Si tu es né en Bourgogne, ta vie est rythmée par sa mélodie, entre ton premier diplôme, ton mariage, et tout ce qui mérite d’être célébré. Toujours avec un tas de bouteilles de pinard en accompagnement. Tu l’aimes autant que tu en as honte. Mais d’où vient le ban bourguignon, ce truc, dont personne ne connaît l’origine, ni la symbolique ?

Le ban bourguignon, il ne se passe pas un repas de famille digne de ce nom sans que ton tonton déjà éméché ne lance le fameux rituel. Si tu es sobre tu trouves ça relou, si tu as bu tu le chantes (ou le hurles plutôt) avec les autres, tout simplement. Et si tu n’es pas du coin, on va te remettre dans le contexte ; c’est un chant pas compliqué à retenir, d’une quinzaine de secondes, avec la gestuelle appropriée, déclenché pendant les repas et célé-brations de la vie, voire les spectacles. Renseigne-toi si tu n’as jamais vu ça, c’est la honte et tu rates quelque chose. Selon les points de vue, c’est drôle et chaleureux, ou beauf et pas finaud. Ou les deux, en fait. C’est une des spécificités de la région, comme les Bretons avec leur drapeau qu’ils trimballent jusqu’au bout du monde, les Sudistes avec leurs voitures sans clignotant ou les Bordelais avec leur pull noué sur les épaules ; les Bourguignons ont donc le ban bourguignon. Mais du coup, ça vient d’où ce truc ? Est-ce que ça remonte aux Ducs de Bourgogne ? Un petit « la la la la lère » pour Philippe le Bon après avoir vendu Jeanne d’Arc aux Anglais ? Négatif, c’est beaucoup plus récent et aussi un peu empreint de mystère. Les origines sont plutôt floues, il n’y a pas de traces écrites ou de ménestrels qui relaient la légende, seulement des conjectures qui convergent cependant toutes vers la même version, à quelques détails près.

Quel rabat-joie, ce François Hollande…

Déjà, un ban, qu’est-ce que c’est ? C’est une sorte d’applaudissement, de hourra pour quelqu’un. Le ban bourguignon est souvent lancé pour féliciter le cuisinier, ou les mariés, voire le gars qui vient de gagner une partie de Mario Kart, mais c’est plus rare… Lucien Hérard, ancien président d’honneur de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon, et donc un notable qui pèse dans le game dans la capitale des Ducs, relatait dans la Gazette du tastevin en 1987 sa version de l’origine du ban bourguignon, la plus documentée, détaillée, et donc la plus crédible. Lucien s’appuyait sur des témoignages et prévenait d’ailleurs qu’il n’était déjà pas évident « de trouver des personnes sûres pouvant témoigner de sa naissance » il y a trente ans, car « il ne s’agit pas d’un événement faisant date » et que les contemporains de la création du banc sont « morts, ou très âgés et peu sûrs de leur mémoire. »

Des Allemands apprenant le ban bourguignon en 1945

La légende débute ainsi aux environs de 1905, dans le quartier Montchapet à Dijon. Le ban de Montchapet, comme on l’appelle à l’époque, est le rejeton d’une réunion de « bons vivants et francs- buveurs rabelaisiens » qui se rassemblent donc dans ce fameux quartier de l’est dijonnais, pour on ne sait quelle raison mais Lucien a sa petite idée et dénonce : « Rien ne permet d’affirmer qu’on y faisait autre chose que de boire largement, raconter des histoires salées et chanter des gaudrioles. » Ni une société secrète comme les Francs-Maçons, ni un repère d’intellectuels et d’artistes comme le Caveau parisien à l’époque, simplement une bande de gars qui se mettait cher après une dure journée de labeur. Et ça part de là. Comme si toi et tes potes, ronds en soirée, lanciez un chant un peu simplet bien aviné qui devenait l’hymne de toute une région. Ça fait peur, ouais. Sauf que toi et tes potes n’avez pas les mêmes connexions que les gars de Montchapet, parce qu’il y a du gratin. Lucien Hérard balance même des noms : « le libraire Mettray aurait appris à ses compagnons le rite du ban, le sculpteur Jules Gasq aurait suggéré les allègres « tra-la-la » et Lucien Dargentolle, un serrurier du quartier, en aurait composé, je n’ose dire la musique, mais l’air. »

Le ban de Montchapet se répand alors, visiblement propagé par le Club N.P.S.F.Q.Q.A. (Ne Pas S’en Faire Quoi Qu’il Arrive). Marcel Barbotte, journaliste au Progrès de la Côte-d’Or il y a un bon moment, se souvenait d’un des tous premiers dîners du Tastevin où son voisin, « le bon gros Charles Vienot », vigneron à Premeaux, lui expliquait le rite : « il ne fallait pas singer les fillettes chantant les petites marionnettes, mais approcher les mains en forme de coupe à hauteur du visage et les faire tourner comme si l’on regardait le contenu par transparence, en chantant ‘Tra, la, la, la, 1ère’ puis battre le ban sur un rythme plus rapide en chantant le reste.» Ah ! y’a quand même une symbolique avec le verre de vin. Cette version de la naissance à l’apogée du ban bourguignon par Lucien Hérard est donc celle qui est reprise, avec 1905 comme date de naissance et le quartier de Montchapet comme berceau. Il faut dire que les sources ne sont pas nombreuses, sans doute parce que tout le monde s’en tapait un peu de l’hymne d’une bande d’alcooliques, et les archives municipales de Dijon n’ont pas de documents historiques sur la création ou la propagation du rituel. Internet étant ce qu’il est, un réceptacle sans fond pour y déverser son opinion perso, on trouve pas mal de commentaires sur ce fameux ban bourguignon et pas des plus tendres. On peut rester dubitatif, comme Kev Adams au Zénith de Dijon qui croit d’abord à un flashmob, voire gêné, comme François Hollande alors gourou suprême de la Nation, accueilli par Rebsamen et sa cour avec un ban bourguignon. Ou kiffer à fond comme le Chalonnais Florent Pagny, en habitué qui boucle ses concerts dans la région par un bon gros ban des familles avant de retourner chez lui où on paie moins de taxes. Ou les légendes de Deep Purple, qui, en 2010 au Zénith de Dijon encore, partent en freestyle avec du Beethoven au piano enchaîné sans transition avec le ban bourguignon, toujours au piano.

Lalalèreuh… et merde !

Faut avouer, c’est pas ce qu’il y a de plus classe et raffiné. Il n’y a pas vraiment de symbolique non plus. Mais tu veux vraiment être ce rabat-joie qui se retient quand toute l’assistance, ou ta famille, ou tes potes, lance un ban rythmé, racé, bourrin… Bourguignon quoi ? Après tout t’as pas de souci à te lâcher sur la Macarena, et on t’a même vu chanter Celine Dion en soirée, et t’as l’air tout aussi ridicule…

  • Loïc Baruteu

Article extrait du numéro 28 du magazine Sparse