Yuksek jouait à Nancy le mois dernier pour une soirée du festival Résonances Electroniques à l’Arq. Et alors que certains se costumaient pour cette nuit d’Halloween, nous avions préféré rejoindre Pierre-Alexandre Busson dans sa chambre d’hôtel pour siroter du champagne, tout en lui posant plein de questions sur la musique en général, son futur album, The Krays, son projet Girlfriend ou la pub Peugeot… Vous apprendrez tout sur le nouveau Yuksek ; le chanteur qui se révèle, mais aussi le producteur qui s’affirme et enfin l’artiste qui assume son côté clairement pop.
Ça s’est passé comment Elektricity cette année ?
Très bien, c’était une bonne édition. C’est un petit festival qu’on a monté avec trois bouts de chandelle il y a huit ans, et qui a maintenant un certain poids et un certain soutien institutionnel. C’est assez chouette parce que c’était pas gagné à la base, Reims n’est pas spécialement réputée pour son investissement dans ce genre de trucs. Je suis un peu la star locale là bas. Même si je ne gère plus le festival, je suis toujours en réunion avec la mairie, les partenaires, un faire valoir en quelque sorte… Ca fait passer des idées, ils comprennent. Je ne suis pas le seul à être impliqué, il y a aussi Guillaume de The Shoes, les Bewitched Hands, Brodinski… plein de groupes qui marchent bien à Reims. Et depuis deux ans, le fait de faire un concert devant la cathédrale de Reims… Garnier et moi l’année dernière, Etienne De Crécy et Erol Alkan cette année… Y’a cette idée de rapprochement entre patrimoine et musique, c’est intéressant.
C’est là que tu as présenté ton nouveau projet Girlfriend ?
Oui, c’était la deuxième fois. C’est pas un nouveau projet, c’est un projet paralèlle avec Clément d’Alb, avec qui j’ai déjà eu un groupe qui s’appelait Klanguage. On bosse sur le même matos, on partage le même studio, c’est le mec le plus proche de moi musicalement et géographiquement. Il habite à vingt mètres de chez moi et on s’était dit que ce serait marrant de faire un truc. Ca s’est passé au Louvre. Le directeur de la Comédie de Reims bossait beaucoup avec le musée parisien et, à l’occasion d’un cycle consacré à Umberto Eco, il m’a proposé de faire un concert de clôture, en tant que Yuksek. Moi je trouvais ça complètement décalé de le faire sous cette forme, je voulais faire quelque chose de spécial… ça l’a branché. J’ai du mal à expliquer ce que c’est, c’est pas dansant, c’est assez pop mais pas chanté, c’est assez psyché, très vieux synthétiseurs. Avec Clément, on est des vrais geeks du clavier. Donc c’est vite la débauche de matériels qui valent une fortune et que l’on sort du studio une fois par an. Normalement ils devraient y rester parce qu’à chaque fois, on en a pour 1000 de réparation, rien qu’en les trimbalant dans une voiture. L’idée c’était de faire un seul morceau , une espèce d’évolution sans fin avec des montées… C’est difficile à expliquer…
Donc c’est un peu plus rétro ?
Ouais, c’est assez influencé Gary Numan, un peu la proto-électropop fin 70 / début 80 avec des trucs bizarres, des sons un peu glauques. Du Gary Numan sans les voix.
Tu faisais partie d’un groupe avant ?
Oui, ça s’appelait Klanguage. Il y avait même une chanteuse, on a fait un seul album. Je faisais de la basse, les choeurs et les claviers.
T’as pas envie de revenir à ça ?
Si. Déjà, de rejouer dans un groupe dont je ne serai pas le chef, ça me ferait rigoler mais je n’en ai pas le temps. Sinon je pense que la prochaine tournée Yuksek ce sera une formule groupe. Je n’ai pas encore fini mon nouvel album mais pour l’instant les compos sont toutes des chansons, donc je pourrais difficilement être à la fois derrière les machines et au chant. Ce serait dur. C’est moins électronique dans l’idée mais c’est pas ce que j’appellerais de l’électro. J’aimerais bien que ce soit un groupe parce qu’il y a beaucoup de voix, de choeurs et j’aimerais bien produire ça sur scène. En tout cas, tout seul, c’est impossible.
C’est important pour toi les voix, ça apporte quoi à un morceau ?
Oui, ça l’est de plus en plus. J’ai toujours aimé les musiques vocales en général, j’ai fait pas mal de chant, beaucoup de classique. La voix c’est un truc qui véhicule énormément, j’aime bien les harmonies vocales. Ce qui est étrange, c’est que j’arrive à complexifier les morceaux ou à trouver des harmonies plus facilement à la voix qu’avec des instruments. J’aime particulièrement les choeurs… Tu connais Local Natives ? J’ai joué avec eux cette année et j’ai trouvé ça super. Je me disais que les gars n’arriveraient jamais à faire ça sur scène, ils sont 6 ou 7, c’est un peu Architecture in Helsinki dans la formation. Ils chantent tous et hyper bien. Je m’assume un peu plus comme chanteur et c’est pas facile de trouver la singularité de sa propre voix. J’ai toujours tendance à penser que c’est de la merde et puis des fois j’arrive à faire un truc en me disant « ah c’est pas mal ». C’est là que ça devient intéressant…
Et tu trouves ça plus compliqué de devoir chanter quand tu joues en live ?
Non c’est cool. C’est ce qui me fait chier dans les lives électro et c’est pour ça que je me suis compliqué la vie. A la base, je pourrais venir avec un ordi, un synthé et me cacher derrière, mais j’ai déjà joué dans des groupes, j’ai pas envie de m’ennuyer sur scène. J’essaie de trouver une implication dans le live, et tu peux difficilement faire mieux qu’avec un truc qui sort directement de toi. Chanter, moi, j’aime bien. C’est hyper flippant et stressant, surtout qu’il y a plein de morceaux que j’ai composé sans forcément penser à la voix. Du coup, je chante des trucs qui sont à la limite de mon timbre, j’arrive pas forcément à le faire tous les jours. Il suffit que j’ai trop fumé et je n’y arrive pas…
Quelqu’un comme Apparat ça te parle ?
Je connais assez mal, on a joué plein de fois ensemble, je connais le gars mais je suis assez peu resté écouter. Mais des mecs comme James Murphy, qui n’est pas du tout chanteur à la base, je les trouve flippants. D’autant plus que c’est pas son métier. Il n’est ni frontman, ni chanteur mais il le fait tellement bien sur scène que c’est mortel. Je suis plutôt fan de LCD Soundsystem, pas forcément inconditionnel mais c’est hyper intéressant. Sur scène, c’est chouette.
Avec le recul, tu penses quoi d’un track comme Composer ?
Oh c’est cool, mais je ne l’écoute pas. Tous les morceaux de cette époque, je ne les ai plus parce que je prends pas vraiment soin de mes ordinateurs, et au fur à mesure ça dégage . Du coup, je perds toujours des générations de trucs ! Pour Composer j’ai même pas la chanson, mais je m’en souviens bien. J’aimais bien ce morceau, je renie pas grand chose…
Pas grand chose ?
Non mais même sur l’album précédent, il y a des trucs qui me plaisent plus ou moins. Mais pour Composer, si j’avais le disque, je le jouerais. Dans mon souvenir, c’est pas spécialement daté… C’est pas que ça ne me plaît plus mais je ne le referais pas, je n’en serais pas capable. Les trucs franchement club comme Take A Ride, ou I Like To Play, je ne pourrais plus les faire. J’ai essayé à un moment, je me suis dit que ça serait bien d’avoir un ou deux trucs comme ça sur l’album, mais vraiment je n’y arrive pas.
Le nouvel album est moins tech, plus pop ?
Ah oui, carrément. J’aime pas refaire deux fois la même chose, même en terme de production…Dans le premier album, c’était la puissance dans la rythmique, le côté compressé, saturé et je pense en avoir fait le tour. Je ne me vois pas faire ça pendant dix ans. J’aime bien la puissance dans la musique et je veux essayer de la trouver ailleurs, dans le nouvel album, c’est plus dans la largeur et l’enveloppe du son en général, pas forcément le côté rentre dedans.
Donc tu risques de toucher encore plus de monde ?
Ou moins… Les gens qui sont hyper fans de Tonight seront déçus, je pense. A la fois, dans les retours que j’ai, les gens ont un peu compris le truc. Ils me parlent du côté plus construit des mélodies, des morceaux, des arrangements et des sons, bien plus que de la production.
Et pour the Krays, comment s’est passé la rencontre avec Ebony Bones ?
En fait c’est un hasard, c’est Louis (Brodinski) qui avait joué avec elle et lui avait dit qu’il aimait bien ce qu’elle faisait. Du coup, il lui a demandé si elle avait une acappella qui traînait. Elle nous en a envoyé une, on a fait un track et en échange, on leur a fait un remix pour un morceau de l’album. Depuis, je l’ai revue à Paris et je vais bosser sur son prochain album. Le live est super, elle est dingue et elle chante hyper bien. The Krays, en fait, c’est la récré, y’a pas de prise de tête, on trouve trois samples, on fait un truc… On a de bon retours du remix qu’on a fait pour Aeroplane, qui a été pas mal playlisté. On fait aussi quelques dj sets, New York la semaine dernière … C’est drôle parce qu’on a beaucoup joué ensemble il y a quelques années, puis on a arrêté parce qu’on n’est pas forcément sur la même longueur d’onde ; lui c’est techno, c’est bourrin, c’est speed, moi de moins en moins… Du coup quand on a essayé de rejouer ensemble c’était pas forcément ça. Mais pour The Krays, on se met d’accord sur une cinquantaine de morceaux dans lesquels on pioche, du coup on est plus raccord, on réfléchis un peu plus les dj sets.
Tu es un geek des synthés, si tu devais en garder un et pourquoi ?
Un seul, c’est trop peu, faudrait en garder trois. Korg MS20, Memory Moog, et Juno 60. C’est très complémentaire, avec ces trois synthés tu fais tous les sons, en gros. Ils ont tous leurs spécificités, mais globalement ce sont les trois trucs qu’il faut.
T’écoutes quoi en ce moment ?
The Wave Ballet, morceau de Oh No Ono, c’est hyper beau. Ca commence classique, dans le sens musique classique et ça part super pop, une espèce d’envolée… J’ai vu des vidéos d’eux, avec un morceau hyper bien construit, bien produit, des voix, un peu comme les voix de tête de MGMT. Sinon, Local Native. Sur scène, c’est à voir. Et puis dans les locaux, l’album des Bewitched Hands, que j’ai produit, sort ces jours-ci. L’album de The Shoes, qui sort en février. C’est un album très pop comparé à ce qu’ils font en dj set.
Vous êtes tous de Reims, c’est pour ça, toutes ces collaborations ?
Je ne suis pas très sociable à la base, je collabore donc avec les gens qui sont mes voisins et que je connais depuis dix ans. Sinon, j’ai du mal. Les Bewitched, je les ai vu à Reims en concert et je leur ai demandé de faire la reprise de Tonight sur l’album. Ca a plu à mon label, qui les a signé, le tourneur a suivit aussi et de fil en aiguille, j’ai mixé leur disque. Guillaume de The Shoes est un ami, il me file un coup de main pour finir mon album.
Y’aura des featurings sur le nouvel album?
Pas du tout. Ca ne sera que moi. Sur le premier album, il y avait des featurings, des duos plutôt. Puisqu’aussi bien avec Amanda Blank que Chromeo, on chantait à deux. Je faisais les refrains et eux les couplets, ou inversement… J’ai toujours eu un problème avec les disques vraiment chantés, où il y a des chansons mais aussi plusieurs chanteurs. Ca m’a toujours gêné, j’arrive pas à écouter ça comme un album, mais plutôt comme une compilation. Une fois l’album fini, peut être que j’aurais envie d’inviter quelqu’un.
Et tu inviterais qui ?
Je suis pas spécialement dans le name dropping, je ne cherche pas à faire connaître le morceau via la personne qui va chanter. J’ai fait un remix pour une nana qui s’appelle Oh Land, une danoise qui vit à NY. J’aime bien sa voix, le remix a bien marché et le label voudrait que je fasse des morceaux pour son album. En échange, ce serait peut être sympa qu’elle vienne chanter sur un morceau à moi. Elle chante très bien en anglais, mais avec un accent danois, un peu dur… J’aurais bien fait un truc avec Peaches aussi, on a fait une tournée en Australie où l’on a bien rigolé… Après, je n’ai pas beaucoup d’amis dans la scène musicale dans laquelle je suis.
Tu peux nous raconter l’histoire avec Peugeot ?
C’est un gros coup de chance… c’est la musique de pub la plus rémunératrice de 2010 ; ils l’ont passée, repassée… à coups de 60 secondes… c’était une pub monde, pour l’ensemble de la marque. C’est l’image de marque, donc c’est aussi leur répondeur téléphonique, enfin, c’est Peugeot quoi !
Et c’est aussi Tonight, du coup ?
Oui ! Mon manager travaille dans une grosse agence de publicité. Il est toujours hyper gêné de proposer des trucs à moi, il n’aime pas cette idée de collusion, il est assez honnête dans ce qu’il fait. Pour ce spot là, il n’avait pas proposé de morceaux à moi. Des gens ont bossé sur la musique pendant 4 mois, mais vu que c’était une grosse campagne ils étaient hyper stress. En décembre, toujours rien ne leur plaisait et de dépit, mon manager a glissé trois morceaux en leur disant « essayez ça au pire » Il y avait Tonight dans le lot et les mecs ont fait « c’est bon, on a le truc ». Ca a été complètement surréaliste. Puis guéguerre encore d’une semaine puisque le boss de l’agence de pub n’en voulait surtout pas et comptait absolument placer un morceau de classique. Donc ils ont fait des tests, des montages… et Tonight a été gardée ! L’affaire s’est réglée le 31 décembre je crois, deux jours avant la diffusion. C’était la bonne nouvelle du premier janvier. Moi, je n’ai aucun souci avec ça, certains me traitent de vendu… mais il y a un moment, il faut savoir ce que tu veux faire de ta vie. J’ai toujours fait de la musique, je me suis toujours donné les moyens d’en vivre et j’espère que ça va durer longtemps, que j’aurais jamais besoin de rien foutre d’autre. L’idée, c’est pas d’acheter une Mercedes ou un château, c’est juste de ne pas me prendre la tête avec les ronds et d’être tranquille. Tout ce qui me permettra de le faire, je le prendrai avec grand plaisir. Et puis, c’était un morceau existant, j’ai pas fait la pute. Ca faisait un an que l’album était sorti, si Peugeot veut le prendre et me donner un gros paquet de blé pour le faire, je ne vais pas dire non, ce serait ridicule. C’est un truc hyper faux cul, des mecs comme Herman Düne, cette clique de néo-hippies qui chient sur tout ça, et qui disent « oui » quand on leur met un contrat sous les yeux…
C’est un dj set ce soir ?
Oui. Le but, c’est de faire danser les gens. J’essaie de jouer des trucs qui font pas trop mal aux oreilles, pas comme la mode de ces derniers temps. Des trucs plus lents qui te donnent envie de danser avec le sourire, plutôt que des trucs où tu danses en serrant des dents. Voilà. Pendant un moment je me prenais vachement la tête par rapport à ce que je faisais comme musique. Tu véhicules une image même au travers des dj sets, certains ne connaissent que ça et ne font pas forcément la différence entre dj set et live, le disque et ce que t’es, ce que t’aimes… Si tu commences à réfléchir comme ça, tu ne t’en sors plus ! Donc j’en ai rien à foutre… Depuis deux ans, la musique électronique m’a vraiment fait chié globalement. Y a eu ce truc avec Justice, qui ont amené quelque chose, qu’on aime ou qu’on aime pas. La vague Justice / Sebastian a amené un son, un truc qui résonnait avec ce que j’aime aussi, le côté très pop, chercher la mélodie, et d’un autre côté, l’impact. Mais ça a tellement été copié, exagéré, plus bourrin, plus vénèr, moins mélodique. On est arrivés à des trucs comme les Bloody Beetroots, Crookers, ce que j’ai toujours détesté. Y avait plus que ça dans la musique, ou alors des trucs techno avec des espèces de montées, des trompettes et des sifflets. J’avais du mal à trouver des morceaux à jouer en dj set. C’est un peu mégalo de dire ça mais globalement, je ne jouais que mes trucs, ceux de mes potes et mes remixes. Et là, ce coté néo-disco revient fort et je trouve ça chouette. Mais je ne mixerais pas que ça. Cette période a été digérée et maintenant, certains arrivent à faire des trucs un peu plus durs, un peu plus speed mais en gardant ce côté frais : c’est pas la turbine, c’est pas trop mental mais on a trouvé un certain équilibre. J’arrive à dénicher pas mal de morceaux comme ça en ce moment. Mais j’ai jamais trop écouté d’électro en fait…
Ah bon ? t’écoutes quoi alors ?
Des millions de groupes indé pourris…
Et des trucs comme Flying Lotus ?
Flying Lotus, on a essayé de m’initier mais je suis pas fan. C’est bien fait. Je préfère Hudson Mohawke. James Blake, aussi. J’ai toujours bien aimé des mecs comme Matthew Dear, ça se renouvelle, c’est intéressant. La minimale m’a toujours fait un peu chier. Bizarrement, dès que j’aimais un morceau c’était soit Audion soit Dear… parce que ça va au delà de la minimale, y’a un truc plus prenant. Après, j’ai toujours été super fan de la clique Smagghe : pour moi c’est un des meilleurs dj français et ça le restera. Je peux pas être déçu dans cette mouvance là. Bon, peut être que si t’as 18 ans et que tu n’aimes que l’électro, mais passé 25 ans et avec un minimum de culture dans cette musique c’est dur d’être déçu par ce mec, parce que c’est lui qui fait la jonction entre la minimale, la disco, la techno, la house et avec goût. Et des gens comme Chloé, je trouve ça intéressant… Et tous les ersatz de la clique Kill The DJ, Discodeine, Pilooski, et toute la clique de Joakim, même si, morceau par morceau, les trucs sont pas forcément toujours à te coller au plafond. Il y a quelque chose de chouette dans leur démarche.
Propos recueillis par Sophie Brignoli