J’arrive dans la cour de la Rustine, rue du Havre, sous les rayons d’un soleil pré-printanier et je gare mon vélo dans le hangar ouvert. Philippe sort du bureau pour me saluer et après une visite des lieux, on s’installe avec Sylvain et Stéphane, les deux autres fondateurs, pour discuter du nouvel atelier-espace vente et de leurs conceptions du vélo en général…
L‘asso a été créée en novembre 2011 et a ouvert ses portes après travaux le 18 février dernier dans un ancien atelier de tonnelier plein de charme situé entre un menuisier et une tanneuse. Philippe, qui bossait avant à la Bécane à Jules, m’explique que l’idée lui trottait dans la tête depuis un bon moment. Il avait déjà investi une partie de l’atelier pour son bricolage perso ainsi que pour stocker des vélos et pièces, et petit à petit le projet a abouti avec l’aide de Stéphane, lui aussi un ancien de la Bécane à Jules, et Sylvain. Il me cite aussi Nico des Tanneries qui l’a pas mal aidé, et rajoute que les vélocistes sont enjoués de la création de ce nouvel atelier, parce qu’ils sentent qu’ils sont complémentaires.
Donc concrètement les gars, qu’est-ce que vous proposez ? Comment vous fonctionnez ?
Philippe : Déjà, l’adhésion est obligatoire pour accéder à l’asso. (ndlr : ça vous coûtera 15 euros, ou 10 si vous êtes étudiant ou que vous pouvez prouver que vous êtes pauvre)
Stéphane : Le but, c’est la réparation de vélos par les adhérents et accessoirement la vente de vélos et de pièces.
Philippe : Moi j’vois aussi ça comme un recyclage de carcasses, essayer de faire quelque chose avec ces rebuts, quitte à sortir le poste à souder !
Ils me précisent que le poste à souder va être
monté dans quelques temps parce qu’ils
attendent d’avoir le budget sécu.
D’ailleurs, nos amis cherchent un soudeur.
Vous parlez de projets divers sur le site…
Sylvain : Oui, on peut faire des biporteurs, des remorques, des sculptures… mais la première priorité, c’est que l’atelier tourne.
Je rappelle que la Rustine paye le loyer du local grâce à
ses activités associatives seulement, contrairement à
d’autres structures subventionnées. Donc sans
vouloir faire l’écolo-radical-anarchiste-moralisateur (que je suis),
c’est à vos petites mains pleines de cambouis de soutenir le projet !
En fait, quelles différences il y a avec la Bécane à Jules ?
Sylvain : Déjà la grosse différence, c’est qu’on n’a pas de fonctionnement centralisé. On est dans une optique de participation et de gestion collective.
Stéphane : Oui, on n’a pas de salarié. C’est une contrainte en moins, on n’a pas les dérives que ça peut entraîner.
Sylvain : On a des ambitions modestes mais à terme pourquoi pas avoir un ou deux salariés. En fait l’idée ça serait de se reposer à 50% sur des bénévoles et 50% sur des salariés.
Si on parle un peu de vos parcours, vous êtes mécanos, cyclistes ?
Stéphane : On va faire chronologiquement. Moi j’ai appris sur le tas, j’avais besoin de me monter un vélo, c’est celui dont je me sers toujours d’ailleurs. Je l’ai commencé aux Tanneries et je l’ai fini à la Bécane où je me suis formé en montant, démontant, et en aidant les gens.
Philippe : Moi j’ai rejoint Stéph, que je connaissais, à la Bécane. J’me définis pas comme un passionné de vélo, je suis plus motivé par la récupération, la débrouille, le côté utilitaire et social. Avoir un travail concret, au contact de la matière, c’est magnifique !
Sylvain : Moi, je suis en cours de perfectionnement…
Philippe : Lui, il sait monter des assos !
Sylvain : Oui, j’en avais une dans l’hébergement avant. A la base je bosse dans le web mais tout ce qui est manuel m’intéresse. Ça et le côté recyclage.
Philippe : Ici, on a un rapport privilégié avec les adhérents.
Sylvain : Oui, tu partages le savoir…
Stéphane : C’est super gratifiant ! On est remerciés, ne serait-ce que par un sourire.
Sylvain : Oui ou l’autre fois quelqu’un a fait un gâteau à Philippe ! Mais Stéphane est un très grand pédagogue.
Stéphane : Oui, enfin, j’ai encore pas eu de gâteau.
Les trois compères m’expliquent l’histoire du lieu,
qui appartenait à un tonnelier alternatif,
selon les mots de Philippe. Il réalisait du mobilier,
des percussions et des tonneaux sur mesure…
Il a fallu un mois et demi pour réaliser les travaux
même s’il y avait déjà les casiers en bois,
équipement non négligeable. Stéphane me montre
le superbe poêle ancien, le canap’ et l’établi en bois.
« Ils nous ont été prêté à long terme, ça a été un vrai encouragement ! »
Est-ce que vous considérez avoir une mission écologique ?
Philippe : Pas vraiment.
Stéphane : Pour moi c’est pas un objectif… mais dans un atelier, il y a un contact avec les gens et quand on remet quelqu’un en selle, ça fait une voiture en moins et ça c’est chouette ! Mais tu sais ici on prêche des convaincus. Si, il y a des gens qui viennent ici parce que leur patron les oblige à venir travailler en vélo, etc. il y a ce genre de conséquences.
Philippe : Oui par exemple, il y a le prix de l’essence… quand t’y penses, un vélo ça coûte le prix d’un plein ! Et ça aussi c’est une conséquence agréable… Mais si les gens avaient des vélos en meilleur état ça serait moins dur pour eux d’en faire en ville. Tu vois des gens qui ont des vélos avec les freins qui frottent, des dérailleurs mal réglés qui font du bruit, etc.
Oui, ou les gens qui pédalent en crapaud avec une selle mal réglée…
Stéphane : Ah oui oui, je vois…
Sylvain : Enfin, quand même, plus il y aura de vélos, mieux se portera la ville.
Philippe : Plutôt que de l’écologie, je pense que nous c’est surtout du pragmatisme. Jeter un vélo parce qu’il manque une roue, c’est une idiotie !
Stéphane : Oui et en racheter un complet en forçant la fabrication d’un objet à l’autre bout du monde…
Philippe : Réparer, c’est être responsable.
Stéphane : Et ce qu’il y a de bien avec le vélo, c’est qu’on a toujours des possibilités de réparation contrairement à la technologie. Si on a une mission, c’est faire comprendre tout ça.
Donc tous les trois vous vous déplacez qu’en vélo ?
Philippe : A 99% oui, j’ai une voiture mais je m’en sers que pour faire des longs trajets.
Et faire des récup’ ?
Philippe : Ouais, voilà aussi.
Stéphane : J’utilise plus sa voiture que lui !
Philippe : En ville quand tu slalomes entre les voitures en sifflant, c’est du bonheur ! Mais il y a encore des gens qui utilisent leur voiture pour faire 2 km.
Tous les trois, qu’est-ce que vous pensez de la façon dont on peut circuler à Dijon en vélo ? Du tram ?
Sylvain : On pourra mettre notre vélo dans le tram ?
Euh, non, je crois pas…
Un adhérent : À Angers tu peux, ils ont même construit des gros parkings en périphérie de la ville, comme ça tu poses ta voiture et tu finis en vélo.
Stéphane : À Strasbourg aussi, mais tout ça c’est une politique urbaine, de décider de faire des parkings périphériques avec accès au tram et bus… C’est des choix politiques qui sont faits ou pas.
Si on revient à l’atelier, qu’est-ce que les gens demandent le plus ? Les problèmes les plus courants ?
Stéphane : Les principales demandes, c’est pour des crevaisons ou les freins.
Philippe : Ou sinon les gens qui veulent se mettre au vélo et ils apportent le vélo de leur grand-mère ou un vélo qui a pas roulé depuis quatre ans en pensant qu’il faut tout refaire. Mais en fait, on regonfle juste les pneus et on remet quelques gouttes d’huile.
Stéphane : Sinon, on a des étudiants qui cherchent un vélo, ou plus rare, des personnes qui veulent en retaper un en entier.
Comme l’adhérent qui est en train de
se monter un pignon fixe juste derrière nous.
Tu te montes un fixe ?
L’adhérent : Ouais ! Mais j’ai un problème avec la fourche.
Comme quoi le fixe n’est pas mort, je pensais que c’était plus la mode…
Stéphane : Nan, c’est pas si essoufflé, il y a toujours des mecs qui cherchent des pièces à pas cher et ce sont des gros consommateurs de pneus ! Et je pensais que les fixies allaient se créer un réseau d’entraide et de conseils, et faire ça entre eux, mais on en voit toujours…
Philippe : On a des pièces vintage aussi !
Cool… Sinon vous avez des anecdotes ?
Stéphane : Hum…
Philippe : A part les témoins de Jéhovah, je vois pas trop, non.
Stéphane : Les anecdotes, ça serait plus dans les objets qui nous ont été prêtés. Le poêle et le gros poste au fond.
Philippe : Oui il est superbe.
Qu’est-ce que vous pensez des vélos électriques ?
Sylvain : Je suis sceptique… En fait la batterie va mourir en premier et c’est ce qu’il y a de plus cher, ça te laisse un cadre super lourd. Je pense que les gens reviendront au vélo normal.
Stéphane : Oui et puis le truc c’est aussi de se faire un peu mal, tu vois.
Oui, sentir ton engin, ne faire qu’un avec. Ça fait partie du truc.
Philippe : Ce que je trouve bien, c’est que dans 30 ou 40 ans la technologie sera au point et ça sera pile quand on sera vieux.
Stéphane : En fait, je trouve que c’est une alternative au Solex, sans le charme.
C’est vrai. Bon maintenant je vais vous poser des questions avec deux choix de réponses. Écolo ou anarcho ?
Stéphane : Anarcho, pour moi… et toi aussi. (Il regarde Philippe)
Sylvain : Dans l’écologie, il y a trop de récupération commerciale.
Stéphane : Oui, tu peux être anarchiste et écolo, d’ailleurs c’est souvent le cas, mais le contraire c’est pas évident !
Alu ou acier ?
Stéphane et Philippe : Acier !
Single ou vitesse ?
Stéphane et Philippe : Hum… single.
Sylvain : Vitesse moi, quand je vais dans les bois ou sur les bords de Saône.
Course ou balade ?
Philippe : Ah, balade.
Stéphane : J’vais dire course.
Philippe : Oui, faut préciser que je suis pas du tout un cycliste sportif…
Casque ou pas casque :
Sylvain : Bah… pas casque. A part quand je vais dans les bois.
Decath’ ou Go Sport ?
Stéphane et Philippe : Pfffff…
Sylvain : Bah moi j’aime bien Decathlon, ils ont une bonne gamme et pas que dans le rayon vélo, par contre Go Sport, y’a pas grand-chose et c’est cher !
Stéphane : Ni l’un, ni l’autre, c’est comme si tu me demandais de choisir entre deux supermarchés, je vais voir l’épicier du coin.
Sur ce je vous laisse consulter le site de la Rustine : http://larustine.org/
Et je vous invite à aller leur rendre visite pour profiter des services d’un espace réellement alternatif et du canap’ comme cet heureux adhérent (photo ci-dessous).
La Rustine
5 rue du Havre, 21000 Dijon
03 73 27 03 66