On connaissait déjà Nicolas & Bruno, les créateurs de l’esprit Cogip. En voilà deux autres qui, en novembre dernier, ont ouvert Reservoir Books, leur « distillerie littéraire », au 6 rue Courbet, à Besançon. Parce que oui, en 2019, il y a encore des types assez cons audacieux pour se dire que l’amour des livres, ça se partage IRL…

D’ailleurs, faut croire que les Bisontins sont assez cons passionnés pour continuer à fréquenter les librairies. Il y a quelques années, Bestown se targuait ainsi d’être la ville française qui offrait la plus grande surface de librairies par habitant (enfin un truc du genre… vérifier ses infos, c’est so carte de presse).

Entre temps, des rayons ont fermé dont ceux du mythique Campo Novo, remplacé par un fast-food et une salle de sport (zéro commentaire). D’autres ont perduré comme Forum ou Les Sandales d’Empédocle. Enfin, de nouvelles boutiques ont vu le jour : Mine de rien, L’Intranquille et, donc, Reservoir Books.

Amazon en plus futé et convivial

« Après 20 ans passés dans de grosses structures, on rêvait de monter notre propre projet, explique Bruno Bachelier, co-fondateur du lieu avec Nicolas Gonnot. On voulait notamment travailler à une échelle nous permettant de remettre l’échange avec le lecteur au cœur de notre métier. On garde à l’esprit que prendre du temps pour bouquiner, c’est s’accorder un temps pour soi. Notre travail, c’est de conseiller le livre qui fera passer le meilleur moment possible. Ça implique de bien connaître les goûts du lecteur, de passer du temps avec lui. » Alors, ouais, c’est comme un algorithme Amazon en plus futé, pointu, curieux et convivial.

Pour te donner une idée du fun qui règne dans l’endroit, les deux gars appellent leur réserve la Zone 51. « On y stocke des livres sélectionnés avec soin – nous avons une surface de vente de 75 m2 – et pas mal de lecteurs passent y prendre un café ou l’apéro, raconte Bruno. Concernant notre sélection, on a voulu créer un lieu où on trouve aussi bien un Deleuze qu’un Astérix ; aussi bien un « beau livre » faisant écho à une expo au Frac, qu’un polar qui te suinte dans les mains. On met aussi en avant la pop culture avec une littérature qui trouve ses racines dans la rue. » Pour imaginer le côté « polar qui suinte », voir le début des Démoniaques de Mattias Köping, que nous avait conseillé Bruno, l’an passé (photo ci-jointe).

Bauhaus relationnel et zéro verre de rouge renversé

Reservoir Books fait également la part belle aux Braqueurs de textes, des lecteurs qui partagent leurs coups de cœur. « C’est ouvert à tout le monde et on y consacre une zone dans les rayons, explique Bruno. Dans un esprit d’échange, on a aussi les Braqueurs de sons et d’images. C’est peut-être ambitieux, mais on cherche à recréer un Bauhaus relationnel, en croisant les énergies et en mêlant la littérature à d’autres arts. »

Le concept a pris tout son sens ce 7 décembre, avec le concert de BIG HUG au milieu des bouquins. Ce fresh band from Besac fait penser, par moment, à un Arnaud Rebotini sous Valium, roulant des steaks à Kim Wilde (plutôt période Cambodia que Maisons & Jardins). « Pour ce premier rendez-vous, 450 personnes sont passées nous voir et pas un verre de rouge n’a été renversé», sourit Bruno.

Nous, ce soir-là, on a pioché Bruits du cœur de Jens Christian Grøndahl. « Un des prosateurs les plus fins du moment, relève Bruno ». On est total raccord : ce Jean-Christian danois – découvert chez Forum – est l’auteur de Quelle n’est pas ma joie, notre lecture préf’ de 2019. Là, on pourrait t’en faire une revue de type Braqueur, mais on va pas se mentir : cet article est déjà putain de long.

  • Ladislas René / Photos : DR

Banco ! Banco ! Banco ! >>> 3 coups de cœur de Nicolas (qui s’occupe plutôt de la BD)

  • Royal City de Jeff Lemire : « Une chronique intimiste, en trois volumes, de la vie d’une famille dans une ville industrielle, paumée au cœur des Etats-Unis. C’est fin et c’est surtout une grosse claque. »
  • Clyde Fans de Seth : « Ce roman graphique dresse le portrait d’une famille de fabricants de ventilateurs, à Toronto, alors que la climatisation fait son apparition… et c’est envoûtant. »
  • Berlin de Jason Lutes : « En trois tomes – qui sont une sorte de pendant en BD de la Trilogie berlinoise de Philip Kerr –, Lutes nous plonge dans l’Allemagne des années 1930, entre krach boursier, République de Weimar et montée du nazisme. Un chef-d’œuvre. »

Super ! Super ! Super ! >>> 3 coups de cœur de Bruno (qui s’occupe plutôt de la littérature)

  • Archives des enfants perdus de Valeria Luiselli : « C’est à la fois l’histoire d’une famille qui voyage à travers les Etats-Unis, une réflexion sur les lois anti-immigration de Trump et l’histoire d’un couple qui se délite. L’acuité psychologique du récit fait de ce livre un des plus réussis de l’année. »
  • Ici n’est plus ici de Tommy Orange : « Aux Etats-Unis, 70% des Amérindiens vivent en ville. On suit le destin de douze d’entre eux – hommes et femmes – en route vers un pow-wow, chacun ayant ses raisons d’y aller. Un livre fort. »
  • Il était une fois dans l’Est d’Arpád Soltész. « Un livre pas évident au démarrage, tant il multiplie les points de vue. On est en Slovaquie, après l’effondrement du bloc soviétique. Peu à peu, tout s’accorde pour parler de la déliquescence d’un pays en proie à la corruption. Les personnages sont tous dégueulasses, sauf les jeunes femmes poussées à la prostitution. Un grand polar. »