Ou l’entretien avec un pote qui en savait plus que je ne pensais. Après quelques joints et quelques whiskeys, Monsieur X pose son verre et me dit « On y va ! » ; pour une entrevue qui veut vous faire pénétrer un monde à huit clos, celui de l’échangisme et du libertinage, un monde tabou et tabouisé par une société qui marginalise et pervertit sous couvert de morale et de publicités glossy faussement impudiques. Appelez ça de l’hédonisme mais voici un échange entre un Straight Edge et un initié, et ça, ça s’appelle l’ouverture d’esprit, alors « Sex, sex and rock & roll » !
Comment tu appelles ce style de vie ? Libertin, échangisme, sexe libre ?
M. X : Un style de vie… ? Bah sur Internet tu rencontres des gros assoiffés, des gros beaufs, mais les vrais libertins pensent aussi à la relation humaine. Je connais un couple qui a un club libertin et ils me parlaient d’un client à eux qui est scato, on en parle librement, sans tabou… Il n’y a pas une sorte de sexualité, chacun l’aborde selon son passé, son vécu. Il y a des gens qui catégorisent, d’autres arrivent à garder une ouverture d’esprit. Ceux qui aiment l’uro et le scato, il faut essayer de comprendre pourquoi ils aiment ça et surtout, peu importe comment tu appelles ça, dans ces styles de vie là il y a un raisonnement qui est souvent bien plus intellectuel que physique.
Tu en parles de plus en plus, tu le cachais avant ?
M. X : Je reste quand même vachement discret ! Avec Internet, tu peux te créer ton profil avec des photos et tu repères les beaufs, même dans le choix des photos. Au début tu dois apprendre et après tu rencontres des gens moins expérimentés et tu peux leur « apprendre » le libertinage. Mais en ce moment à la télé ils parlent que de ça, les couples libertins ! On dirait que c’est la mode…
Tu penses que ça devient une mode ?
M. X : Ouais, enfin ça existe depuis toujours. Mais il y a des gens qui s’investissent là-dedans et ils se braquent à la moindre expérience…
Tu avais honte d’en parler avant ?
M. X : C’est pas que j’en avais honte mais j’avais pas l’utilité d’en parler. Et puis ça rebute beaucoup de gens. Mais tout ça c’est un investissement, il faut se « faire mal », chercher, tomber sur des gens qui te proposent des trucs et puis des fois tu te dis : « Mais d’où ça sort ça ?! » Sinon t’as des mecs de 50 ans, tout ce qu’ils veulent c’est sucer une bite ou se faire enculer, ça c’est les bi-curieux ! (il rigole et reprend une taf sur sa cigarette) Les vrais libertins ce sont des gens qui se connaissent, qui font ça entre eux, ce sont eux qui ont les meilleures soirées.
Oui, à la Marquis de Sade… T’as déjà été invité à une de ces soirées ?
M. X : Oui, deux ou trois fois. Il y a eu une fois à Paris, c’était dans un loft de 200 m². C’était professionnel ! Il y avait du champagne, etc. Enfin tu voyais que c’était pas le truc organisé à la dernière minute, mais oui, il y a eu des soirées où j’ai eu l’impression d’être un acteur porno.
Et sinon tu pratiques ces rencontres depuis combien de temps ?
M. X : J’ai connu ça sur Paris, il y a presque 5 ans maintenant (M. X a 27 ans). C’est là-bas que j’ai connu l’univers des trans aussi. A Paris c’est bien particulier, dans le reste de la France, c’est surtout des trav. (Je sens du dédain dans ce mot, « trav ») Et d’ailleurs il y a un site spécialisé…
Ah oui, je crois que tu m’en avais parlé.
M. X : C’est escualita, www.escualita.com.
« En général, c’est le mari qui recherche
une expérience bi, il veut essayer de se
faire enculer. Je les comprends, il
faut pas mourir con… »
Donc si je résume, tu utilises Internet pour rencontrer des gens qui ont les mêmes désirs que toi ? Tu fais comment, c’est catégorisé par désirs ?
M. X : Bah oui, enfin, quand tu débutes, tu coches tout sur le site, tu brasses le maximum… tu essayes, même si des fois tu vas au rendez-vous et tu te dis que ça va pas être super.
Et si quand tu y es ça te plaît pas ?
M. X : Tu sors ton balai du cul et t’y vas ! Mais pour moi, il doit y avoir un échange avant, j’peux pas y aller sans connaître les personnes. Il y en a, ils mettent une photo de leur bite, du genre « J’ai un gros sexe, j’nique tout le monde ! ». Y a pas de plaisir si y a pas d’échange…
Donc maintenant les contacts préliminaires se font sur Internet ?
M. X : On va pas aller s’amuser à aller dans les boîtes échangistes ! Enfin, t’en as qui le fond mais c’est pas ma méthode.
Une fois tu m’avais parlé d’un sauna à Dijon, le Bossuet.
M. X : Y a pas que les saunas mais oui, à Dijon il y a l’Angel aussi, c’est plus dansant que le Bossuet.
(Oui, ces endroits ont l’air glauques comme ça mais M. X me confirme que sur l’hygiène, « ils font pas les choses à moitié » et que c’est « capote obligatoire partout »)
Concrètement, une fois que tu as pris contact, pris un rendez-vous, comment ça se passe, vous buvez un coup et vous baisez ?
M. X : Euh… le problème c’est que les couples sont très exigeants dans leurs fiches, ils disent exactement ce qu’ils veulent. En général, tu sens que c’est le mari qui a fait la fiche et qu’il recherche une expérience bi, il veut essayer de se faire enculer. Je les comprends, il faut pas mourir con… Tant que t’as pas essayé tu peux pas savoir, mais souvent, une fois qu’ils ont réalisé leur fantasme ils sont déçus ou sinon ils se découvrent une nouvelle sexualité. Le problème aussi c’est qu’il y a des couples échangistes qui cherchent que des couples. Ils se reçoivent et baisent chacun de leur côté.
( M. X m’explique qu’il y a échangisme et mélangisme, les échangistes baisent leur partenaires chacun de leur côté et « souvent les femmes s’embrassent et se touchent vite fait », le plaisir est dans le voyeurisme, dans le fait de faire ça en face d’inconnus. Le candaulisme, en somme, un mot que M. X m’a appris. Les mélangistes, en revanche, ont des rapports avec le/la partenaire de l’autre. En gros les mélangistes ce sont ceux que les non-initiés/la société appellent les échangistes, mais soyons clairs sur les termes)
Ça se passe plutôt chez toi ou chez eux ?
M. X : En général, je vais plus chez les gens, des fois je vais jusqu’à Lons-le-Saunier… Mais sinon, jeudi dernier j’ai reçu une chienne chez moi et je l’ai fisté toute la soirée.
(Rappelons que M. X n’est pas un sale machiste frustré et que l’expression ‘ »chienne » fait partie du lexique de l’initié)
M. X : Pour elle c’est un compliment, c’est pas dans le sens « macho ». Moi quand je lui fait ça, je la dégrade pas. De toute façon c’est dans ces pratiques que j’en ai appris le plus sur les relations humaines. Par exemple quand il y a de la soumission, soit avec une chienne soit entre un esclave et une maîtresse, tu sens vraiment qu’il y a de l’amour. Il y a de l’amour quand l’esclave obéit aux ordres de sa maîtresse.
« Les films c’est une projection des
désirs de la population, ce que les
gens recherchent, refoulent, font »
Tu penses vraiment que c’est de l’amour ?
M. X : Ouais, ouais. Mais chez les maîtresses il y a un protocole, il doit y avoir un suivi, un cheminement, elle te pose des questions tout le temps. Pendant un moment j’en ai cherché une mais j’ai laissé tomber.
Ça paraît logique ce lien de possession… Sinon t’as pas peur de tomber sur des cinglés ?
M. X : D’où l’utilité de parler avant sur Internet. J’essaie de tester, je fais des blagues bizarres et je vois comment les gens réagissent, s’ils le prennent avec humour, s’ils sont sérieux ou pas, je joue un autre rôle pour voir. Et puis j’ai un regard artistique, je juge sur les photos.
Une fois tu m’as dit « J’ai jamais payé pour faire l’amour », t’as jamais rencontré de prostituée ?
M. X : Bah non j’ai jamais payé parce que les petits jeunes comme moi elles adorent ! Je suis du « petit sucre » pour elles ! Tu sais quand elles voient que des gros bedonnants qui veulent les sodomiser ou se faire enculer… Quand je sortais avec la call girl là, quand un client arrivait, je sortais dans le couloir et j’attendais.
Oui, dans ce cas-là, il ne peut pas y avoir de jalousie.
M. X : Non, j’étais pas jaloux, j’allais même voir à côté avec une autre trans… (il rigole et crache la fumée de sa cigarette) Le truc c’est qu’elles se connaissaient, elles étaient même bonnes copines et un soir, dans une soirée à Pigalle, on s’est retrouvés tous les trois et elle m’a présenté ! J’étais là : « On s’est déjà croisés ? »
Vous avez joué le jeu ?
M. X : On a pas eu le choix ! Elles sont plus jalouses que des femmes en général. Une fois il y en a deux qui se bastonnées (des trans) et tu vois il y a le côté homme qui ressort, le côté hormonal, elles se mettaient des grosses claques, des coups de poings…
A cause de toi ?
M. X : Ouais, ouais !
En fait pour toi il n’y a pas de barrière entre le fantasme et la réalité. Nous on voit des trucs dans les vidéos pornos, toi tu les vis en vrai.
M. X : Le problème, oui, c’est que j’ai réalisé tous mes fantasmes.
Donc maintenant il y a une gradation dans tes fantasmes ?
M. X : Nan, je préfère rester dans des trucs assez simples, tu vas essayer des trucs de plus en plus extrêmes pour te rendre compte qu’en fait les plaisirs simples, c’est bien. Des fois c’est bien de retrouver une chatte… Et je cherche beaucoup de films pour me tenir au courant de ce qui se fait. Les films c’est une projection des désirs de la population, ce que les gens recherchent, refoulent, font. Il y a tous les types mais l’amateur revient à fond. Il y a toujours les grosses productions à l’Américaine mais quand les gens regardent des films avec une mise en scène amateur, par exemple avec la voisine, ils se disent « Ah ! C’est peut-être à ma portée ! » Beaucoup de gens recherchent leur sexualité à travers le libertinage. Tu sais bien qu’en France le mot « sexe » reste très tabou et donc à travers ce moyen, ils trouvent une certaine liberté pour explorer. Malheureusement la plupart sont guidés par les films pornos, d’où la surenchère vers des trucs de plus en plus hard.
Toi tu n’essaies plus de nouveaux trucs ?
M. X : Si, dernièrement le fist…
« Tu te rends compte que ton corps
est fait pour le plaisir »
T’as combien de contacts réguliers ?
M. X : A Paris j’en avais une dizaine, à Dijon c’est plus difficile. Déjà au niveau trans j’en ai qu’une seule, c’est une trans qui s’est faite opérer. Elle fait des études à la fac. A Paris, j’ai vécu avec une trans opérée pendant deux mois.
Bon sinon concrètement, c’est quoi les fantasmes les plus courants ?
M. X : Il y a de plus en plus de bi, des couples qui recherchent des autres couples, sinon des femmes qui cherchent à être désirées, entourées de plusieurs hommes, un peu comme des nymphomanes…
…Dans des bukkakes ?
M. X : (il sourit) Oui… l’autre fois on était quatre sur une fille au sauna. C’est des filles qui aiment l’excès d’hormone, le sexe pur, elles aiment se faire enchaîner. Le sexe quand tu l’aimes vraiment tu cherches l’hormone à l’état pur et là tu te sens carrément libre. La journée t’es au boulot et tu te dis que pendant la soirée tu vas partager avec des gens. Tu te rends compte que ton corps est fait pour le plaisir. Et pour moi il n’y a pas de plaisir s’il n’y a pas de partage. J’ai commencé les films trop jeune, j’ai eu ma première relation à 15 ans et je m’en foutais, j’étais con, je voulais juste baiser. Je me suis rendu compte trop tard qu’il faut un partage, un feeling.
Et le plus trash que tu aies vu ou fait ?
M. X : Pffff, le plus trash… (Longue pause ou M. X tire des lattes sur sa clope et regarde le plafond. Si j’avais pu avoir un appareil qui projette les pensées humaines à ce moment-là, je n’aurais pas eu besoin de taper cette interview)… Le plus hard que j’ai fait c’est fister. Et le mieux, c’était deux belles blondes pour moi tout seul !
Est-ce qu’il y a une recherche de la beauté dans tout ça ?
M. X : Déjà j’essaie de trouver des gens de ma tranche d’âge mais c’est dur, surtout à Dijon, je ne connais qu’un couple de jeunes. Mais en Bourgogne, on préfère manger !
Dernière question : qu’est-ce que tu penses du mot « pervers » ?
M. X : Tout dépend de ton éducation, de ta vision des choses, ce qui est pervers pour quelqu’un ne l’est pas pour quelqu’un d’autre, c’est comme tout. Il y a des termes pour essayer de classer tout le monde.
(Pour la première fois de ma vie j’ai envie d’écouter Indochine, merde)
Propos recueillis par Anthony
Image : William Hogarth – La carrière d’un libertin (A Rake’s Progress)