Putain, l’Amérique en prend un coup dans la chicken wing ! Déjà hier, je réglais au bras de fer avec Gazza, gazier critique local, un différend sur la prétendue Camaro de Bullitt quand j’ai appris que Marc Tompkins, l’échassier du bayou, chorégraphe en forme d’oiseau était à Dijon avec un spectacle sur les racines du noir retaillé par le blanc, un truc sur l’exploitation et le vocabulaire inventé par le second pour mettre la main sur la tête du premier.

Black’n’Blues, ça s’appelait, c’est Art Danse qui programmait au Parvis Saint-Jean. De la musique de nègre dans église, rien que ce détail était prometteur. Tiens à ce propos, faut lire le magnifique Free jazz Black Power de Philippe Carles et Jean-Louis Comolli sur cette musique qu’on a toujours nommée par l’obscène (musique de nègre, donc) ou par défaut (jazz, funk, scat…). Bref, Tompkins, chorégraphe ricain, s’attaque à son histoire et fait la critique de la violence raciste, classe !

Rintintin

Et pan, sur la lune. Tompkins nous fait le coup de la petite lanterne magique du début du XXème, des petites séances d’illusion, de la perspective, du vieux théâtre à l’italienne, des toiles peintes comme chez Molière ou Goldoni. C’est classe, c’est naïf, c’est beau. Bien partie l’aventure. Quatre danseuses, un comique à claquettes et le compteur tourne. Imagerie d’Epinal, gestuelles stéréotypées, clichés dansants, le gars prend des risques, traque la mémoire collective, va jusqu’à taper dans la nasse du graveleux et du vulgaire. Bien, des risques, quoi. Et finalement plus de risques qu’à faire le pitre en se versant sur le crâne des seaux de sang artificiel pour faire rougir la critique et se faire applaudir des programmateurs. Nan, bien Tompkins pour l’ouverture de son Black’n’blues. C’est guignol qui débarque chez l’Onc’ Sam, c’est joli et en même temps malicieux. Le genre de truc qui peut vous faire marrer. Tous les souterrains des USA y passent : un futur espoir du yodl yiddish, les négros sont des blancs peints en noirs et les jeunes femmes noires sont elles aussi masquées, seuls les yeux s’allument. Une vraie question passe sous le carton-pâte : Blanc, ne te prends pas pour un noir mais rend lui ce que tu lui dois ! Philo politique façon BD genre Bibi Fricotin en Amérique ? Faudrait demander à Martial.

Mais tintin

Et pan, dans le lune. Rien au-delà des clichés, pas une fissure, tout reste joli. Tompkins peine bien lourdement à sortir de son chapeau d’Oncle Sam des choses bien nouvelles : La différence est adorable, le noir a été spolié de ses droits, de son art, de son économie. Black is Beautiful. Étaler des clichés aux kilomètres n’a jamais fait les étendards des révoltes, pas plus que ça ne fera trembler les baraques à frites. Pourtant l’étalage des tentatives jazz est sincère, hormis une version de Strange Fruit pelée à la hâche, le concept est fondamentalement éventé. Si l’exotisme plastiqué par les Revues Nègres des années 20, fières, cambrées et puissantes, laissait à peine voir la charge égalitaire, aujourd’hui on aura plus de mal à se faire avoir. L’exotisme est un poison qui étourdit Tompkins et son combo pour le laisser tout couillon sous les voûtes de la boîte de jazz tenue par un Michel Jonasz. Navrant. Navrant aussi de se dire qu’il y avait plus de puissance dans la musique d’Ellington. Sans doute la faute à une époque un peu trop polie pour être honnête. Kvetch !

Badneighbour