Dans cette chronique BD, on cause torture, licencements, bourse, bande de Gaza, urbanisme, Nadine Morano ou Corée du Nord…… chouette programme, hein ? Ca vous fait pas penser à quelque chose tout ça ? Un truc léger, qui se lit dans le calme et le recueillement d’un cloître cistercien ou sur les rythmes endiablés d’un wagon lit. Un truc qui balance et qui groove grave. Mais si les gars, la bourse et son cortège de stats et de plus values audacieuses,… le capitalisme néo-libéral et sa marche néo-moderne vers une néo-pauvretée… Pif Gadget ? Pas loin, pas loin du tout. C’est le Monde diplomatique qui fait peau neuve ce mois ci et qui nous offre un numéro BD.

Dit comme ça, moi, ça m’éclate ! Pensez à la tronche du lecteur moyen du Diplo : ce type s’abime les yeux depuis 15 ans à lire, en tout petit en plus, la prose néo-révolutionnaire, altermondialiste d’Igniacio Ramonet, Serge Halimi et consorts. Des textes, pour ceux qui ne connaîtraient pas, qui sont aussi sexy qu’un chausson aux pommes, sans pomme, auquel on aurait enlevé la pate feuilletée. Vous voyez le truc ? Le gonz est là, prêt à produire son effort intellectuel mensuel, compliqué, raide mais satisfaisant, et… bing ! Qu’est ce qu’ils trouvent à lui faire ? Lui coller des images ! Des dessins qui causent avec des bulles. Là franchement, les gars du journal, bravo ! C’est aussi insensé que d’imaginer un Réveil Campus sans groove, sans rock, sans black music, mais avec la 3ème de Malher et la ballade mélancolique de Chopin ! Nan, sincèrement, sans rire, je suis bluffé. Une vraie révolution copernicienne, d’autant que c’est un journal que j’ai beaucoup pratiqué, le lecteur moyen dont je me foutais, ça aurait pu être moi.

Alors, le contenu ? 100 belles pages, d’un papier épais qui roule bien sous les doigts, imprimées en Bretagne dans une usine qu’on imagine coopérative, bio, responsable. 100 pages au contenu, forcément lourd lui aussi. Je vous le disais, Corée sous les traits de Juhyun Choi pour un beau récit politique et didactique à la première personne. Histoire en miroir entre la France et la Corée du Sud, histoire de basculements politiques. Pour vous la faire rapide, quand la France vote à droite, la Corée du Sud bascule à gauche pour la 1ère fois depuis les années 50. Histoire qui montre à quel point la patrie de Huyndai est un magnifique paradis capitaliste et un cauchemar social et démocratique, où la société civile est maintenue sous la botte d’une caste locale aux ordres des Etats-Unis.

On n’a pas tous la chance de vivre dans un rempart du communisme. Dessins enfantins, faussement naïfs. Tout en noir et blanc à l’encre de Chine, on sent presque encore la main de la dessinatrice sur les dessins. Récit aussi de la flottille pour Gaza. Toujours en noir et blanc. Là, on retrouve le coté Monde diplomatique de base, la Suédoise Joanna Hellgren illustre le discours de la principale organisatrice de cette expédition. Et c’est très touchant. Disproportion entre provocation humanitaire et sauvagerie militaire. Témoignage, avec Lisa Mandel, qu’on connait pour ses engagements mais aussi et surtout pour son style humoristique, mis, là, de coté et remplacé par un ton et un sujet grave : une cellule d’accueil psychologique à Marseille pour migrants ayant subi tortures et autres vexations. Ou histoire, sans morale, de l’autre bout du monde avec le Sud Africain Joe Dog. Il nous embarque dans une histoire de viol entre réalité sociale et choc racial à la sud Af’. A nouveau, l’impression d’étouffer avec cet écho de la nation arc-en-ciel. Et puis, on a aussi les ovnis graphiques. Le photo-reportage de François Ruffin, de France Inter, qui invite Bernard Arnault, the king of french capitalism, à l’article de la mort, sur les sites de ses méfaits. Ou bien Morvandiau et Jochen Gerner, chacun de leur coté aux prises avec la bourse ou le secours catholique, ou encore les italiens Stamboulis et Costantini qui, entre photos de presse et peintures, dessins très orientaux, refont l’histoire du Caucase. Brouille historique dans une farandole d’arabesques sanglantes.

Bon, pour en finir, vous le savez, forme et fond fonctionnent ensemble. Et ici du coup, vous l’aurez compris, point de grand textes théoriques et tactiques pour faire chuter le capital mais une série d’essais graphiques à la 1ère personne pour mettre bon un coup de latte au ton, souvent ampoulé, du bon vieux journal, qui eux aussi font mouche. Bref, vous l’aurez compris, ce hors-série BD du Monde diplomatique est bien, très bien, très risqué car à contre pied de cette bible sérieuse de la critique radicale officielle et surtout parce que le risque est poussé à fond visuellement avec les différents styles et langages graphiques, très loin du regretté Pif Gadget ou de Tintin au Congo.

Alors messieurs les révolutionnaires, à quand le journal officiel illustré par Loulou et Kiki Picasso ?

Retrouvez la chronique BD de Martial sur les ondes de Radio Dijon Campus (92.2) tous les mardis à 8h40 et vers 12h20 pour la rediffusion.