Deux bonnes nouvelles cette semaine. Tom Boonen vient d’en mettre une troisième au Tour des Flandres et Mansart reçoit un des Floyd ! Merde alors, un Floyd à Mansart ? Au final, ce sera mieux que cela. À l’occaz de la reprise par le département de Musicologie de Dijon de l’Album du Floyd, Mansart reçoit Ron Geesin, quasi-équivalent angliche d’un John Cage, tant par les idées et l’humour artistique que par le peu de cas qu’il fait de son œuvre. Rencontre avec un inventeur séditieux qu’il serait dommage de réduire à la compo éclairée d’Atom Heart Mother. (Lisez en écoutant entre autres Concret Line Up, A World Of Too Much Sound, Ambling Antics, A cymbal And Much Electronics, Chromatic Trashers ou encore Mr Peugeot Trot).

 

On s’amuse beaucoup en France de l’avarice des Écossais. C’est ce qui les a poussé à garder à moitié découvert un homme qualifié sur quelques sites locaux de « trésor national » ?
Je ne suis pas Écossais. Je suis né en Écosse mais deux guerres mondiales et l’histoire du monde font que je me sens plus Anglais qu’Écossais aujourd’hui.

Vous êtes donc à l’origine du morceau-titre de l’album Atom Heart Mother (Pink Floyd, 1970). Comment s’est déroulée votre collaboration ?
Ils m’ont confié 23 minutes de matériaux enregistrés et m’ont laissé libre de trouver les parties manquantes. J’ai donc écrit des parties pour cuivres, violoncelle et le chœur. Il semblerait qu’il y eu ensuite de nombreuses discussions pour décider de la place de chaque éléments. La dernière chose dont j’avais envie était qu’ils trainent dans mon studio quand j’écrivais. Par chance, ils tournaient beaucoup. Ils ont donc entendu mon travail seulement lors de l’enregistrement final au studio Abbey Road. À vrai dire, leur musique n’était pas mon truc et c’est sans doute pour cela qu’Atom Heart Mother a pu être un succès. Parce qu’ils ont fait appel à ma différence d’inspiration.

C’est un album qui met fin à leur période psychée portée par le génie de Syd Barrett, notamment par votre choix des cuivres, du violoncelle solo et des chœurs plutôt que de tomber dans la facilité d’utilisation des violons qui roucoulent.
Je pense que le quatuor des Pink Floyd avait besoin d’un élément étranger. Avec Barett, il avait accès à des motifs singuliers. Barett agissait comme un élément perturbateur. Avec Atom Heart Mother, ils ont seulement changé d’élément perturbateur et cet élément, c’était moi. Ce qui leur faisait défaut à cette époque était de savoir trouver la mélodie pertinente pour chaque morceau. J’ai donc fait ce travail. Le choix de la combinaison des couleurs des cuivres, du violoncelle et du chœur a donc ses raisons pratiques, à la fois par le budget serré alloué par EMI et à la fois par mes expériences sur Music From The Body avec Roger Waters et un violoncelliste.

Parlons de vos sources qui semblent être à la fois la technologie, la musique écrite et une grande liberté. Comment avez-vous pu rassembler cela ? Grâce à votre humour déclaré ?
Oui, en partie. Sérieusement, je crois qu’il y a beaucoup d’humour dans l’instinct de survie de chaque humain. Après il s’agit de s’amuser avec la technique. Le jazz, par exemple, requiert une technique impressionnante. Pour les sources, je pourrais citer Prokofiev ou Stravinski. Plus proche, Edgard Varèse est définitivement une de mes sources d’inspiration tout comme Fauré ou Messian. Dutilleux ne va pas assez loin dans la forme. J’ai aussi beaucoup de liens avec la France, avec le mouvement surréaliste par exemple. Mais je dois créer ce qui m’appartient, je dois créer un prototype, quelque chose de nouveau tout le temps.

 

On sent également un lien avec l’avant-garde américaine. Citons par exemple Terry Riley ou John Cage pour l’esprit du zen, l’aléatoire, l’utilisation du ready-made.
Oh, merci. Mais John Cage a été beaucoup plus prolifique que moi ! Pour l’aléatoire, parlons du titre de l’album de Pink Floyd : nous étions au studio de la BBC et l’album n’avait pas de titre. Il y avait un journal ouvert et nous y avons trouvé le titre dans un article sur une transplantation cardiaque. Je ne suis pas médium, c’est la chance qui a joué pour nous, nous aurions pu prendre n’importe quel autre morceau de papier !

Vous n’êtes pas seulement un compositeur mais également un technicien hors pair.
Vous m’avez défini tout à l’heure comme un architecte sonore. Oui, je construis des sons. Je n’ai jamais fait la différence entre jeter une pierre dans une gouttière et jouer une note sur un piano. Les deux sont des événements sonores et nécessitent de l’organisation. L’être humain doit avoir la responsabilité du sens.

Il y a ce morceau A World of Too Much Sound dans votre album de 1967, A Raise of Eyebrows. Vous y tancez les groupes de l’époque en leur demandant « where’s your sting ? » et en leur commandant de jouer toujours « louder ». Critique des musiciens en place qui privilégiaient le volume au détriment de la musique ?
Il ne s’agit que d’un seul morceau. Apparemment Nick Mason n’a pas beaucoup apprécié ce morceau. Pour moi, c’était seulement un constat mais je ne tiens pas pour nécessaire de déclarer ce qui est bien ou non pour la culture populaire.

Ne trouvez-vous pas étrange qu’on étudie un album comme Atom Heart Mother au bac ? En entrant dans les écoles, la subversion perd de son essence, non ?
Il y a deux questions. Comme je l’ai dit à Paris en janvier dernier lors de la reprise de l’album au Châtelet, j’étais amusé et heureux que cette musique soit étudiée. Elle donne à connaître une autre manière de composer. Il y a des éléments aléatoires, une forte notion de structure et de l’ingénierie sonore. La subversion n’aura jamais de fin, je la vois comme un commentaire à jamais valide sur la moindre action de notre société.

 

Propos recueillis par Badneighbour
Crédit photo : Alexandre Horn