Il est maître national, a dix titres de champion de France de jeu de dames dans la musette et est diplômé fédéral d’échecs et de dames. On est allé à Montceau-les-Mines à la rencontre de Pierre Monnet, un champion ultra capé dans sa discipline. L’homme est modeste et frontal. Autant vous dire que c’est pas le moment de parier votre bagnole sur une partie pendant l’apéro.

Article extrait du n°30 du magazine Sparse (mars 2020)

Il est Bourguignon. Né à Bourbon-Lancy en Saône-et-Loire, il y a presque 50 ans, il a vécu ses dix premières années dans la ville thermale puis est arrivé à Montceau-les-Mines. Son père y avait dégoté un job. Il était directeur adjoint de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Pierre passe un bac lettres et arts options arts plastiques. Étonnant quand on pratique une activité aussi calculatoire… Ensuite, il est parti deux ans en Afrique dans les commandos d’infanterie de marine pour faire son service militaire. « C’est pas vraiment la marine, c’est la coloniale, hein ! La grande rivale de la légion. Les coloniaux sont tout aussi fous ! Moi, j’y allais surtout pour voyager ». Pierre a découvert le jeu de dames là-bas, à Dakar.

C’est en Afrique que ta passion est née.
Oui, il y a d’excellents joueurs là-bas ! Puis de retour au pays, je me suis mis à jouer dans les bistrots. Notamment au Galion, un bar mythique de Montceau. Je me suis inscrit au club de Dijon où il y avait Henri Cordier, ancien champion de France 1979, à Valence. C’est un maître national reconnu. Il est aussi problémiste, c’est-à-dire qu’il crée des problèmes en disposant des pions et ensuite les blancs jouent et gagnent. à toi de trouver. Il était aussi écrivain et poète, il doit avoir aujourd’hui 85 ans je pense. Son fils Arnaud est 16 fois champion de France. Sinon, avec Dijon, on a gagné une coupe de France des clubs en 1997. Et ensuite je me suis confronté aux joueurs de niveau national.

Tu as eu plusieurs titres ces dernières années.
Ce qu’il faut comprendre dans mon profil de damiste, c’est que je pratique différentes formes du jeu. Le jeu de dames en 100 cases où j’ai un titre de champion de France en semi-rapide en 2004. Sinon j’ai sept titres en 64 cases et deux en 144 cases. Je les ai obtenus entre 2011 et 2020.

Joli palmarès !
Oui bien sûr mais je ne suis pas un super cador. L’épreuve reine c’est le 100 cases, c’est un peu comme le 100 mètres à l’athlétisme. Moi j’excelle sur le 64 cases, donc c’est moins glorieux on va dire. Je suis dans les bons, j’ai fait quelques coups qui me donnent des titres mais je ne suis pas le super cador. Je me suis classé 20ème aux Jeux de l’esprit à Lille en 2012 sur une quarantaine de joueurs. C’est une compétition internationale. C’est inespéré vu mon profil. J’ai commencé à 20 ans, c’est déjà trop tard pour espérer être au top.

On parle de sport de l’esprit, es-tu d’accord avec cela ?
Moi, je parle plutôt de sport cérébral. Dès lors qu’on parle de haut niveau, je pense qu’on peut utiliser le mot « sport ». C’est vrai qu’il y a quand même un impact physique. Quand tu fais un championnat d’une semaine avec 2 parties par jour de 4 ou 5 heures, c’est sûr que celui qui gagne c’est celui qui encaisse le mieux la fatigue nerveuse, celui qui gère au mieux la concentration. Après tant de temps de réflexion intensive et d’isolement mental, des fois faut un apport de sucre. Il y a un impact physiologique fort. Avant de grandes compétitions, Kasparov, le grand maître d’échec, faisait du footing et soignait son alimentation. La préparation est importante. Pour ma part j’ai toujours été sportif. Je suis boxeur amateur, j’ai fait 10 ans de full-contact et j’ai gardé la ligne. Aujourd’hui, je pratique plus le vélo et la marche mais je pratique aussi le Qi Gong et le yoga qui m’aident à entretenir le mental et le corps.

Tu es plutôt un artiste à la base et un sportif donc, pourtant ce jeu fait appel à l’esprit mathématiques, non ?
C’est plus calculatoire que mathématiques. Si tu regardes Des Chiffres et des lettres, les concurrents doivent anagrammer des lettres. Ils font des calculs, ils ne se servent pas de théorèmes mathématiques. Le seul Africain à avoir été champion du monde ne savait ni lire ni compter. Ce jeu est un jeu de calcul spatial. Effectivement tu peux tout expliquer avec les mathématiques mais le raisonnement de ce jeu c’est du calcul spatial comme pour les athlètes de sport collectif. Au football, par exemple, tu sais où est le numéro milieu récupérateur, les défenseurs, les ailiers etc. Le raisonnement est combinatoire. On peut même aussi dire que c’est littéraire dans le sens où une partie de dames, c’est une histoire. Les ouvertures, je dispose les pièces sur le jeu, je développe, je contrôle les cases centrales, j‘évite les pions les plus éloignés du centre. Deuxième phase en milieu de partie, j’essaye de provoquer une faiblesse dans le jeu adverse ou je compense une des miennes contractées dans l’ouverture. Troisième phase, fin de partie, j’essaye de concrétiser un avantage gagnant ou alors j’essaye d’égaliser. Bref, il y a bien une articulation intro – développement – conclusion qui est typique de la logique littéraire. Les parties de jeux de plateaux s’articulent comme une histoire. Après, le calcul t’aide à prendre des décisions qui vont animer ce plan. Il n’y a jamais deux parties identiques.

Vu comme ça…
Tu sais c’est un jeu passionnant. Un jeu diabolique et renversant. Aux dames, ce qui est spectaculaire, c’est de voir un mec qui fait exprès de te donner ses pions dans un ordre bien précis et à la fin tac tac tac tac, il ramasse 5, 6 ou 7 pions. C’est un rapport de force qu’il faut gérer, et opérer des choix stratégiques.

Le sacrifice est inhérent à ce jeu ?
Oui mais au final, le sacrifice c’est plus le facteur tactique. On distingue la stratégie de la tactique aussi bien aux échecs, aux dames ou à Othello. La stratégie est un plan de bataille global, c’est une ligne directrice. La tactique ce sont toutes les petites armes ou astuces instantanées au service de la stratégie.

Tu comptes aller chercher encore des titres ?
Je ne sais pas, on verra. Il y a un mécène de Saint-Vallier qui a fait un don à mon association pour que je puisse faire les championnats du monde. Il tient à rester discret mais je tiens d’ailleurs à le remercier. Quitte à faire une compétition internationale, autant que ce soit les championnats du monde plutôt que ceux d’Europe. Grâce à ce généreux donateur je vais me faire massacrer par le haut du panier mondial du jeu de dames (rires).

  • Texte et photos : Cédric de Montceau, à Montceau-les-Mines (71)

Article extrait du n°30 du magazine Sparse (mars 2020)