Aujourd’hui on flingue à tous les étages, de tous les cotés et à tous les coins de rue. Quand j’vous dit coin de rue, c’est aussi bien à gauche qu’à droite… hein, on s’comprend. Aujourd’hui, j’vais vous parler de deux BD plutot mainstream sorties chez Futuropolis : d’un coté le tome 2 de Mattéo et de l’autre, le très attendu dernier Tardi, version roman noir, La position du tireur couché.

Deux best-seller, à coup sur, mais quand c’est bien on va pas faire la fine bouche… On commence par Mattéo, dessiné et scénarisé par Gibrat. Avec lui, on est dans le grand classisime de la BD franco-belge. Un dessin léger, précis très détaillé et pourtant nerveux, vivant. Les cases sont dessinées comme autant de reproductions de photos. Les tronches de ses persos sont juste ce qu’il faut pour ne pas être trop caricaturales. Dès le 1er coup d’oeil, on sent qu’il aime dessiner les femmes. Elles sont toutes bien en chaire, rondes. Elles ont toutes de méchantes paires de miches et des descentes de reins à n’en plus finir. Mais, mais, mais l’histoire et l’intérêt de cette BD, en trois parties, ne tiennent pas à ces naïades, sinon j’vous parlerais  plutôt de Manara et ses copains. Non là, quand comme moi, on a franchi ce coté presque hyper réaliste du dessin, on peut pleinement profiter de cette histoire intime qui nous plonge au coeur des grandes tourmentes du début du 20ème siècle :  d’abord dans le tome 1 la guerre des tranchées et là, la grande révolution bolchévique de 1917.

Mattéo, donc, un gars du sud revient chez maman après avoir déserté l’armée française dans le tome 1. Alors, il a pas déserté comme ça… c’est un politique. Un rouge ? Même pas un noir, un anarchiste bien d’chez nous à l’ancienne. Cet anarchisme rural, plein d’bon d’sens, luttant contre l’aristocratie paysanne, suffisante, prétentieuse, imbue d’elle-même, vestige de toutes les réactions du passé. Mattéo revient mais pour faire un passage éclair. Après quelques temps de planque chez les compagnons espagnols, il décide, avec Gervasio, un pote de la famille, de franchir le pas et d’entrer de plein-pied dans le rythme de l’histoire… et à l’époque, le coin le plus hype pour être dans l’mouv’, c’est la Russie…

La Russie en train de devenir soviétique. La Russie en train de devenir la patrie des prolétaires de tous les pays… Mais la Russie en 1917 n’est pas encore sous la botte des bolchéviques et de Lénine. La Russie est alors convulsive et ouverte à tous les bras armés qui voudront la saisir : les communistes, bien sur, mais aussi les socialistes, les anarchistes et les derniers blancs qui résistent ici et là.

Gibrat nous plonge dans une ville enflée par les ambitions et les barricades : Pétrograd, aujourd’hui St Petersbourg et naguère Leningrad. C’est là que tout commence, dans cette ancienne capitale des Tsars où l’administration tente de s’installer. Les luttes de factions sont nombreuses. Mattéo devra servir les libertaires mais jouera finalement le jeu des bolchéviques pensant que c’est par là qu’il « donnera tout le pouvoir aux Soviets » et j’vous l’donne en mille, cet aveuglement militant sera consécutif à une histoire d’amour, tout en renoncements et contradictions.

L’histoire est assez rondement menée, assez conventionnelle, j’en conviens, plutôt morale, mais avec un charme, et un style graphique qui vous donne l’impression d’assister dès ses 1ère minutes communistes aux 60 années d’enfer à venir au pays du socialisme réel.

On abandonne la quête du bonheur avec Tardi, mais on reste dans les bas fonds de la manipulation et des jeux politiques. Bye bye l’histoire, bonsoir l’polar. Dans La position du tireur couché, adaptation d’un bouquin du défunt Manchette, LA référence de la série noire des années 70/80, y’a pas de gentils, y’a que des méchants. Des pourris flinguent des salauds. Le schéma est simple : prenez un  con, c’est comme ça que Manchette définit son personnage principal, et manipulez-le à souhait. Surtout si ce con a comme talent de flinguer qui vous lui dites comme personne. Là, j’vais pas vous raconter l’histoire, tout tient dans le suspens. Sans mauvais, jeux de mots, j’vais pas vous flinguer votre plaisir.

J’vous dirais juste que c’est réjouissant de voir à quel point Tardi maitrise son sujet et l’exercice de l’adaptation. Le noir et blanc convient parfaitement à ces ambiances glauques, confuses, interlopes… C’est de la bouillasse qui reste dans vos yeux après la lecture : des boyaux évidés, de l’oreille arrachée, du cerveau trituré par la DST, la fougue des grosses Citroën noires, des rendez-vous et des planques campagnardes, et bien sur, du réglage de compte à coup d’automatiques.

Tardi nous fait du Tardi, mais contemporain, dans un Paris qu’il s’amuse à redécouvrir à travers les années 70. De son coté, Manchette tricote une histoire remplie de clichés : le sexe, l’alcool, les coups tordus, les répliques à la Audiard, les personnages unilatéreaux : le flingueur flingue, le manipulateur manipule et le chinois… fait du karaté. Là, le bonheur est passé au fusil mitrailleur et se transforme en point de croix pour tables de grand-mères.

Bref, ces deux BD seront à coup sûr sous des milliers de sapins d’Noël d’ici un mois, j’vous aurais prévenu… faites gaffe aux doublons pour les cadeaux du tonton ou d’la voisine de palier.

Martial

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Mattéo, de Gibrat, tome 2, environ 15 euros.
La position du tireur couché, Manchette et Tardi, autour de 19 euros.
Les deux chez Futuropolis.

PS : Tardi nous annonce déjà une future adaption de Nada (de Manchette), affaire à suivre.

Retrouvez la chronique BD de Martial sur les ondes de Radio Dijon Campus tous les mardis à 8h40 et vers 12h20 pour la rediffusion.