getz au Théâtre Ledoux. Old School, Besac ?

C’est qui Stan Getz, pour toi ?

C’est un peu un amour de jeunesse. C’est une poésie doublée d’une perfection, inaccessible pour le commun des saxophonistes.

Tu es choqué si je te dis que tu dénotes par rapport aux sax de ta génération, plus tournés vers John Coltrane ou Sonny Rollins que vers le lyrisme de Getz ?

Non, non, cela ne me choque pas. Chacun va où vont ses goûts. C’est vrai qu’autour de moi, j’ai quelques coltraniens fous. Mais, tu sais, ils sont devenus ayleriens maintenant. 

C’est peut-être même là où réside la particularité et l’intérêt de ton jeu sur la scène actuelle, non ?

Possible. Mais rien n’est calculé. C’est juste une histoire d’amour avec le son de Getz. Je n’ai jamais eu envie de devenir un sax hurleur. C’est pas là où je me sens bien, pas là où je peux jouer pas très fort avec un joli son. Ce qui ne contraint pas ma musique, attention. J’ai un projet en cours avec des gens qui jouent extrêmement bien du free jazz, au son assez énervé et assez engagé, mais qui ne contraint en rien le mien.

Revenons à Getz et à cet album, Focus.

Quand j’étais jeune, Getz était encore vivant. Le grand choc, c’est d’abord People Time puis après je suis remonté. J’ai relevé Stan Getz Plays en long, en large et en travers. Il fait partie de ma vie comme la Bible fait partie du quotidien d’un mormon. En ce moment, je relève du Getz quasi tous les jours ou alors je rejoue un solo que je connais par cœur pour voir si j’en suis encore capable. Cela fait 6 mois que je bosse le solo de Tour’s End que Getz a enregistré avec Peterson. Je le joue, je m’amuse à le transposer.

Relax

Et tu arrives à ne pas t’ennuyer ?

En vérité, si tu veux vraiment exploiter une matière musicale aussi parfaite que ce solo, c’est sans fin. L’exercice de base qui consiste à le jouer à l’identique, c’est une des seules façons d’apprendre à jouer du jazz. Après tu vis ta vie, tu digères.

Tu te souvenais de cela en composant Re Focus ?

Quand j’ai fait Re Focus, je me suis interdit d’écouter Focus. Le cauchemar… C’était déjà une idée à la con.

À la con ?

C’était un challenge personnel pour faire un disque chez Verve. J’ai cherché à être malin. Je suis rentré chez le directeur artistique de Verve entre les deux tours des Victoires du Jazz et en voyant le logo Verve, je lui ai annoncé cette idée. J’en avais envie depuis longtemps, j’en parlais depuis longtemps avec Fred Pallem qui a arrangé les cordes de l’album. Peut-être même quand on était au CNSM ensemble.

C’est quoi ? Un hommage ? Un tribute ? Un remake ?

Je pense que j’ai fait une connerie avec ce titre, enfin je la prends à mon compte parce que je ne suis pas une balance. J’aurais dû ne pas enfermer mon idée dans son inspiration. J’aurais bien aimé que quelqu’un me dise en route que c’était une ânerie. Après, je sais que je pense mes projets et que rien n’est laissé au hasard. Je ne crois pas au trip de l’inspiration magique. Je peux tout justifier de ce disque, que presque dans tous les morceaux, il y a des bribes de Focus et qu’elles sont malaxées et retravaillées pour être le ciment de cette musique. Au vu de mon parcours, refocus, le mot anglais, signe aussi un retour aux choses qui m’ont fait vibrer dans le jazz quand je me suis mis à en jouer.

Très relax

Tu te sens à contre-courant avec cet album ?

C’est une évidence. Quand tu vois que la mode est à ce sax anglais…

Shabaka Hutchings ?

Oui. Je peux presque dire que je suis l’anti-Shabaka, que je vois les choses d’une manière radicalement différente. Et l’intérêt, pour moi, est là. De faire que la diversité agisse dans toute sa splendeur. C’est difficile, aujourd’hui, tant on se concentre sur des types de musique, de musiciens. Quand tu apportes un truc un peu différent, quand, d’un projet à l’autre, tu évolues, tu changes d’orchestre, c’est pas simple.

Et tu es plutôt expert en la matière.

Sinon, je m’ennuie.

Tu n’es pas le genre de musicien à taper sur le même clou toute sa vie.

Lee Koniz joue depuis 80 ans All The Things You Are, mais, lui, il adore ça et je trouve cela génial. Peut-être que je ne suis pas capable d’écrire dans la même direction deux fois de suite.

Et, quand tu continues à jouer Mechanics, créé en 2015, tu ne t’ennuies pas ?

Là, il y a 400 concerts derrière. Il n’y aucune question à se poser. On arrive, on joue. Le groupe est super uni et devient super libre. La scène, c’est un autre sujet. Je ne cherche pas à reproduire le son du disque. Par exemple, Troubadours qu’on vient d’enregistrer à 3 sera tourné à 4. On joue Mechanics en concert mais la moitié du répertoire vient d’Alphabet, l’album précédent.

Je ne fais pas de variété. Il n’y a pas de protools qui tourne derrière l’orchestre, C’est une musique vivante, libre, jouée avec des gens qui improvisent. C’est de cela dont j’ai envie, une musique où on prend le risque de se planter et où on peut s’amuser de l’erreur comme de l’imperfection.

Très très relax

Tu te souviens de la sensation de ta toute première improvisation ?

Non mais j’imagine assez bien que ça devait être un cauchemar. La sensation de ne pas savoir quoi faire, d’être incompétent. Aujourd’hui encore, c’est un truc qui fait que je travaille. C‘est difficile d’arriver à improviser. Ça prend une vie, ça finit jamais et d’ailleurs on y arrive jamais vraiment. C’est pour cela que tout le monde continue d’essayer.

Un boulot de chercheur ?

Oui, de chercheur mais entre soi et soi. Il n’y a pas de quête d’un absolu ou d’une vérité.

C’est pour cela qu’autant de jazzmen se sont cramés à croire qu’il y avait une vérité à découvrir ?

C’est possible qu’il y ait un truc comme cela. Dans mon travail, il y a une grosse part de conception et d’écriture. Je me mets des cadres. Ce ne sont ni des œillères ni des barrières mais ça orientent mes choix d’impro ou de musiciens.

Par exemple pour le line-up de Troubadours, ton nouveau projet ?

Par amour.

Justement, qu’est-ce qui te lie à l’Amour Courtois, qui en est le sujet ?

Ces pionniers ont tous des vies incroyables. C’est assez fou de s’imaginer comment on est passé de la main aux fesses à ce nouveau type de drague qui remplace la vulgarité par la poésie. Peut-être que je rêve que dans ma musique il y ait un peu de cela, que les gens l’écoutent comme ils liraient de la poésie. Et en ça, pour boucler avec le début de notre discussion, Getz est assez troubadour.

  • Propos recueillis par Badneighbour / Photos JC Polien