La nuit éclairée par les lumières de la cité des anges. Un homme erre sur les routes dans son bolide , attentif à chaque bagnole de police et… au score des Lakers. Ce mystérieux type d’un calme olympien n’a pas de nom, ne cause guère mais c’est un as du volant. Sur Tick of the Clock des Chromatics, la séquence d’ouverture de Drive n’annonce que du bon.

Nicolas Winding Refn réalise son rêve de gosse : une série B dans la pure tradition américaine. Après avoir fait ses armes dans sa terre natale, le Danemark, avec la trilogie Pusher, Winding Refn réalise en 2009 l’excellent Bronson en Angleterre, inspiré du taulard le plus célèbre de Grande-Bretagne, Charles Bronson (pas l’acteur, juste un chauve baraqué complètement malade). Dans une ambiance digne d’un Orange mécanique, l’acteur Tom Hardy, devenu une armoire à glace pour l’occasion (et resté ainsi depuis), incarne cette brute épaisse incapable de s’exprimer autrement que par une pure explosion de violence. Une pulsion de mort et de destruction qu’on retrouve dans son film suivant, Valhalla Rising ou Le guerrier silencieux, projet ambitieux et complètement fou où au temps des barbares, des vikings se foutent sur la gueule sur la terre verdoyante du grand nord. Pratiquement pas de dialogue, juste Mads Mikkelsen en guerrier borgne qui égorge à mains nues et quelques envolées lyriques dans la nature sauvage. Ici Winding Refn ne convoque pas Kubrick mais plutôt Herzog période Aguirre la colère de Dieu et Terrence Malick.

La rudesse de ce Guerrier Silencieux plaît à Ryan Gosling, acteur montant du cinéma indé américain. Celui-ci propose le script de Drive à Winding Refn, alors couvert de dettes depuis l’échec de Inside Job en 2003. Le cinéaste danois admire depuis tout gamin le cinéma américain (paraît qu’il regardait Massacre à la tronçonneuse au ptit déj’ avant de partir à l’école), voilà donc une occasion parfaite pour savoir ce qu’il vaut à Hollywood. On retrouve des éléments récurrents de son oeuvre : un héros qui ne cause pas mais qui cogne, des chauves adeptes de la batte, de la strip-teaseuse, et de la violence tendance gore.

Avec Drive, on voit bien qu’il s’offre un petit plaisir coupable. Un plaisir largement maîtrisé et partagé. Certes, Drive n’a rien d’original dans le fond (un héros violent, un braquage qui tourne mal, une belle à sauver, des mafioso pourris), c’est une série B comme on l’a dit, mais la forme est passionnante (malgré les réflexions de critiques rabat-joie, le prix de la mise en scène à Cannes est mérité). Winding Refn use du ralenti sans en provoquer l’overdose, joue beaucoup sur le hors-champs, une notion sujette à bien des suppositions pour le spectateur. Et on en redemande. De nombreux plans fixes imprègnent la rétine. Les séquences de course-poursuites sont parfaitement calibrées et tiennent en haleine jusqu’au dernier coup de volant.

Côté atmosphère, le réalisateur de Pusher s’y connaît en climax. La tension est à couper au rasoir tranchant. La violence ne peut surgir que d’une façon des plus surprenantes. Le réal’ n’hésite pas à prendre son temps pour raconter son histoire. Le héros peut regarder sa dulcinée en silence pendant 30 bonnes secondes sans que rien ne se passe. Et puis écraser la tronche d’un pourri la seconde d’après. 

DriveQuant à ce fameux driver, le cure-dent au bec en permanence, il est souvent filmé en contre-plongée, comme un super héros sachant tout maîtriser, même le cadre. Ryan Gosling incarne brillamment ce pur stéréotype de série B, un cascadeur tout en mutisme, précis dans le moindre de ses gestes. Une vraie bombe à retardement… Il ne vaut mieux pas se frotter à ce jeune blondinet muet en apparence inoffensif. A l’image du scorpion so 80’s de son blouson blanc, ce cascadeur le jour, chauffeur pour braqueurs la nuit vous attaque sans crier gare, au moment où vous vous y attendez le moins, quand vous baissez votre garde (splendide scène d’amour dans l’ascenseur pour précéder une violence digne d’un History of Violence de Cronenberg).

Il n’a pas vraiment besoin d’identité précise, ni de passé, il est un personnage et non une personne. Il semble n’exprimer que les deux sentiments les plus basiques du cinéma : la colère et l’amour.

Nicolas Winding Refn tourne son histoire pratiquement que de nuit, à la manière de Michael Mann (on pense à Heat mais aussi à l’un de ses 1ers films, Le Solitaire). Il lui donne une ambiance volontairement 80’s avec entre autres un générique aux lettres roses à la Cocktail. So kitsch. La B.O n’est pas en reste, avec le score de Cliff Martinez (compositeur des films de Soderbergh) et surtout les morceaux italo disco jouissifs de Kavinsky, Electric Youth ou Desire. Un vrai plaisir coupable on vous dit.