On a rencontré celui qui, en gros, avec son collectif Casse La Rime et l’asso Nemesis, a amené le slam à Dijon : Emanuel Campo alias Printemps 2004. Cette semaine il présente sa première création, M.C. Identité, avec sa nouvelle compagnie Etrange Playground. Mais attention, ce n’est pas un spectacle de hip-hop ou de slam. Explications dans les loges du Théâtre Mansart en pleine résidence artistique, avant le grand saut mardi 6 décembre…
Salut Emanuel, peux-tu déjà nous rappeler qui tu es et d’où tu viens ?
Je vis à Lyon depuis quelques temps mais on va dire que j’ai déjà un parcours de quelques années à Dijon. J’ai commencé par le théâtre, au sein de la Cie Esquimots et j’ai participé à son premier spectacle. Ensuite, je suis rentré dans l’asso étudiante Nemesis. J’ai pu publier mes textes dans la revue de l’asso puis je suis devenu le programmateur de ses scènes ouvertes. J’ai aussi participé à pas mal de scènes et tournois slam, un peu partout en France. En 2009 j’ai rencontré les artistes AbdelKader et Sol, et on a fondé le collectif Casse La Rime. Depuis 2 ans on développe la scène spoken word et slam à Dijon (avec notamment la Klam chaque mois au bar St Nicolas). Cet été, j’ai participé à l’expo hommage sur Aimé Césaire au galeries du Grand Palais à Paris. Je lisais et interprétais des textes devant les peintures de Lam et de Picasso. Bref, disons en gros que je suis toujours à le frontière de différentes disciplines, entre slam, théâtre et musique.
Tu viens de fonder la compagnie Étrange Playground, pourquoi ce nom?
En souvenir de ma jeunesse… J’étais un malade de basket avec mes potes. On loupait jamais une occasion de taper la balle sur les playground, les terrains de jeu de Dijon. Et puis « étrange » est un mot qui revient souvent dans mes textes. Je suis d’ailleurs en train de finir mon 1er recueil intitulé Quand j’étais petit, je croyais que la Bande de Gaza c’était un groupe de rock. Il y a un chapitre qui se nomme Étrange. C’est un mot qui me parle. Tout ça pour dire que j’avais besoin d’un nom qui permette de péter les murs de mes propres représentations. Des formes qui puissent agrandir mon terrain d’action et de réflexion. Et dans cette compagnie je bosse avec Rémi Bancillon, musicien et danseur, Caroline Liochon, assistante à la mise en scène, Sophie Dumont, comédienne et Delphine Perrin à la création lumière.
Parlons maintenant de cette fameuse création, Identité M.C., qui se penche sur le maître de cérémonie, ça parle de quoi au juste ?
Le M.C., le maître de cérémonie, c’est un fantasme de gosse et d’ado. Cette figure du M.C., c’est celle du rappeur comme de la rock star. En fait je suis passionné par les gens qui œuvrent, qui portent une foule. C’est aussi dans ce sens que j’ai programmé à Nemesis des artistes que j’ai découverts et aimés. Je me passionne pour des gens qui font des trucs, qui font bouger les choses. Je défends la jeune création, celle de notre génération de moins de 30 ans. Ouais, vivent les jeunes ! Dans le slam, le M.C. c’est celui qui va animer la soirée, qui va transporter le public. Je connais cette figure depuis 6 ans, depuis que j’anime des scènes . Et chaque rassemblement du public est une cérémonie qui amène une forme, des rîtes, des répétitions. Il y a un rapport de maître à initié mais aussi d’échange. Mais ça va bien au-delà du hip-hop ou du slam, un maître de cérémonie c’est quelqu’un qui a une pratique, ça peut être un peintre comme un danseur. Il est disciple de quelque chose, et quand il sort de lui-même, il se débarrasse de son corps. Il ne reste alors que sa discipline.
Ok mais le M.C., c’est pas finalement plus un personnage qu’autre chose ? Est-ce qu’il se révèle vraiment au public ?
Oui c’est exactement ça. En fait, c’est pas si loin de certaines pratiques religieuses. Par exemple quand tu vois Jim Morrison sur scène qu’on comparait à un chaman… A un moment t’es obligé de t’inventer un nom, un personnage. En tant qu’artiste slam, spoken word, appelle ça comme tu veux, j’ai choisi le nom Printemps 2004. il y a toujours un aller-retour entre ta personnalité scénique et le petit morceau d’homme que tu peux être dans la vraie vie.
C’est pas un paradoxe quand même? Un M.C. se crée un personnage mais en même temps il se donne à la scène, il offre une part de lui-même au public non ?
Là j’ai envie de te citer un pote, le slameur Lee Harvey Asphalte, que j’ai justement interrogé sur cette question du M.C. En fait, j’ai interviewé plusieurs artistes de la scène slam sur cette idée. Ça m’a servi de base pour ma création. Je les ai questionnés sur leur pratique d’écriture comme d’oralité. Pour Lee Harvey Asphalte, le M.C. c’est « ce qui me permet de m’échapper de moi-même et de me permettre d’être ce que j’aurai dû être, voir même de me permettre d’être ce que j’aurai pas dû être ».
Tout ça pour te dire que ma création est influencée par ça, cette idée qu’une identité est un rassemblement de plusieurs individualités. On a plusieurs identités et c’est la même chose sur toutes les différentes représentations qu’on peut avoir sur soi et que les autres peuvent avoir de toi. Identité M.C. parle aussi du rapport à la langue, de ce qui reste de notre passage sur la scène. Et surtout comment on arrive à rassembler ces différentes projections qu’on a de soi-même.
Sur l’affiche on voit une silhouette en post-it, tu fais comme les cadres d’entreprise et leurs batailles de post-it sur les fenêtres des bureaux ?
Ah ouais mais non je ne suis pas encore un jeune cadre dynamique ! (rires) Le post-it c’est un élément essentiel dans le spectacle. En gros, sans trop en révéler, j’ai trouvé cet outil génial, pour ce que ça signifie. Ce petit carré collant c’est un peu comme le texto, ça va à l’essentiel. Et scénographiquement parlant, cette silhouette en post-it va faire évoluer la scène. Parce qu’il n’y a pas que du texte dans ce spectacle, le corps est hyper important aussi. Il y a une grande part laissée à l’expression corporelle.
Comme tu l’as dit, en récupérant leurs témoignages, pas mal de slameurs ont collaboré depuis le début de cette création. Mais il y a aussi Xtatik, comment est-il intervenu ?
Xtatik, slameur et comédien lyonnais, était parrain des 1ères scènes ouvertes de Nemesis. C’est un ami. Il m’a donné des billes dans les réflexion. Il m’a dit des choses vraiment intéressantes. Il s’est investi dans ce travail et il est même passé aux répét’ pour nous guider. J’utilise aussi un de ses morceaux dans le spectacle. Il fait partie des personnes importantes à mes yeux dans cette construction artistique. En fait, j’ai envie de créer des spectacles qui correspondent à où j’en suis dans ma vie et aux gens que je rencontre. Je vais pas chercher les personnes pour une création, je fonctionne aux rencontres fortuites.
Bon, on a compris que cette semaine est blindée à Dijon, avec TGV GéNériQ, l’Acteur festival, le Village de Noël et tout ça. Justement en parlant de TGV GéNériQ, quelle est ta sélection parmi la programmation de Dijon ?
Bah c’est simple, je suis dégouté. 1995 et Orelsan passent le 8, quand je suis en représentation quoi… Bande de sales veinards ! Et il y a l’air d’avoir de bons rendez-vous folk aussi… enfin j’ai pas envie de dire « venez voir mon spectacle plutôt que Génériq » mais franchement y a moyen de faire les 2. La création dure que 45 minutes. Perso, je trouve que les publics… y en a autant qui ont tendance à pas trop sortir de leur discipline, de leurs parcours de spectateur, comme y en a qui sont plus aventureux. Peut-être que je me trompe et d’ailleurs je l’espère, mais… je le vois gros comme une maison, je sais pas si je dois dire ça mais allez, je m’en branle : à mon avis ce sera plutôt un public amateur de théâtre qui viendra. Pourtant, c’est un spectacle plus proche du concert et donc peut-être que ce public-là va pas s’y retrouver. Mais de toute façon je crois être un fan de musique actuelle et de danse contemporaine qui évolue dans le théâtre, et qui comprend pas ce qu’il fait.
Dernière question : des projets après cette création, pour 2012 ?
Ouais je vais ouvrir un resto de cuisine wok et je vais l’appeler Take a wok on the wild side…
Super, mais à Lyon ou à Dijon ?
Non… (il réfléchit), à Chalon-sur-Saône (rires). Non mais blague à part, je vais d’abord me consacrer à la diffusion de ce spectacle. Puis finir mon recueil et le diffuser d’abord dans des revues. Et ensuite il y a la Nuit du slam, le 24 mars, avec Casse la Rime.
Le mot de la fin ?
Euh… merci Sparse !
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Identité M.C. – du mardi 6 au jeudi 8 décembre à 20h30.
10 € | 8 € | 5 € – durée 45 min.
Théâtre Mansart, 94, Boulevard Mansart – 03.80.63.00.00
Pour vous donner une idée plus précise de la poésie de Manu Campo, voici un extrait, qui fera l’ouverture du spectacle :
Dans une chambre
Les poings contiennent le monde…
Quand la moindre pause devient exil
Chaque poche est une soute.
Le repos a un parfum d’appel
Sous les palmiers et les pales des hélices.
Jamais vraiment assis puisque l’esprit
Lui
est vertical.
Dans ce monde
en verlan
Plancher et plafond donnent sur le même rubixcube.
Quand mon asthme prend la voix du réacteur
Quand chaque orteil est un isthme
Quand mon extase provoque un séisme
Quand ma toux vole le talent de l’orateur
Quand l’heure à laquelle je pose les aiguilles lèvent le camp
Les villages de forains sont les seules baskets que je chausse.
*
Je vois se profiler une cible à l’horizon – je le sens c’est le moment – il me faut tailler quelques flèches.
Alors j’en suis là, fissure prête à péter le barrage.
Emanuel Campo
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Propos recueillis par Alice Chappau.
Crédits photos : Mathilde Levêque