Actu oblige, Angoulême, les résultats du festival 2012 sont tombés en même temps que les flocons dimanche vers 17h15 ! Et le grand prix a récompensé l’œuvre de Jean-Claude Denis, un auteur français vraiment pas connu du grand public et responsable récemment de Nouvelles du monde invisible, un bel essai graphique onirique sur les odeurs. Mais aujourd’hui, je vous parle du prix du meilleur album attribué à Guy Delisle et ses Chroniques de Jérusalem.
Avant ça, légère mise au point. Par avance, j’emmerde tous ceux qui pensent que chaque attaque contre l’état d’Israël, c’est de l’antisémitisme. Ces même connards manipulent tout le monde. Israël, c’est pas la communauté juive dans son ensemble. Israël est un état fondé sur le sionisme, pas une religion !
Ceci dit, retour à notre Guy Delisle. Auteur, Québécois valeureux et de qualité qui, après s’être baladé en Birmanie, en Corée du nord et en Chine, suit sa femme membre d’une ONG dans la ville fantastique de Jérusalem, capitale d’Israël. On suit notre dessinateur dans la vieille ville, dans les colonies attenantes, en Palestine et dans les différents recoins de l’antique citée. Ça fourmille d’anecdotes, c’est construit sur le mode du carnet de dessins, de manière chronologique… et partout de la découverte. Découverte des quartiers et leur géopolitique, découverte de toutes les religions -et leurs différentes subtilités- qui tentent de cohabiter : chrétiens romains, coptes, orthodoxes et en face toutes les variations de la religion judaïque, sans oublier les musulmans…
Qu’est ce qui en ressort ? Que c’est une ville de tarés complètement schizophrène, multipolaire, à la fois ouverte sur le monde, la spiritualité, brassée par toutes sortes de touristes et renfermée claquemurée suivant son origine, sa religion ou sa nationalité.
D’un coté la vieille ville et ses quartiers palestiniens, petit à petit annexés par des colons israéliens. De l’autre, les quartiers des ONG, là une colonie créée ex-nihilo, ici le caveau du Christ. Ça a l’air sérieux, ça l’est, mais c’est bourré de gags, d’anecdotes et de rencontres très drôles.
Trottoirs réservés aux Israéliens
Delisle n’a rien d’autre à faire de ses journées que de s’occuper de ses enfants dans les parcs de la ville, classes ou pourris selon l’origine, la religion… et quand ils sont au centre aéré ou à l’école alors il se balade, et nous, sympas, on l’accompagne dans la découverte de cette ville.
Comme ça, ça parait tranquille, un bon p’tit guide touristique drôle et bien fait… sauf que ça bascule. Quand Delisle s’intéresse aux voisins de la bande de Gaza ou à la vie dans les quartiers colonisés, comme à Hébron. Tiens, faut savoir que fonder une colonie israélienne c’est aussi simple qu’ouvrir une tente deux secondes. Vous prenez un coin pour poser deux planches et un drap, même si c’est dans le jardin de votre voisin, et bing… l’armée vient vous protéger des réactions forcément hostiles des dits voisins.
Delisle nous dessine les brimades ordinaires des Palestiniens séparés de leurs terres par le mur de protection, dans la plus grande prison à ciel ouvert, Gaza, bloqués aux check-points, interdits de certains bus ou obligés de marcher sur certains trottoirs, les autres étant réservés aux Israéliens.
Ça, messieurs dames, ça s’appelle de la ségrégation et c’est pas bien de pratiquer l’apartheid, j’crois même que c’est interdit, mais Israël s’en fout. C’est beau de tout faire passer sous le couvercle de la sécurité !
Une ville qui rend fou
L’actu du moment résonne partout dans ce livre comme avec ces bus dans le quartier orthodoxe. Les meufs à l’arrière, les gonz’ et leurs papillotes à l’avant, re-ségrégation.
Et pour être œcuménique, les chrétiens sont pas à la ramasse. Le caveau du Christ où chaque mètre carré est réservé à une branche du christianisme sous peine de bonne vieille bagarre générale comme au rugby. C’est arrivé encore à Noël dernier. Jérusalem est clairement une ville qui rend fou, heureusement que Delisle en est parti avec ses croquis sous le bras.
Tiens et puis quand même dans ce monde de brutes, un escargorico : un ex-dijonnais apparaît dans le bouquin, le dessinateur François Olislaeger qui vient taper la visite chez Delisle pour une partie de « dessine moi la ville ».
Tout ça est raconté avec classe, humour, distance mais pas trop… sans trop d’a priori : c’est engagé mais descriptif. Finalement « sans haine et sans violence » comme dirait l’autre. Une bonne charge contre un état de plus en plus débile avec lui-même et avec les autres. Le plus inquiétant, c’est la stricte séparation des deux peuples. Y’a quelques années encore, les Palestiniens pouvaient échanger, fraterniser avec les Israéliens. Aujourd’hui avec le bouclage complet et les autres tracasseries administratives, toute une génération grandit sans connaître « l’autre ». Sans savoir que le type en face est autre chose qu’un combattant…
Martial
Guy Delisle, Chroniques de Jérusalem – Delcourt – Shampooing, 25 euros.
A voir sur son site, une extension du bouquin avec des croquis de l’auteur pendant qu’il se baladait à Jérusalem.
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