Pas facile de trouver l’angle d’attaque des Corbeaux, quasi-duo présenté en quasi-clôture du festival Art Danse à l’Auditorium lundi soir. Annoncé performance, annoncé conversation entre danse contempopo et musique oblique, annoncé syncrétisme serbe et visuel, Les Corbeaux a peut-être eu du plomb dans l’aile dans ses définitions mais garde un sacré caractère.

D’emblée, Jérôme Franc directeur en berne, tout penaud à son micro : le duo Josef Nadj/Akosh S. n’aura pas lieu, le sax d’Akosh reste emboucané dans une chambre à l’hosto de Dijon. Annulation ? Remboursement ? Ben voyons, personne ne bouge et grâce à la bande prise au 8 pistes de Brest, Les Corbeaux vireront des rémiges le soir même. Alors oui, pas de duo mais l’autre, le serbe soufflant a tellement marqué la chose de son empreinte que sa présence est décelable à chaque mouvement du Serbe dansant. Serbe ? Mouais tout juste, ex-Hongrois en fait, plus précisément : le duo retourne à quatre mains au folklore vivant de sa terre natale et centrale, la Voïvodine (à cet instant, Gazza me cogne du coude en me demandant si ça peut se boire en teinture la vozodine).

C’est là qu’on se perd. Bien, les corbacs ne sont plus les piafs qu’on sulfate chez nous au-dessus des champs de maïs à coup de canette ou de chevrotine. Bien, Hitchcock n’a plus rien à dire. Bien, Allan Poe non plus. Non, ici le corbeau est mystère, sagesse et volupté. Pas simple mais tellement bon de se laisser balader. Fidèle à ses chorégraphies tenaces et têtues, Nadj impose une fois de plus sa lenteur, ses jeux avec la matière et le temps. Sur bande, Akosh S. souffle, rauque, siffle et tape sur le métal. D’emblée, on est bien dans cette ornithology cousine de celle d’un Charlie Parker qui aurait enfin oser aller sonner à la porte de Stravinsky. La musique s’agite, radicale et sans effet, aussi sec qu’un coup de trique donné sur le pont de Mostar. Et sur la partoche, Nadj danse, un peu seulement (mais terriblement), impose sa présence, beaucoup. Manque alors, la présence de l’autre, du double slave.

Rabbi Jacob vs Samuel Beckett

C’est ça aussi qui est agaçant avec ces mecs-là. Autant ils réinventent tout ce qu’ils touchent (papyrus, théâtre d’ombres, peinture rupestre 2.0, télécran…), autant ils s’annoncent avec des noms pas possibles : art in-situ, performances dansées, happening chorégraphiques. Là, c’est moyen. On voit les fils de la couturière, on voit le truc arriver. Appelons cela spectacle, point. Pas de surprise, on sait que Josef Nadj finira noyé dans la peinture noire de son tonneau. Bien sûr, l’image est magnifique, un homme noir détrempé et s’égouttant sur une feuille de papier. Ce même homme-oiseau s’abattant sur le blanc pour y laisser sa trace convoque avec classe et d’une seule plume Klein et Pollock sans que la force du théâtre n’y perde rien (à cet instant, Gazza me cogne du coude pour me glisser à l’oreille qu’on dirait la scène de la cuve de chewing-gum de Rabbi Jacob rejouée par Samuel Beckett).

Bref pas simple, l’angle d’attaque. L’ultime instant des Corbeaux est splendide, et ce même si le chemin pour y parvenir est un peu pompeux ou pour le moins balisé à l’extrême. Mais alors, reste sans doute à retenir ceci, que de ce solo forcé, le forçat Josef Nadj laisse toujours aigüe l’idée que le corps d’un homme en scène reste et restera un putain de truc fragile et émouvant.

Badneighbour