Cette semaine pas de bédé puisque je viens de lire Culture Clash : Dread meets punk rockers (titre original), la bio de Don Letts. Certainement le nom du gazier ne vous dit rien sauf si vous êtes un fan des Clash. Une version américaine de singles, faces B et d’inédits était sortie sous le nom Super Black Market avec en couv’ une photo de Don Letts, seul face à un cordon de bobbies lors des émeutes du festival de Notting Hill en 1976. En Angletterre, le gonz est l’équivalent de Lionel D, Tonton Eudeline, Olivier Cachin, Sydney, Bernard Lenoir, JB Mondino, Stephane Sednaoui et Castelbajac réunis ! Un mec au parcours complètement incroyable et fascinant.

Après une enfance assez simple dans les quartiers populaires de londres, le Don se retrouve vendeur de fringues du coté de Chelsea dans le magasin ACME Attractions. Dans ces années 70, beaucoup de choses s’élaborent et un paquet de gens circulent autour des shops. A quelques numéros se trouve un concurrent, Sex, tenu par Vivien Westwood et Malcom MacLaren. On connait l’histoire, les Sex Pistols sortiront de là. Mais quelques initiateurs du punk attirés par l’odeur de l’herbe et par le son diffusé du juke box pousseront jusqu’à ACME. Johnny Rotten, Joe Strummer et Paul Simonon deviendront vite copain avec ce jeune Jamaïcain fin connaisseur et prescripteur de dub et de reggae.

Le punk explose et le Roxy accueille à Londres la scène émergente. Entre les groupes, après la déferlente de deux temps, un dj fait danser les kids : Dread at the Controls. Don Letts crée les Punky Reggae Party. Balançant un savant mélange de cette nouvelle scène (Adverts, Buzzcocks…) et de standards jamaicains (U-Roy, Tappa Zukie, Lee Perry…). Les messages son identiques : babylon/l’establishement doit tomber, la pauvreté et l’ennui dans les ghettos pouilleux sont les mêmes en Jamaïque et dans les quartiers londoniens, les politiciens représentent leurs intêret et le vieux monde! La jeunesse et les classes populaires doivent se lever !

Les dj’s résidents black et reggae sont très rares à l’époque, et assez vite, notre punk rasta se connecte à Bob Marley. Jusqu’au moment du clash quand Marley lui demande ce que lui « black et rasta » fout avec ces sales punks. Réponse de Don Letts « ces mecs sont mes potes ! Tchao ! »… Ironie de l’histoire : quelques mois plus tard, Marley sortira le fameux titre « Punky Reggae Party », hymne à ce croisement.*

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L’histoire de Letts pourrait s’arrêter là. Mais depuis l’émergence de la scène punk, il a récupéré une caméra Super 8. Présent aux bons endroits aux bons moments, il sortira en 1978 un document culte : The Punk Rock Movie. Sa carrière de documentariste et de cinéaste est lancée ! Il réalisera les premiers clips des Clash (London Calling, Bank Robber, Rock the Casbah…), sortira en 2000 le fameux The Clash : Westway to the World, se fera jeter de MTV dans les premiers temps parce qu’il est noir « et qu’on le savait pas, désolé on peux pas faire d’interview de vous même si on diffuse vos clips, on diffuse pas de black à l’antenne » , tournera des docs sur George Clinton, The Jam, Sun Ra, Gill Scott-Heron, clipera notamment Franz Ferdinand, Psychedelic Furs, les Black Grappes, Sly & Robbie, The Pogues et grand fan de The Harder They Come, il réalisera une version féminine de ce classique DanceHall Queen.

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Ca c’est pour les péloches, coté musique, il assistera à l’arrivée de toute la future vague On-U Sound (Mark Stewart, Prince Far I), managera un temps Les Slits, diggera en Jamaïque, aux cotés du -redevenu- John Lydon, des groupes pour le label Virgin, sera là au lancement de PiL. Et surtout, à force de traîner avec les Clash, il créera Basement 5 et Big Audio Dynamite avec Mick Jones. Sur le chemin Clash/B.A.D, Don Letts s’arrête à New-York. On est début ’80 et la scène hip-hop sort du ghetto. Evidemment, Don Letts est sur le coup. Il s’installe dans des clubs, au Roxy de  N.Y, au Negril, traîne à Time Square, devient le poto de Fab 5 Freddy, Africa Bambaataa ou Futura 2000. Des  « p’tits jeunes » seront dans le coin pendant ses sessions djaying : Rick Rubin et Russels Simmons, futurs boss de Def Jam, mais aussi Dr Dre, les Beastie, Chuck D… la crème !

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Depuis la fin de Big Audio Dynamite, Don Letts se consacre exlusivement aux tournages de clips et documentaires.

Dans ce papier, y’a pas tout, c’est pour ça qu’il faut lire le bouquin. Letts y décrit toute l’énergie et le magnétisme des Clash (Scorsese et De Niro dans les coulisses des concerts New-Yorkais !), la folie autour de B.A.D et par dessus tout comment un rasta a fait péter les codes de « musique blanche pour culs blancs » et « black music pour les renoi' ». Don Letts : un obscur de l’histoire de la musique, un selector, catalyseur de toute une jeunesse rebelle. Et pendant ce temps là en france, on avait Eddy Barclay…

Deux compiles de Don Letts peuvent vous filer les pulsations de l’époque, à vous de les chopper :

 

 

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Don Letts, Culture Clash, chez Rivages Rouge, 19€

* ça confirme ma théorie : c’est Lee Perry qui a poussé Marley à enregistrer ce morceau, le maboule de la production dub ayant, lui, tout de suite capté que les liens entre les révoltés Jamaïcains du ghetto et les enfants de la working-class anglaise étaient une évidence ! Mais ça, c’était pas naturel pour I&I à l’époque !

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