Mad Professor était à Dijon récemment, dans notre très underground salle des Tanneries, où, comme à l’accoutumée, il faisait un bon 6°C. Qu’a cela ne tienne, Neil Fraser, accompagné du MC Jo Ariwa étaient là pour réchauffer nos coeurs et nos oreilles à coup de reggae roots et de dub à l’ancienne. Chef de file du dub anglais depuis plus de vingt ans et fondateur du label Ariwa dès 1979, nous ne pouvions laisser filer cet infatigable producteur sans prendre le temps de lui poser quelques questions. Entretien en chanson.
SPARSE.FR : Salut Mad Professor, alors comment s’est passé le concert ce soir ?
MP : Moi j’ai trouvé ça bien mais ce n’est pas à moi de répondre à cette question, c’est plutôt à toi !
Peux-tu nous présenter la personne qui t’accompagne sur scène ce soir ?
MP : Il s’agit de Jo Ariwa, un jeunot.
Jo : Je suis un jeune dubbist, apprenti de Mad Professor. Je mixe de nouveaux styles de dub avec du reggae et du dubstep. Je me produis depuis plusieurs années déjà, sous ce nom de Jo Ariwa.
Mais Ariwa c’est aussi le nom du label de Mad Prof ? Vous êtes parents ?
Jo : Je sais pas… tu trouves qu’on se ressemble ?
Oui, vous avez la même moustache !
Jo : En fait je suis son fils.
Tu as combien d’enfants ? Font-ils tous de la musique ?
MP : J’en ai quatre, pas en même temps bien sur. Ils aiment tous la musique, ils en écoutent sur leur ipod mais seulement deux d’entre eux travaillent avec moi en studio.
Ca se passe comment le travail en famille ?
MP : Ben, ça va… je dirais 50/50. Cest comme le verre à moitié plein et le verre à moitié vide.
Jo : Et bien je dirais un peu pareil, ça se passe bien, parfois moins bien… comme dans n’importe quel autre travail !
Tes enfants font du dubstep ? Que penses-tu de ce style ?
MP : Ca fait partie de l’évolution de la musique. Et afin d’évoluer, les nouveaux genres empruntent souvent à des styles plus anciens. La musique dub a tellement d’idées et beaucoup de choses à offrir, c’est la raison pour laquelle les nouveaux genres ont tendance à s’inspirer largement de ce style. Il ne faut pas oublier que le dub c’est la première forme de techno. C’est avec le dub que l’ingénieur devient la force créatrice au niveau de la production.
Est-ce que tu suis l’actu de certains groupes de dub ?
MP : Quand tu fais de la musique comme moi j’en fais, tu arrêtes de suivre ce qui sort ailleurs, parce que si tu suis, tu copies. On innove, on essaie de rester créatifs.
Le nom de Mad Professor vient de ta passion pour le bidouillage électronique. Quel machine aurais-tu voulu inventer ?
MP : Je sais pas si j’aurais voulu inventer une machine vraiment. Pour moi, personne ne crée jamais quelque chose de complètement nouveau. Tout existe au préalable, tout est crée par Dieu. Les hommes ont juste inventé les circuits (électroniques). C’est un peu quand quelqu’un te dit que c’est Christophe Colomb qui a découvert les Antilles alors que celles-ci existaient déjà avant ! Les mecs assemblent juste des fils entres eux et regardent s’il se passe quelque chose.
Avec plus d’une centaine d’albums sortis, tu as toujours envie de faire de la musique ?
MP : Je passe un peu de temps en studio, mais en ce moment je suis souvent sur la route. On a plus autant de distributeurs qu’avant et on vend aussi moins de disques. Nous sommes directement affectés par la crise qui touche l’industrie musicale. Mais j’ai encore plein d’idées et des projets à réaliser. J ‘ai toujours la niaque. Je fais plein de concerts aussi : le mois dernier on était au Brésil, en Argentine, ce mois-ci on a fait toute l’Angleterre, quelques dates en France… ce soir à Dijon !
Tu as déjà joué ici ?
MP : je ne sais pas… peut être. A vrai dire je ne me souviens pas. Ca fait plus de vingt ans que je me produis en France donc il est très probable que je soit déjà venu.
Ton t-shirt c’est la pochette du dernier album ?
MP : Oui c’est ça, l’album « Audio illusions of Dub » dub dub dub dub…
Je voulais te parler d’Obama qui est représenté sur cette pochette (il danse avec Michelle Obama sur un piano), tu es toujours aussi enthousiaste à son sujet ?
MP : Oui bien sur. Quand on considère l’histoire des Etats-Unis et pas seulement celle des américains d’ailleurs, car ce ne sont pas les seuls à avoir exploité les noirs… on était vraiment parti de très bas. L’évolution est incroyable, je pense que l’ascension d’Obama est très représentative de cette évolution. Si quelqu’un avait émis l’idée vingt ans en arrière, que les Etats-Unis auraient un jour, un président noir, personne ne l’aurait cru. J’ai l’impression que les gens se supportent mieux là bas, le climat est bien plus détendu maintenant, même vis à vis de la communauté noire.
Je suis allé aux USA trois semaines après l’élection d’Obama et à l’aéroport, l’employé de l’immigration, en me rendant mon passeport m’a dit « Bienvenue aux Etats-Unis », c’était la première qu’on me disait ça. Pourtant j’ai dû faire une cinquantaine de voyages là bas, mais personne ne m’a jamais dit ça auparavant. D’habitude c’est plutôt « pourquoi êtes vous ici? », « combien de temps vous restez ? »…
Penses-tu que le dub ait contribué lui aussi, d’une certaine manière, à l’évolution des mentalités ?
MP : Oui je pense que la musique est une arme secrète, pas juste le dub d’ailleurs. La musique fait tomber des barrières, elle est là pour nous montrer que nous sommes capables de ressentir quelque chose, comme un esprit. Beaucoup de gens écoutent de la musique produite par les noirs, depuis le jazz jusqu’au dub, et tout le monde peut ressentir les émotions qui se dégagent de la musique. Que ce soit de l’amour, de la peine, de la haine ou même du sexe, les gens le ressentent.
Tu connais peut être la chanson de Syl Johnson, « Is it because I’m black ». A un moment il dit « The dark brown shades of my skin only add colour to my tears (…) something is holding me back, is it because i’m black ? », « les teintes sombres et brunes de ma peau ne font quajouter de la couleur à mes larmes. (…) quelque chose me retient, est-ce parce que je suis noir ? » (…) Il y a un message très fort ici, comme avec Nina Simone…
Toutes ces chansons racontent des histoires qui parlent de justice, d’égalité, de vérité. (Il se met à chanter) « No matter how hard you try, you can’t stop me now… My skin is black but that’s no reason for holding me back… why don’t you give it up, give it up…. » « Tu auras beau essayer, tu ne peux marrêter maintenant… Ma peau est noire mais ca nest pas une raison pour me retenir… pourquoi nabandonnes tu pas, nabandonnes tu pas… ».
T’as une jolie voix, comment se fait-il que tu ne chantes jamais ?
MP : Et bien je chante dans la salle de bain…
Comme tout le monde, mais je veux dire pourquoi tu ne chantes pas sur tes productions ?
MP : Parce que personne ne m’a demandé avant… Mais maintenant que tu le dis, je pense que je vais travailler dessus. Dès la semaine prochaine je vais faire un disque, peut être même que je commencerai par dire qu’il est pour toi !
Tu as envie de te retirer un jour, trouver la quiétude quelque part ?
MP : Non pas du tout, et je suis allé dans plein d’endroits calmes, mais c’est pas ce dont j’ai envie… J’habite toujours à Londres, enfin quand je ne suis pas en tournée. J’aime cette ville parce tout est constamment en mouvement justement. Il y a plein de clubs, d’endroits où se produire. Je joue dans la capitale une dizaine de fois par an et aucun concert ne se ressemble jamais ! C’est une ville fascinante.
Quel est morceau qui, lorsque tu le joues, enflamme le public à chaque fois ?
MP : On joue des « mastertapes » (enregistrements originaux). Le public est toujours réceptif à The Almighty One (Chuki Starr), également le Kunta Kinte, je dirais entre ces deux là… ou peut être English Girl.
Quel est le meilleur endroit ou jouer du dub, selon toi ?
MP : Et bien je dirais que les capitales du monde sont les meilleurs endroits pour jouer du dub comme à Londres ou Paris. Les gens sont passionnés, sans doute du fait de la mixité des styles et communautés. Moi je m’amuse partout, au Mexique, à Los Angeles, Frisco, en Europe…
Et bien nous attendrons cet album avec du chant, ou plutôt ton chant, avec impatience…
MP : Viens donc faire les backing vocals !
Interview : Sophie Brignoli
Retranscription : Sophie Brignoli et Alexandre Claass
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