Au premier abord, la danse et le théâtre contemporain, c’est pas le genre de truc qui fait rêver les foules ou la masse. Mis à part avoir des a priori débiles sur ce milieu et penser secrètement que ces gens sont tous fous, notre culture reste assez limitée. Et donc lamentable. Heureusement qu’à la rédac’ de Sparse on a notre Badneighbour d’ailleurs. Du coup, on a voulu en savoir plus sur ce qu’on appelle la « performance contemporaine » avec Peggy Camus, chargée de la danse et des relations publiques à l’atheneum. Elle programme également pour la troisième année Actions, avec Béatrice Hanin et la collaboration du Consortium, un temps fort autour des nouvelles formes de création qui se déroulera du 15 au 18 février à Dijon (5 places à gagner ici).

 

 

On entend souvent dire que la danse ou le théâtre contemporain sont plutôt difficiles d’accès pour le grand public. T’en penses quoi toi ?
C’est une fausse image en fait. Je pense que les gens s’enferment dans le cliché de la culture élitiste. C’est quelque chose qui existe de longue date et c’est toujours d’actualité malheureusement.

 

Mais ça vient de quoi alors ?
Je ne sais pas… un manque de culture générale, un manque d’ouverture, de curiosité. On va vers des formes qu’on connait, c’est plus rassurant. En allant au cinéma, on prend pas trop de risque. Pareil pour la musique. Et c’est ce qui ressort un peu des études sur les pratiques culturelles. C’est toujours le cinéma et la musique en tête. Mais tout ce qui est théâtre, danse, art plastique, ça reste selon moi à la marge. Je le vois, j’ai été chargée des publics dans un FRAC avant et on ramait pour faire venir du monde. Par contre on ramait pas pour faire venir des scolaires. Donc l’éducation commence par l’école, l’ouverture se fait par là. C’est ce qu’on fait à l’atheneum de toute façon. Ça fait partie intégrante de nos missions : on programme des spectacles contemporains et on accompagne.

 

C’est à dire ?
Déjà le principe de base, c’est l’accueil. Il y a beaucoup de jeunes, que ce soit des collégiens, lycéens et étudiants qui arrivent à l’atheneum pour la première fois et qui ne savent pas du tout y mettre les pieds. Ça a été le cas là avec des jeunes du lycée d’Auxonne, ils sont venus cette semaine (ndlr : interview réalisée jeudi 09 février) pour visiter le plateau de l’atheneum et à mon avis ils n’y remettront jamais les pieds.

 

Ouais donc ils viennent car ils sont obligés en fait.
Oui bien sur, ils sont « coachés ». D’ailleurs ils l’ont dit à Fabrice (ndlr : le régisseur technique de l’atheneum) pendant la visite. Fabrice leur a demandé pourquoi ils étaient là : « Bah, c’est parce qu’on est obligés ». De notre côté, on dépasse le stade du « j’ai pas le choix » en passant par la communication et en cassant les clichés. Le théâtre c’est aussi fait pour vous, ça peut aussi devenir votre maison. Et ce discours là je le donne aussi aux étudiants. Vous pouvez commencer par venir boire un café, et c’est pas grave si vous ne passez pas les portes du théâtre. Ça se fait avec le temps… c’est très long, c’est une histoire de confiance en fait.

Après par contre, moi je suis cash et je dis : « Vous venez voir un spectacle, vous avez des chances de l’aimer ou de ne pas l’aimer ». C’est comme au cinéma, une fois sur deux on n’aime pas le film. Et bien là c’est un peu pareil. Il faut persévérer. Ensuite, tout ce qui est accompagnement, ça se passe par l’accueil. C’est mon rôle à l’atheneum. Essayer de casser la barrière invisible qu’il y a entre la structure culturelle et le public qui n’ose pas franchir le pas. Puis une fois que la communication est établie, il s’agit de parler des spectacles qu’on accueille avec un langage simple.

 

« Mettre un coup de projecteur sur des artistes qu’on a vraiment envie de défendre »

 

Justement, quand on lit les présentations des spectacles dans le programme d’Actions, ça fait un peu flipper non ? Certains textes font plutôt penser qu’on s’adresse à un public d’initiés.
Oui, c’est toujours la difficulté de la communication avec un seul et unique programme. On a aussi cette prise de conscience avec le cahier de l’atheneum, sur la manière de s’adresser aux publics. Et là, c’est vrai qu’avec cet unique document pour Actions, on s’adresse à plein de publics différents. Pour rentrer dans les choses concrètes, on n’a pas de chargé de rédaction à l’atheneum, on fait tout nous-mêmes, avec le temps et les moyens qu’on a. Souvent, on demande des dossiers aux artistes et on pioche dedans avec leur accord et on fait à partir de ça. Alors c’est vrai que le niveau « supérieur » devrait être décrypté, ce langage là qui n’est pas forcément accessible à tout le monde. C’est ce qu’on pense faire pourtant. Mais on a le recul sur ça, des étudiants avaient réalisé une étude sur nos documents de communication et ils nous avaient fait ce retour là également. On essaie d’améliorer ce point avec le temps. C’est donc aussi un manque de moyen et d’équipe… A l’auditorium par exemple, il y a une personne qui est payée pour faire les bibles des spectacles. Ça montre aussi les limites de notre structure. Malgré tout il y a ce document et nous sommes là pour en parler avec les gens qu’on rencontre. C’est aussi ça… la rencontre humaine et le dialogue au-delà des documents de communication.

 

Avec Actions, pourquoi avoir voulu faire un événement qui mêle plusieurs disciplines ?
En fait c’est un temps fort qui correspond bien à l’image de l’atheneum qui est un centre culturel pluridisciplinaire où on défend avant tout la création contemporaine. Ça, c’est clairement affiché. Et on défend des pièces de théâtre, des spectacles de danse, de l’art plastique (mais de moins en moins). Du coup, ça permet pendant un temps resserré de mettre un coup de projecteur sur les artistes qu’on a vraiment envie de défendre. C’est comme ça qu’est né Actions, d’un manque.

 

Tu peux m’en dire plus ?
Actions est né un jour de déprime qu’on peut avoir chez les programmateurs en se disant : « Il manque quelque chose à Dijon, je m’y retrouve pas ». Puis voilà, ça a pris beaucoup plus d’ampleur que je ne le pensais. Et tant mieux ! Alors on a vite parlé de ce projet au Consortium et ils ont tout de suite collaboré.

 

Comment ça se passe justement avec eux dans tout ça ?
Il y a une relation « historique » déjà, l’atheneum et le Consortium travaillent ensemble depuis très longtemps. Ensuite le Consortium a quand même été maître d’œuvre du festival Nouvelles Scènes (ndlr : à lire cette archive dans Libération) depuis des années. On n’a pas du tout la prétention de remplacer Nouvelles Scènes, loin de là, parce qu’on a chacun nos spécificités. Mais quand on s’est dit qu’on voulait mettre en place un événement autour de la performance, on s’est tournés naturellement vers le Consortium parce que la performance concerne toutes les disciplines dont les arts plastiques. D’ailleurs je me souviens très bien du premier rendez-vous qu’on avait eu avec Xavier Douroux (co-directeur du Consortium). C’était assez chaud parce qu’on n’avait pas du tout la même vision de la performance. Et c’est ça qui est intéressant, parce que la performance est indéfinissable. A chaque fois elle a une couleur différente en fonction de la discipline où tu te situes. Du coup c’est à partir de ce constat là qu’on s’est dit qu’on allait travailler ensemble.

Après, la programmation sur Actions, elle se fait conjointement. On leur amène ce qu’on aurait envie de mettre en place au sein du spectacle vivant, et en fonction de ça ils répondent avec des projets. Pour cette année c’est Jennifer Lacey, qu’on avait accueillie en résidence de création à l’atheneum. Au final chacun apporte sa spécificité.

 

 

Et toi ton boulot concrètement c’est quoi ?
C’est de la programmation et de la mise en relation entre les artistes, le public et tout ce qu’on nomme l’action culturelle, tout ce qui est souterrain et qu’on ne voit pas. Quand j’ai mis en place Actions je voulais absolument que ce soit un temps fort lié avec des ateliers, des rencontres. Ça c’est primordial. Je crois en l’action culturelle, c’est pas le « petit truc en plus » de l’événement, ça fait partie intégrante de l’événement.

 

Dans la prog’ de cette édition il y a un collectif avec des gens basés dans le coin, l’IRMAR (Institut des Recherches Menant à Rien). Ils ont l’air plutôt cinglés.
Ils sont complètement fous, ouais. Dans l’idée d’Actions, depuis l’année dernière, on s’est dit que c’était pas mal de donner un coup de projecteur sur les jeunes compagnies un peu locales. L’an passé c’était Les Derniers Hommes, cette année c’est l’IRMAR. Là ils ont été en résidence de création pour bosser leur projet (« Le fond des choses ») à l’atheneum pendant 15 jours, et ils vont à nouveau être en résidence au théâtre de Gennevilliers après. Pour Actions, ils vont s’inspirer de leur création mais ils vont aussi avoir carte blanche parce que c’est un peu le principe de leur travail. C’est pas de l’improvisation non plus mais ils font vraiment en fonction du lieu qui les accueille. Une des forces d’Actions c’est aussi de délocaliser des formes de performance en dehors de l’atheneum, profiter qu’on soit sur un campus pour se surprendre. La première année on avait proposé une performance-conférence dans un amphi. Et là, les gens d’IRMAR vont occuper la salle des actes de la maison de l’université. Leur principe de base c’est le rien. Et ils arrivent toujours à faire quelque chose à partir de rien.

 

Mais vous avez pas vu ce qu’ils vont présenter ?
Non non. On a vu leur fin de résidence, avec une scénographie un peu établie. Mais c’est pas quelque chose qu’ils vont reproduire sur Actions, ils vont juste s’en inspirer. Donc il y a une petite prise de risque.

 

Ça peut partir en vrille.
Totalement, mais on assume. Ça fait partie de la performance quelque part, et on les encourage à prendre ces risques.

 

« C’est vrai que la programmation est sombre, mais ça veut pas forcément dire pesante. Ça va être trois pièces qui vont remuer »

 

T’as un coup de cœur sinon parmi les différents spectacles d’Actions ?
La claque pour moi, ça a été ACCIDENS (Samuel Lefeuvre / groupe Entorse). C’est une pièce qui fait aussi bien référence à la danse et à la musique électronique qu’aux arts plastiques et arts visuels. Tout est lié. Samuel Lefeuvre est un ancien danseur de Sidi Larbi Cherkaoui qui est connu pour son côté élastique, et quand vous voyez cette pièce vous avez l’impression qu’il danse presque à l’envers. Y’a une prouesse technique, le corps est complètement désarticulé. Du coup quand vous voyez ça, ça vous renvoie des émotions très fortes. Et c’est vraiment ce qui nous intéresse, gratter au niveau des émotions. On aime ou on aime pas, les artistes sont prêts à l’entendre. Ce qui est intéressant, c’est de se laisser remuer par une pièce qui est pour moi une œuvre d’art totale puisqu’on fait appel à la danse, à la contorsion limite, mais sans les apparats du cirque, aux arts visuels et à la musique électronique qui est très présente dans cette édition d’Actions.

 

J’ai l’impression qu’il y a un côté très sombre dans la programmation, que ce soit Kolik ou ACCIDENS, c’est quand même des thèmes assez durs.
C’est vrai, mais c’est pas du tout réfléchi. Pour l’instant on n’est jamais partis d’une thématique, c’est plutôt l’accueil des spectacles et des performances qui fait naître la thématique. L’année dernière on avait comme tête d’affiche Yvana Müller, une artiste Croate, qui a beaucoup travaillé sur la question de la représentation. Pour cette édition, la question des limites du corps est très présente. Donc c’est vrai que c’est sombre, mais ça veut pas forcément dire pesante. Ça va être trois pièces qui vont remuer.

 

Comment tu découvres les artistes que tu programmes, tu vas voir d’autres pièces un peu partout en France ?
En ce qui me concerne, je me documente beaucoup, je suis pas une programmatrice qui bouge énormément contrairement à d’autres, du coup je suis obligé de cibler vachement avant de me déplacer. C’est une « couleur » artistique et un feeling en fait qui m’intéresse. Quand je vois que Samuel Lefeuvre a dansé pour Sidi Larbi Cherkaoui, ça m’interpelle tout de suite. Quand je vois que Julien Jeanne travaille pour Boris Charmatz, évidemment que ça m’interpelle. Voilà c’est une question d’orientation esthétique, je me sens plus en phase avec ce type d’artistes là qui surfent pas que dans le domaine de la danse, qui font appel à des plasticiens ou à des musiciens. Et ce qui est bien, c’est que la programmation se fait naturellement, jamais en force. Quand t’es deux voire trois à programmer c’est pas forcément évident, et pour l’instant ça se passe très bien, on est sur la même longueur d’onde.

 

Est-ce que les grosses pièces sont toujours centrées dans les grandes villes, genre Paris ?
Pas du tout, j’ai vu ACCIDENS au Havre dans un festival de danse qui s’appelle Météores, Un Effleurement, je l’ai vu dans une scène conventionnée danse à Rennes. Évidemment Paris concentre beaucoup plus facilement mais maintenant y’a quand même beaucoup de lieux pour la danse ou la performance dans toute la France. Tu peux vraiment faire de bonnes trouvailles en province.

 

 

Propos recueillis par Sophie Brignoli et Pierre-Olivier Bobo
Crédits photos : Virginie Meigné, Sylvain Couzinet Jacques, Thierry Micouin

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Actions (performances), du 15 au 18 février
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