Stephanie Merchak capte des ambiances pour créer une musique électronique chaotique et tumultueuse, cap’ de dire le monde tel qu’il est. Elle confie que tout l’inspire : son Liban secoué ou les plaques métalliques d’un hall. Interview droit dans les yeux, au Consortium Museum, où elle se produit ce vendredi soir à 19h. Une programmation Why Note dans le cadre des Nuits d’Orient. Entrée gratuite, visions garanties.

Pour qui tu fais de la musique ?

D’abord, bien entendu, c’est pour m’exprimer moi-même. Exprimer ce que j’ai dans la tête, mes sentiments, mon humeur, mon état d’esprit. Pour le communiquer à qui veut bien écouter. Si j’arrive à toucher une personne, alors j’ai réussi quelque chose. Je veux partager une ambiance avec l’auditeur potentiel. C’est quelque chose d’intime que je veux communiquer.

De quoi un nouveau set est-il la première fois ? Quand tu arrives ici par exemple, au Consortium Museum ?

Bon, par exemple, j’ai toujours mon portable sur moi. J’ai des applications pour enregistrer partout. J’enregistre des sons dans tous les endroits où je vais. Je peux les utiliser comme base ou comme élément d’un morceau. J’ai fait ça hier en fait, dans le TGV en venant. J’ai enregistré quelques prises que je vais probablement utiliser pour un morceau inspiré de la région.

Tu as besoin d’aller à la recherche d’ambiances, de moments, de rencontres pour créer ?

Tout ce qui m’entoure me pousse à créer quelque chose. Je trouve tous les sons intéressants. En attendant dans le hall tout à l’heure, j’ai remarqué des plaques métalliques sur le sol. Tout de suite le son qu’elles font quand on marche dessus a attiré mon attention. C’est intéressant. Je vais probablement l’enregistrer.

Est-ce que tu répartis tes inspirations entre tes différents travaux ? Je pense à la photo notamment. Est-ce que ces différentes activités dialoguent ?

Quand je sors un album, j’aime tout faire de A à Z. Le design, la couverture. Parfois je prends des photos que je transforme complètement. C’est souvent des photos qui rendent compte de l’ambiance. L’autre côté de la photographie chez moi, c’est de la photo de rue, d’architecture. J’aime les lignes. C’est vrai que je pense que tout se rejoint. J’aime bricoler aussi. J’aime le travail du bois, la pyrographie aussi. C’est une bonne question, elle me pousse à analyse mon travail.

J’ai fait un projet une fois, qui n’est jamais sorti. Je l’avais proposé à un festival en Autriche. L’idée de base, c’était la situation écologique au Liban. J’avais pris des photos dans des lieux où on jette des ordures, des photos de la pollution ambiante, au dessus des villes et de la mer. Des couches brunes. J’ai importé ces photos dans des programmes qui ne sont pas censés importer de photos. ça transforme la photo en données, en codage. En 1 et en 0. J’ai intégré ça dans un logiciel de son. Il en a résulté du bruit, des sons forts chaotiques. J’en fait une pièce de musique générative.

Les codages des photos formaient la base du son ?

C’est exactement ça. Voilà l’influence de la photo sur la musique dont tu parlais.

Tu es Libanaise, je me demandais, de quel œil tu regardes les évènements au Liban, depuis deux mois maintenant et même plus généralement ?

Un beau pays qui part à la dérive. Économiquement, c’est la catastrophe, la corruption du plus haut au plus bas niveau. L’Histoire du Liban, c’est la guerre civile de 1975 à 1990. Les acteurs de la guerre civile sont actuellement au pouvoir. On en a marre. On a fini par réagir. Malgré tout, ils campent sur leurs positions.

Pourtant Saad Hariri, le Premier ministre, a démissionné le 29 octobre dernier… On a l’impression que des choses se passent.

Il a pris deux semaines avant de démissionner. Le pays était paralysé. Les commerces, les écoles, les banques. Des milliers, voire des millions de personnes dans les rues. Le pouvoir prend son temps malgré cette mobilisation historique. Ils trouvent des excuses, ils veulent voir si le peuple va craquer, c’est comme le siège d’une ville au Moyen-âge.

Est-ce que ça se ressent dans ta musique ce genre d’évènements ?

Tout ce que je vis se ressent dans ma musique. Il y a un côté très sombre dans certains de mes morceaux et de mes sets. Je ne vais pas dire que je fais une musique 100 % engagée. Je ne suis pas en train de faire de la politique ou de l’activisme. Mais ce que je vis, ce dont je suis témoin influe sur ma musique. L’auditeur remarquera que ma musique, c’est pas du tout rose, il y a des moments forts sombres, violents. Mais il y a aussi des moments plus calmes. Ils sont des réactions à la vie chaotique dans laquelle on est.

On parlait des ambiances qui te servent à créer, est-ce que voyager est une source plus forte de découvertes potentielles ?

J’étais cet été en résidence en Allemagne, c’était la première fois. Sinon, à part le Liban, je vais en Belgique. Ma mère est Belge. Je fais aussi des crochets par Lille. Je suis contente de découvrir Dijon, c’est une ville que j’apprécie déjà. C’est très beau.

  • Arthur Guillaumot / Photo : A.G.

À ÉCOUTER // En live ce vendredi 6 décembre au Consortium Museum (19h – gratuit)