Du lourd. Du très lourd avec un jeune auteur dont je vous ait déjà parlé ici, Bastien Vivès, qui fait preuve d’une incroyable maturité et d’une sensibilité étonnante. Et c’est pas rien, il sait raconter des histoires.

En bédé, la narration, la manière de raconter les histoires, c’est un sujet de débat et d’argumentation sans fin. Tiens, comme la question : « c’est quoi une bédé ? » Est-ce que les tapisseries de Bayeux, c’est de la bédé ? Et les  hiéroglyphes ? Les dessins de Lascaux, une partie de chasse à l’aurochs, c’est d’la bédé ? p’tet bien que oui p’tet bien que non, ça dépend des écoles. J’vais pas vous faire une thèse sur la bédé mais ce bouquin peut en surprendre certains… parce que comme à Lascaux, Vivès dessine des formes faussement simples. C’est de la bédé 2.0 « so 2012 », comme dirait Sophie Brignoli, Sparse member et chercheuse de tendance attitrée.

Le gars a un blog et forcément la narration, la manière de raconter les histoires évolue en fonction du support. Là, c’est grosso modo une histoire, un strip qui se déploie en une dizaine de dessins tous quasiment identiques, ça bouge à la marge. Graphiquement, c’est épuré et comme dirait un poto : y’a l’essentiel, la moelle, le nerf.

Tout le talent de Vivès, en plus de son magnifique trait noir et blanc, figé et pourtant très dynamique, prend son ampleur, son souffle de vie, à travers les dialogues. Comme Bastien Vivès est hyper cool et détendu de la souris, bah il fait des histoire de… geek.
Alors je vous arrête tout de suite je vous imagine blêmir. Mais nan, c’est pas les contes de Naheulbeuk, ni Donjon et Dragon. C’est bien mieux, c’est l’essence même de la vie sur un ordi ou une console : Street Fighter ! Souvenez vous, Ryu, Ken, Dhalsim, Monsieur Bison, Honda, Shun Li et tous leurs copains. C’est de la bédé pour gamers mais pas que. Parce que sous ses couverts de nerd book, c’est une espèce de satyre sociale en deux couches, l’une technico-technique, l’autre grand public.

Les travers de tous les jours, les mecs insupportables ou cools à travers le prisme des jeux vidéos

C’est jouissif pour des trentenaires comme moi qui se sont usés les doigts, niqués les pouces sur l’attaque spéciale de Honda et en même temps bousillés les poumons sur des clopes pas nettes et des vapeurs d’alcools pas fraîches dans la cave du pinco. Mais c’est aussi juste super drôle pour tous les autres qui pipent rien au gamer’s language ou qu’ont jamais joué aux jeux vidéos.

C’est de la situation universelle que Vivès explore via les serial gamers : le nouveau qui déboule dans un groupe et qui se fait chambrer, le mec gonflé de puissance et qui en abuse parce que c’est sur son lan, son réseau, son ordi que les mecs se tirent dessus et qu’il peut virer qui il veut quand il veut. C’est un boss quoi ! Y’a aussi le type frais sur le retour qui colle une trempe à tous les jeunes loups qu’ont oublié que Street Fighter si c’est la vie, c’était du fun, avant tout. Et y’a aussi le mec, avec sa copine, qui comprend pas que « nan, vraiment », ça l’intéresse pas la fille ces jeux et qu’en plus ça lui fait peur son jeu avec ses zombies. Et forcément elle se barre en l’insultant.

C’est drôle, sensible, bien senti, générationnel et universel. C’est les travers de tous les jours, les mecs insupportables ou cools à travers le prisme des jeux vidéos. La moitié du bouquin est quand même composés d’inédits parce que faut pas déconner non plus, on est quelques milliers en France à avoir une connexion haut débit et à fréquenter son blog où il a publié ses dessins. Ça ne fait que confirmer tout le bien qu’on pensait depuis longtemps de Vivès. Le petit génie de la bédé continue à creuser son chemin et à construire son œuvre.

La semaine prochaine j’enchaine un combo x2 en vous disant pourquoi son autre livre du moment, sorti à la fin de l’année dernière, est aussi vachement bien .

Martial

Le Jeu video, Bastien Vivès – Shampooing – Delcourt, autour de 10 euros
bastienvives.blogspot.com

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Retrouvez la chronique bédé de Martial sur les ondes de Radio Dijon Campus tous les mardis à 8h40 et 12h20.