Vendredi 18 mai, samedi 19. C’est l’entrée plein but dans le champ politique du festival. Fini les poids coqs condescendants et masqués, désormais c’est du lourd. Pas tout à fait Thrilla in Manilla, mais ça cogne quand même. Vu trois spectacles qui taclent sévère.

C’est drachmatique !

Vendredi soir, 21h30. C’est l’heure des retrouvailles avec les cocos de Motus. Après leur passage à Théâtre en Mai il y a deux ans, les Italiens reviennent planter leur camp de base, salle Fornier. On se souvient la larme à l’oeil des trois premiers contests, leur petite forme entre impro et écriture chirurgicale violente. Leur projet redux d’Antigone et Polynice a fait son chemin et les déflagrations sensibles de la bande de Rimini sont désormais posées sous l’oeil du témoin grec. Alexis, une tragédie grecque, ça s’appelle leur affaire. En 2012, la tragédie grecque, elle a oublié ses cothurnes et ses toges, ses lauriers sur la tête de ses héros divins. Motus dépouille l’antique, le râcle jusqu’à l’os et tape dans le fait divers incendiaire. Alexis, jeune minot de 15 ans se fait dessouder en 2008 par un policier grec pour avoir tenu (lancé ?) un pavé. S’ouvre alors dans les rues d’Athènes des manifestations sans précédent. Le feu couvait et la sécurité a ôté le couvercle en trébuchant. Paf, révolte ! Aujourd’hui, c’est le pays qui brûle encore et le mot indignation a fait florès.

Motus lance son quatuor juvénile sur les traces de cette révolte. On sent pleine gueule l’énergie physique des corps en action. C’est un choc entre ce qui est déjà une histoire et ce qui le deviendra plus tard. En attendant, la tension au plateau crée du drame, du tragique où l’humain s’éventre aussi facilement qu’un cannelloni four trop chaud. Bon, souvent la vidéo justifie un peu trop le côté contemporain de la chose, mais son aspect fragmentaire, décadré et incarné reste terrible. C’est « aimable et triste en même temps ». C’est rude, intelligent et finit par nous placer (littéralement puisque 25 spectateurs sautent sur le plateau quand ils y sont invités) devant la question essentielle : après la révolte, qu’est-ce qu’on fait, ensemble, maintenant ? Pour imaginer l’émotion, faudrait revoir l’arrivée du Tour 2010 à Bourg-lès-Valence et les coups de casque de Renshaw.

Elsass Blues

Dépité de ne pas avoir vu Mister Beccaro, la veille au spectacle de Motus, Gazza m’accompagne à un autre rendez-vous attendu. Celui de Dreck. Luc Schillinger comédien monolithe monte sur le monument écrit par Robert Schneider et gueule en Alsacien qu’il faut expurger la haine de l’autre. Il fallait au moins ça pour déloger mon collègue d’une journée frappée par un Bayern/Chelsea.

« Je me raconte, je mens » martèle Sad le héros de Dreck, vendeur de roses à deux balles à la porte des restaus chics. Et là, si le texte est furieusement individuel, il y a des foutus échos au Motus de la veille, des céhos qui font tonner le fascisme quotidien ou larvé dans les organisations dirigeantes.

Sad, lui, à force d’agiter « ses lèvres nègres et arabes » passe de la philo qu’il a aimé apprendre à la froideur la plus raide. Effrayant. La bonne idée, si d’aucun en doutait, c’est de porter le texte en Alsacien. Et le dialecte, génétiquement quotidien, naïf et puissant, balance toute la clarté du texte, une putain de cataracte à retardement. C’est épais, physique au point d’être presque sensuel. Ce qui sonne étrange dans cette histoire de racisme. Mais le corps de Schillinger, comédien masse, banane toute élégance à la benne et nous plante à l’épaule un aiguillon dont la douleur se fait sentir deux heures après la fin du spectacle. « C’est toujours un souci quand le metteur en scène est aussi visible pendant un spectacle » me glisse Sczwozeck, un pote porté sur la chose théâtrale. Il a raison. C’est con que la mise en scène s’impose autant dans ses excès, on perd un peu du corps presque aussi rustre, en scène, que sa langue.

Tempête sous un képi

Du coup, remontés et un peu noirs, on part, Gazza et moi, aux Grésilles à l’assaut des Vigiles du Théâtre Group’. Gazza en profite même pour étrenner une jolie chemise bleue gendarme. Après l’épaisseur poisseuse de Dreck, on est parti pour se battre les steaks dans une guignolade classe. Politique, toujours, l’histoire des vigiles. Ça défouraille à toutes pompes dans ce vrai-faux meeting sur la sécurité, valeur d’aujourd’hui. C’est sournois là aussi. Mention perso pour le commandant de gendarmerie, incarné (incarcéré ?) par Jouffroy, meneur de revue sécuritaire. Son désappointement final, joué en finesse, montre aussi que les gugusses du théâtre de rue ne sont pas que des amuseurs. Le boulot des comédiens sur les attitudes et les silhouettes de leur personnage marque des points à chaque passage. On se marre, bien entendu, et beaucoup mais avec des vrais chiffres, des vraies stats du ministère de l’Intérieur, des vraies opinions de vrais gens dans la salle. Et là, les faussaires de la bande à Jouffroy font péter les pétards. Si on rit, c’est pour lâcher quelque chose qui tient sans doute autant à la trouille, qu’à la colère.

 

Badneighbour

Photos : Vincent Arbelet