Fin décembre 2010, les labels Citizen et Paranoïak nous ont gratifiés d’une soirée club dans le cadre du festival GénériQ, invitant notamment Surkin et Breakbot à venir jouer au Hit Club. Ce fut l’occasion pour nous de (re)découvrir ce lieu magique ;  sa file d’attente pour les vestiaires digne d’un musée parisien, ses loges – placards, la fraîcheur des teenagers qui s’agitent sur le dancefloor, leur vodka saveur flotte… Mais qu’importe, on avait juste hâte de pouvoir discuter avec le cadet du label Institubes, Benoît Heitz, qui nous avait bien fait transpirer en 2006, avec les hits Ghetto Obsession et Radio Fireworks, transcendant alors les codes de l’electro-french-touch. Après quatre années passées à la fois en tournée et en studio avec Para One, Tacteel et tous les autres, le jeune homme a mûri : il sort (enfin) un album et concrétise son projet techno High Powered Boys avec Bobmo. Entretien détendu et un peu éméché avec Surkin.

Sparse : Alors cet album, c’est pour quand ? 2013 ?

Surkin : C’est vrai que chaque année j’en parle, mais là réellement l’album est fini depuis quelques mois, on est dans une sorte d’embouteillage, de deals avec des labels qui prennent un peu plus de temps que prévu…mais le disque est là.

Mais c’est un vrai album, ou une compile de morceaux déjà sortis ?

Il y a des morceaux qui sont déjà sortis oui, mais c’est un vrai album quand même.
C’est un album avec des productions un peu à part, ça m’a pris vachement de temps. Honnêtement j’ai fait plein de morceaux et à un moment j’ai décidé d’arrêter de me poser des questions, parce que j’aurais pu continuer à retravailler les tracks indéfiniment. En août les morceaux étaient finis, le package est maintenant complet et ça va sortir normalement en 2011…vraiment cette fois-ci ça sort. Le seul problème c’est que certains des morceaux me semblent déjà datés parce que  je les ai fait il y a deux ou trois ans déjà. C’est un peu une sorte de best-of de ce que j’ai fait, mais dans une optique album.  C’est vraiment pas club, c’est  pour ça que je suis assez content de l’ensemble car ce sont de vrais morceaux. Toute la partie club de mon travail est en fait maintenant redirigée vers le projet High Powered Boys, qui est mon projet commun avec Bobmo. On va d’ailleurs sortir un maxi en février sur Sound Pellegrino.

Ca a marché le release 2010 des HPB, Songs for Abel ?

En fait l’Ep qui est sorti cette année datait déjà de quelques temps… C’est aussi un projet qui avait pris à la base pas mal de retard mais ça a marché et ça nous a plu. Avant, les High Powered Boys n’étaient vraiment qu’un passe temps et là c’est en train de devenir plus concret. En juin on a pris un studio ensemble, constitué de deux pièces qui sont reliées entres elles. Dans le même bâtiment il y a aussi Para One, Jackson, Birdy Nam Nam, Cosmo Vitelli… donc c’est un peu une sorte de gros bouleversement vu qu’on faisait tous de la musique dans notre chambre. Enfin, Bobmo et moi. On s’est mis à bosser pleins de morceaux, on finit les productions ensemble, on se demande conseil tout le temps. HPB prend une forme plus prioritaire, ça devient important. On a déjà fini 6 morceaux en trois mois,  ça va hyper vite et c’est vraiment agréable.

Musicalement ça ressemble à ce que vous avez déjà sorti sous HPB ou vous allez un peu explorer d’autres influences ?

HPB ce sont des références – hommages ; c’est encore très ghetto mais tourné vers le futur. C’est une sorte d’hybride entre plein de choses qu’on a aimées ces derniers temps comme le morceau d’Addison Groove / Footcrab, James Blake, pas mal de trucs anglais en fait… J’ai toujours été fan de gars comme Todd Edwards qui est une sorte de base, une énorme référence et qui a vachement influencé la scène anglaise, donc c’est un truc dans lequel on se retrouve. Tout comme la scène juke  qui revient en ce moment ; avec Bobmo c’est un des trucs qui nous a toujours plu et par lequel on a commencé.


Photo : (c) Mister B.

Et dans le crew Institubes, de qui te sens-tu le plus proche ?

Evidemment de Bobmo vu que c’est le mec avec qui je fais de la musique… On est très amis avec Para aussi et on constitue un peu une sorte de trio tous les trois : nous allons produire ensemble très bientôt.

Tes coups de coeur ?

J’aime beaucoup Club Cheval, Myd, Canblaster… vraiment ça faisait longtemps que j’avais pas entendu ça. On a une culture assez proche, assez nerd et c’est cool de voir des mecs français qui arrivent avec un son intéressant comme ça. Addison Groove, ça me plaît beaucoup aussi,  avec ses productions hybrides, sorte de renouveau de la scène juke.

Je t’entendais parlé de Skrillex tout à l’heure, tu écoutes ça?

Non j’aime pas du tout Skrillex, pour moi c’est vraiment pas de la musique, c’est du dubstep pour teenager américain ; c’est la beaufitude absolue du dubstep. Mais il y a pas mal de trucs qui m’ont vachement plus aussi. Personnellement le dubstep pur et dur me dégoûte, le wobble bass…en fait tout le coté drum n bass me répugne, mais ça a amené pas mal de choses, des influences plus garage, plus douces avec des beats qui sont pas du 4/4 et ça, ça m’intéresse bien plus. Ca a ramené vers des sonorités que j’adore depuis longtemps… Mais le dubstep de base me dégoûte, ça me rappelle le ragga jungle de mon adolescence que j’aimais pas du tout.

Donc l’album sort sur Institubes ?  Comment ça se passe avec eux ? ils ont eu un droit de regard sur l’album ?

L’album va sortir en licence sur plusieurs labels en fait, selon les endroits. Institubes est forcément impliqué dans la direction artistique de l’album vu qu’il a été créé avec eux. C’est même pas qu’ils ont un droit de regard en fait, ce sont des amis à qui je demanderais conseils, quoiqu’il arrive.

Ce soir tu vas jouer quoi ?

Tu verras.

T’étais venu jouer il y a quatre ans à la Vapeur pour une grosse soirée Ed Banger, tout au début de la vague French Touch 2.0 ? Tu t’en souviens ? Quel regard portes-tu sur cette étiquette ?

Je me souviens pas de la soirée… J’ai l’impression que ce sont une bande de mecs qui sont potes et qui font tous des trucs assez différents mais qui, hélas, ont été regroupés sous une forme de cliché qui n’existe pas vraiment. Moi j’ai jamais fait des trucs très saturés, je pense que mon morceau le plus joué c’est White Knight Two qui correspond pas vraiment à des codes… c’est juste que c’est arrivé au bon moment.

Et la tournée Hooligan ça t’a plu ?

Je pense que c’est une des tournées les plus marrantes que j’ai faite.

La débauche ?

Oui, comme quand t’es avec quatre potes aux States… Mais la débauche c’est quoi… c’est boire, pas dormir beaucoup, faire la fête…

Avec le recul c’était pas dur d’être confronté à ça si jeune, ou au contraire tu penses que ça t’a blindé ?

J’ai pas attendu d’aller aux Etats Unis pour boire du Jägermeister en shot.

Non d’accord, mais de manière générale ?

Au final combien de gens en France se bourrent la gueule tous les week-ends ? Enfin c’est pas non plus un truc fou avec des dizaines de putes.

Ah bon ? Parce que c’est la question que tout le monde se pose  ? Les putes, la coke … ?

Mais tous les jours ma p’tite, il y a des limousines qui tous les matins m’amènent du 84 rue de la… au 16 rue de la… pour aller dans mon studio… Mais qu’est-ce que c’est que ces questions ? Tu t’es jamais bourré la gueule toi, ou retrouvé à poil sur une table ? Moi, à 18 ans à la limite je faisais pire que pendant les tournées à 22 ans ; ça a pas été une espèce de descente aux enfers dans l’alcool. C’était pire adolescent à Saint Rémy de Provence, je me bourrais la gueule à en vomir tous les soirs.

Revenons à tes productions…Elles sortent  toujours en décalé ? J’ai l’impression qu’il y a toujours une ou deux années de battement…

C’est à dire que je commence des trucs, puis ça me plaît plus et puis finalement je les retravaille. Avec le nouveau studio c’est différent, je suis vraiment plus dans l’instant. Maintenant, quand on commence quelque chose avec Bobmo, on le finit dans la semaine. C’est pour ça qu’en 2011 on va sortir beaucoup de morceaux par rapport aux autres années : on a un rythme de travail différent. C’est marrant parce que quand tu sors un maxi par an, les gens pensent que tu fais pas de musique alors que j’en ai commencé 500 des morceaux chez moi.

Mais t’as le temps de faire de la musique, avec toutes ces dates ?

J’arrive à faire de la musique la semaine, et je tourne presque tous les week-ends, depuis quatre ans.

Et tu te vois toujours plus comme un producteur plutôt qu’un dj ?

Je suis les deux je pense. Je suis dj en fait parce que je suis producteur, et pas l’inverse.

Des remix bientôt ?

J’en fais pas en ce moment.

Le remix de Light Year de Fan Out, ça te plaît ?

Le remix c’est un principe assez simple ; tu as un morceau et t’as envie de le faire apprécier par un public plus large donc tu en fais un remix. Ce remix donne une autre fonction à mon morceau c’est évident. Je sais plus comment ça s’est passé exactement…

T’es un collectionneur de vinyles ? Tu aimes l’objet ?

En fait c’est par période, une fois tous les deux ans je vais avoir envie d’en acheter. J’ai une platine vinyle chez moi mais honnêtement au jour le jour j’en écoute pas, j’ai pas de lecteur cd non plus. J’aime l’objet parce que j’aime la pochette, alors que je n’aime pas le son vinyle. J’aime bien avoir mon maxi en vinyle, ça me donne l’impression qu’il existe.
Je n’ai jamais mixé sur vinyle et j’aime pas non plus les réactionnaires de la techno qui te soutiennent que mixer sur vinyles c’est mieux.
Quand j’ai commencé à jouer, j’arrivais en soirée avec mon ordinateur dans des clubs où l’on jouait que de la minimale, c’était l’époque où jouer sur cd était encore considéré comme du blasphème… Maintenant c’est devenu semi normal sur cd alors que sur les nouvelles platines tu as des compteurs de bpm, des loopers qui se calent automatiquement au tempo. Limite les platines cd deviennent plus perfectionnées qu’un ordinateur. Tu tomberas toujours sur des réac’ qui ont peur de l’évolution… Je suis toujours sur Ableton mais le jour où il y aura un outil plus performant, qui me permettra d’être plus flexible je l’adopterais.

Tu écoutes toujours pas de minimale ?

C’est faux parce qu’en fait, j’allais à Berlin acheter des disques de minimale. Je suis pas réceptif à tout dans ce style mais j’ai surtout un problème avec la mentalité rétrograde de beaucoup de djs minimale qui ne jurent que par ça. Il y a eu un moment, où au niveau de la production, les mecs ont fini par préférer le côté technique de leur musique. Plutôt que d’avoir des bonnes idées, ils travaillaient plus le pied, faisaient en sorte que les basses fassent plus trembler le sol que sur les autres morceaux… En fait ça me fait penser au phénomène qui a tué la jungle et la drum n bass complètement, parce que les mecs se sont mis à être obsédés par des fréquences, les basses au lieu d’être créatifs. Je m’en fous moi que le pied soit plus rond ou que le son soit fat sur un morceau. C’est l’esthétique du morceau qui m’intéresse avant tout, je préfère un son différent plutôt qu’un gros son.

Tu as l’impression d’être dans l’esthétique de 2010 avec ton EP Silver Island ?

Je sais pas si je suis dans l’esthétique de 2010, j’ai pas dit ça. J’ai pas non plus dit que je voulais être dans l’esthétique de 2010. Je préfère un truc différent plutôt qu’un truc d’artisan de mec qui est là à dire : « mais ce kick est bien fait quoi  ! », je trouve ça ennuyant à mort, ça ne m’amuse pas.

Donc en gros Ricardo Villalobos, il te fait chier ?

Non, c’est pas vrai, Villalobos fait plein de morceaux géniaux, il est très ouvert, beaucoup plus ouvert que la plupart des mecs qui le suivent…

(On se fait couper parce que c’est l’heure pour Surkin d’aller jouer…)

Donc ton morceau/album de l’année ?

Addison Groove – Footcrab. J’écoute pas d’album par contre…

Autre chose à ajouter ?

Oui, Michael, de Michael Jackson… non je déconne.


 

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Interview : Sophie Brignoli
Photos : Partel Oliva, sauf mention
Merci à Citizen / Florent.