Hiver dernier. Les montréalais de Duchess Says, véritable ovni de la planète rock alternatif, ont accepté de répondre à nos questions juste avant d’enregistrer une session acoustique labellisée Faits Divers et d’enchaîner sur un concert au Consortium.

Annie-Claude, la chanteuse et égérie du groupe, est tout à fait surprenante en interview. A la fois calme et touchante, elle entre sur scène dans un état de semi transe, transformant ainsi chacun de leurs concerts en performance unique. Et bien qu’ils fassent partie d’une secte assez étrange vouant un culte à une mystérieuse perruche, il ne faut pas chercher à donner un sens à tout ce folklore pour le moins atypique. Un concert de Duchess Says se vit comme une expérience à part entière ; tout comme la lecture de cette interview d’ailleurs, qui recèle de pépites du parler québécois.

C’est quoi ce délire de la Church of Budgerigars ?
Annie-Claude : C’est l’église des perruches. Dans le fond ça regroupe des gens qui viennent de plusieurs sphères, mettons je pourrais dire y’a des joueurs de tennis, des barmen, des architectes… Tu comprends le principe. C’est toutes des gens qui sont un petit peu influencés par la duchesse, la perruche spirituelle, et toutes ces gens là sont motivés dans leur travail par ça.

Mais c’est vous qui avez créé ce groupe ?
Annie-Claude : Non, en fait c’est un groupe qui existait déjà il y a plusieurs années mais nous avons repris l’idée et remodelé à notre façon. On partage une même idéologie pour bâtir une certaine esthétique ; Duchess Says en fait partie mais c’est pas un des leaders de l’église non plus. C’est une branche, dans l’organisation de la church.

Ismaël : Quand on a eu besoin de recruter un nouveau drummer -comme ça a été le cas avec Julien- on a dû le faire dans le comité exécutif de la Church of Budgerigars. Donc c’est à lui que tu devrais parler.

C’est donc à travers ce groupe que vous avez choisi le batteur, mais pourquoi ?
Ismaël  : Oui effectivement, c’est un petit peu comme du placement syndical si on veut.

Vous leur payez une cotisation ou vous êtes juste liés à eux par une sorte de contrat moral ?
Annie-Claude : Tu payes pas rien, tu peux monter, devenir plus important. Tu peux payer et devenir important plus rapidement aussi, mais ça, ça tente pas grand personne.

Donc c’est pas une église au sens religieux du terme ?
Annie-Claude : C’est pas religieux, mais on voue un culte à quelque chose, c’est pour ça qu’on parle d’église. On se rencontre dans des lieux et on est tous fervents de la même chose.

 

« Tout le monde leade a sa façon, tout le monde
met ses idées. Des fois il y a des journées
où je suis en holiday parce que je suis fatigué,
parfois c’est au tour d’Annie-Claude »
(Ismaël)

 

Mais alors pourquoi la perruche ?
Annie-Claude : Je sais pas et puis c’est pas la perruche ou les perruches, c’est bien une perruche précisément, celle représentée avec la figure sur le côté, de profil.

J’ai lu que vous aviez glané le nom du groupe sur un site où une femme, une camionneuse se faisait appelée ainsi…
Annie-Claude : Oui c’est ça, elle s’appelait Duchess et quand elle parlait dans son blog elle retranscrivait toujours les propos en disant « says… », tu vois comme « Sophie says », « Annie-Claude says » par exemple.

Très bien, donc rien à voir avec le fait que vous puissiez aimer l’esthétique d’une femme qui conduit des gros engins ?
(rires) Non, pas du tout. Je tiens à préciser que c’est pas moi non plus la duchesse.

Tu as commencé dans un groupe de punk avec Ismaël, Radio Laundromat. Comment passe-t-on d’un groupe punk à une formation plus électro ?
Annie-Claude : C’était déjà électro avec des claviers analogues. En fait c’était assez similaire à Duchess Says, c’était juste moins bien construit ; on commençait, c’était plus progressif aussi. Ce n’est donc pas un changement radical mais la suite logique de ce premier projet.

Ismaël : Sur mon réfrigérateur, y’a un sticker de Laundromat qui dit « mieux vaut être mort que d’être un Laundromat ».

Annie Claude : Eux étaient dans un band à Québec et ils nous aimaient pas, c’était notre band ennemi et puis ils avaient des autocollants pour faire de la propagande.

Ismaël : Si tu veux on est des extrêmes, on est comme bipolaires, ça s’est transformé en histoire d’amour.

Simon, votre batteur attitré, n’est pas là pour la tournée. On vous a donc prêté Julien en échange c’est ça ?
Ismaël : Oui, d’ailleurs on a hâte de le retourner.

Julien : C’est parce que je coûte très cher de l’heure.

Annie Claude : Non mais pour de vrai ça se passe super bien avec lui. Il y aurait eu beaucoup de chances que ça ne fonctionne pas parce que nous on improvise beaucoup en spectacle : ça arrête, ça prend plein de directions. Faut qu’il y ait quelqu’un qui comprenne l’esprit, la façon dont on procède. Ça se passe vraiment bien, j’étais comme étonnée.

Comment vous fonctionnez en studio ? Est-ce que chacun participe ? Il y a un leader ?
Ismaël : Tout le monde leade a sa façon, tout le monde met ses idées. Des fois il y a des journées où je suis en holiday parce que je suis fatigué, parfois c’est au tour d’Annie-Claude.

Annie Claude : Je compose aussi du clavier mais j’aime pas ça en live. Tout le monde peut apporter une idée, composer ses gammes.

Tes influences Annie Claude, ce sont des groupes comme Sonic Youth, les Smiths, le Velvet… Elles sont communes à tous ?
Annie-Claude: Il y a des variantes. Phil trippe plus sur le rock’n’roll, le punk. Ismaël, lui, aime la musique classique alors que Simon est plutôt métal. Pour moi c’est plutôt ce qui est new wave, no wave.

Sur scène apparemment il se passe quelque chose de magique, il paraît que tu fais des trucs hallucinants Annie-Claude. Je voulais savoir ce que t’avais fait de plus fou.
Annie-Claude : Je sais pas si c’est le plus fou mais c’est celui qui a eu le plus de répercussions après. J’ai pris un pot de cerises au marasquin je l’ai pitché dans les airs ce qu’il fait que ça a volé comme partout sur la scène, sur les gens, sur l’équipement musical.
Ça a coûté cher, c’était un vrai désastre. Ça collait, tout était dégueu. Certains se roulaient dedans, d’autres étaient fâchés. C’est une affaire qui a mal tourné. A Utrecht aussi, à un spectacle où personne ne nous connaissait il y avait des installations vidéos avec des télévisions empilées. Au début les gens ne réagissaient pas et puis à un moment donné, ils se sont mis à embarquer, à avoir du fun. Ils ont commencé à faire tomber les télés, le staff a été obligé d’installer des barrières.

Pourquoi cultiver ce côté punk en live ?
Annie-Claude : C’est juste que j’ai envie d’expérimenter. On dirait que je m’ennuie sinon, j’aime ça quand il se passe quelque chose avec les gens, crée de façon collective. Je trouve ça donne du fun. Mais ça arrive pas tout le temps non plus ; il y a des spectacles où c’est pas exagéré.

Est-ce que parfois le public réagit mal ?
Annie-Claude : Certains sont choqués, ne voit pas le point. C’est assez partagé finalement.

Pourquoi penses-tu que les gens réagissent mieux à votre musique en Europe, plutôt qu’en Amérique du Nord ?
Annie-Claude : Ça a été presque instantanée la réaction des gens ici, tout de suite positif. Aux États-Unis des fois les gens sont… pas blasés… mais c’est un peu plus dur. A Montréal ça se passe bien, même si ça a été progressif ; ce sont des années passées à faire des spectacles, à bosser nos shows. Mais oui en France, on a l’impression d’être un peu chez nous, on est capables d’établir une sorte de complicité ici.

Au niveau du live, vous laissez de la place à l’improvisation ?
Ismaël : Normalement, on improvise beaucoup. C’est sur que là avec Julien, dans un court délais de trois semaines, il a dû apprendre toutes les tunes, ce qui est déjà un exploit.

Julien : C’est beaucoup de méditation, de regroupement intérieur… en plus de la pratique. C’était intense. C’est seulement mon cinquième jour de tournée avec eux ce soir.

 

« Au musée d’art contemporain de
Montreal, j’ai pété une coche (…)
Il régnait une ambiance froide dans
cet endroit, j’ai viré sous le capot »
(Annie-Claude)

 

Est-ce que les Français font la fête aussi bien qu’au Québec ?
Annie-Claude : Mais oui, on voit pas de différence.

Ismaël : Non mais en fait au Québec ça boit beaucoup, mais ici ça boit toute la journée…

Philippe : Non mais ça c’est parce qu’on est tous les jours dans des bars quand on est ici, alors forcément on voit des gens qui boivent.

Quel a été votre album de 2011 ?
Julien : Je sais pas j’ai pas écouté de musique cette année.

Annie-Claude : J’ai découvert un artiste de Montréal qui s’appelle Beaver, son nouveau projet s’appelle Country et c’est vraiment beau. Je n’ai pas vu de spectacle encore, seulement des vidéos mais ça a l’air d’être des bonnes chansons, sincères. Rock avec des claviers.

Julien  : Moi c’est The Aversions.

C’est ton autre groupe c’est ça ?
Julien (rires) Oui c’est ça, tu es perspicace, bravo. C’est du crooner punk rock, plutôt difficile à avaler. On a sorti un mini album cette année.

Ismaël  : Moi c’est Quatro, c’est de la musique de sport des années 80. C’est la musique des émissions sportives, de l’italienne disco, prog québecois. C’est avec un des ex-membres des Georges Leningrad, ils viennent de sortir un disque.

Philippe : Moi j’ai rien trouvé, j’ai pas suivi l’actualité musicale.

Pour rester dans l’actu et parce que tu es fan Annie-Claude, ça te fait quoi le séparation des Sonic Youth ?
Je suis fan des premiers albums mais j’ai moins suivi les dernières releases, ce qui fait que ça m’affecte plus ou moins.

Vous jouez souvent dans des endroits particuliers, ça vous est déjà arrivé de jouer dans un centre d’art contemporain comme celui-ci?
Ismaël  : A Londres oui.

Annie-Claude : On l’a fait plein de fois… Ah mon dieu, à Montréal au musée d’art contemporain où j’ai pété une coche là. C’était incroyable : il régnait une ambiance froide dans cet endroit, j’ai viré sous le capot.

Ismaël  : Il y a des extraits qu’on peut voir sur Youtube qui sont vraiment mauvais parce c’est fait avec des téléphones cellulaires d’il y a cinq ans. Annie-Claude, s’en va sur une estrade, elle manque quasiment de sauter dans le public en bas. Elle se sauve ensuite dans les expositions, la sécurité se met à lui courir après et puis elle invite le public à faire la même chose.

Mais alors vous restez calmes les garçons, sur scène ?
Julien : Ben oui. Chacun est assez passif.

Ismaël : Des fois je fais trois pas et je vais voir Phil de l’autre côté du stage et je lui demande n’importe quoi : « salut, c’est quoi la prochaine chanson ? » Mais j’ai vraiment l’impression de faire beaucoup de chemin (rires). Je sors de mon lieu de confort. Je tape des mains aussi parfois.

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*discuté
Propos recueillis par Sophie Brignoli.

Duchess Says – In A Fung Day T (Alien8/Differ-ant)