The Deer, la deuxième expo de l’Usine depuis son inauguration en juin 2011, se tient jusqu’au 11 mars. Eric Troncy, un des big boss du Consortium et la tête pensante du magazine Frog, m’a reçu dans les bureaux super classieux de l’Usine pour qu’on parle de l’envers du décor et, même si selon ses mots c’est une expo « facile », pour vous donner les clés afin de profiter de ce moment culturel.

Avec les deux premières expos à l’Usine, le Consortium rompt avec sa tradition des expositions monographiques. Comme Eric Troncy me l’a expliqué, monographique ça veut dire que t’exposes qu’un seul artiste. Maintenant tu le sais et tu pourras briller en société avec ce nouveau mot.

On trouve quoi dans The Deer ?
Eric Troncy :
Il y a des artistes Français, Américains, Suisses, du Pays des Morts puisqu’ils sont décédés, et des Anglais.

(Il y a des artistes que vous avez pu déjà voir à Dijon comme Rachel Feinstein, Karen Kilimnik, Juergen Teller ou Loïc Raguénès. Et pour ceux qui comme moi ne l’avait pas compris, les 3 artistes marqués en gros sur le programme, vous pouvez les voir à l’étage : Tatsumi Hijikata, Sherrie Levine et Sylvie Auvray. En fait c’est quatre expos pour le prix d’une… mais revenons à nos moutons)

Cette expo c’est toi qui l’as pensée, organisée et signée. C’est une expo d’auteur ?

Eric Troncy : Toutes les expos ont un auteur, il faut l’admettre, même si tu as trois carrés gris accrochés à un mur, il y a bien quelqu’un qui a décidé de les mettre là. Ici, c’est affirmé et revendiqué.

Si on en croit ton communiqué à l’entrée, l’idée t’es venue après avoir vu le film de Stephen Frears, The Queen ? Comme une épiphanie ?

Eric Troncy : Pour te dire la vérité, l’expo s’est appelée Bambi pendant longtemps (Eric m’explique que c’est après avoir eu une discussion sur le fait de pleurer au cinéma, et Bambi, c’est vrai qu’il fout les larmes aux yeux) mais Walt Disney c’est trop connoté. Et puis Bambi c’est un deer et j’aime bien le rapprochement avec dear, dans my dear… ou même dire, qu’est-ce qu’il y a en dire ? On peut y voir quelque chose de Lacanien. C’est après que je me suis souvenu du cerf de The Queen, il y a plein de trucs intéressants notamment l’apparition, c’est un phénomène qu’on peut avoir en visitant une expo, quand tu es cueilli par une œuvre. Cet animal sauvage qui apparait comme ça, majestueux, ça a quelque chose à voir avec l’expérience esthétique.

Dans la troisième partie tu dis que le cerf se fait abattre dans le film par un banquier, pourquoi c’est important ?

Eric Troncy : Ça pourrait être une métaphore intéressante sur l’état de l’art aujourd’hui, comme les banquiers d’affaire qui achètent les œuvres, qui impriment la donne…

(Eric prend une gorgée de son café dans un gobelet en plastique, moi je regarde l’équipe qui s’affaire sur les Mac ou au téléphone en bas de la mezzanine)

…Ce qui me plait aussi c’est que dans deer, il y a deux  « e », d’ailleurs comme dans seabass, la précédente expo que j’ai fait pour la Fondation Ricard (ndlr : The Seabass, une exposition d’Eric Troncy pour la 13e édition du Prix Fondation d’entreprise Ricard, 13 sept. au 29 oct. 2011), il y avait deux « s », je trouve qu’il y a une élégance dans ces mots-là. Et j’ai aussi remarqué que dans plein de mots qui ont un rapport avec Internet, Yahoo à l’époque, Google, etc. il y a des lettres doubles. Pourquoi tous ces trucs ont deux lettres qui se répètent dans Internet ? Ces mots sont bien dans leur époque.

(Comme Eric et moi on est des mecs super cultivés je lui parle de la représentation du Christ sous forme de cerf au Moyen Age et lui me parle de la légende de St Hubert et du peintre Courbet, exposé au Louvre. Mais vous vous en foutez donc on passe à la suite)

Pendant la visite guidée (tous les vendredis à 18h30 et les samedis à 15h00) Alexandre, le médiateur du Consortium, explique le parcours entre plage, forêt et érotisme. 

Eric Troncy : Le paysage et l’érotisme, c’est deux thèmes fondamentaux de la peinture et pas évidents aujourd’hui dans l’art contemporain, c’est deux sujets qui m’intéressent beaucoup, cette expo est figurative, bon à part Alain Séchas que j’aime beaucoup. Au départ tout ça c’était un projet de peinture abstraite pour rompre avec l’art politique comme on peut en voir et qui me gonfle, je voulais retourner à l’art, pas au bavardage. 
La salle avec les œuvres d’Alain Séchas, c’est un moment monographique, comme un pop-up sur Internet, une salle personnelle, d’un seul coup je change la règle du jeu, je malmène le spectateur. Bon, pas trop quand même…

Cette cohérence tu l’as pensée ou c’était une manière de juxtaposer des œuvres qui te plaisaient ?

Eric Troncy : Je ne sais pas si le parcours est pensé mais chaque salle est pensée selon son architecture, sa réalité architecturale.

Dans ton intro, tu mentionnes l’histoire du Parc aux Cerfs de Louis XV, c’est ce qui explique le coté très charnel/sexuel de l’expo, comment t’es venu le rapprochement ?

Eric Troncy : Pour te dire la vérité, j’ai appris ça (l’expression Parc aux Cerfs) une semaine avant l’inauguration. Cette coïncidence était parfaite… L’expo devait aller plus loin dans l’érotisme, on a obtenu un tableau de John Currin qui montrait une vieille, une grosse, sur un lit en train de se faire enfiler mais Xavier (ndlr : Xavier Douroux, un autre des big boss) m’a convaincu que ce tableau était too much, que l’attention serait trop cristallisée là-dessus. Ça serait ce tableau-là qui ferait polémique et après on pourrait plus faire visiter à tout le monde…

Tu nous as fait une belle intro en 3 parties, tu étais fort en français au lycée ?

Eric Troncy : C’est pas thèse, anti-thèse, synthèse, mais oui j’étais fort en français au lycée… c’est important que le communiqué de presse soit rédigé correctement. Il y a un lien entre l’intro et l’accrochage. L’exposition c’est un langage et il y a une syntaxe dans cette expo. Si j’avais accroché les œuvres autrement ça aurait pu être chiant mais l’expo est plutôt bien réussie !

En conclusion, quand on visite, qu’est-ce qu’on doit garder en tête ?

Eric Troncy : Pour moi, une expo c’est un moment, un moment dans la vie du Consortium, des œuvres… elles vivent ici pendant deux mois et demi, et c’est un moment pour le spectateur aussi. Moi ce que j’espère c’est que ce moment vaille le coup pour tout le monde ! Pour le spectateur, j’espère que c’est un moment de rencontre avec l’art de notre époque, un moment pour autoriser l’apparition du cerf !

(Et bien moi je vous conseille de claquer un gros Leonard Cohen dans votre casque et d’aller traverser The Deer en passant par la plage puis à travers champs et au bord d’un lac, dans une forêt sexuelle, dans une maison de vacances et au western)

xAnthonyx

The Deer, jusqu’au 11 mars.
Un aperçu de l’exposition sur le site du Consortium.

Visites guidées les vendredis à 18h30 et les samedis à 15h00.
L’Usine : 37, rue de Longvic – 
du mardi au samedi de 14h à 18h
Crédits photos : Le Consortium