L’état de l’enseignement supérieur, les premiers concerts de nos groupes dijonnais et les moustiques dégueulasses. Long compte-rendu de cette troisième journée du périple en Grèce.

Mardi 19 juin. La journée à Selianitika commence doucement avec un réveil pour la plupart des participants vers 9h45, soit quinze minutes avant la fin du service du p’tit dej’.  Les quelques courageux qui ont à nouveau festoyé la nuit dernière et qui, ce matin, ont le nez vissé sur leur biscotte/quatre-quarts, se dépêchent de finir l’ignoble jus d’orange (un sous-genre de Tanga-Sunny Delight) dans l’espoir de pouvoir éliminer quelques toxines avec une petite baignade matinale. Et allez savoir pourquoi, mais une fois dans l’eau, les mecs sont irrésistiblement attirés par cette fameuse bouée, celle qui délimite la zone de baignade. Une fois qu’ils ont passé cinq minutes autour de celle-ci à se congratuler de cette prouesse, ils reviennent vers la plage. Tout fier. Enfin, ça c’est pour ceux qui ont habilement évité les oursins et les galets coupants comme des lames de rasoir. La nature grecque est un peu hostile : on aurait pu faire un papier entier sur la ténacité des moustiques du Péloponnèse à la nuit tombée.

Trêve de plaisanteries. Après une matinée détente, les groupes se préparent à partir sur Katamaran, petite ville côtière voisine qui doit accueillir la première scène du Greek Tour. Les équipes médias (Dijonscope, Radio Campus et nous-même) partent quant à elles en bus pour aller rencontrer l’équipe d’UpFM, la radio étudiante au sein de l’université de Patras. C’est le directeur de la radio, Costas Papadakis, et l’un de ses producteurs, Stratos, qui viennent nous chercher directement à ce qu’on pourrait appeler un arrêt de bus (on s’est arrêtés en pleine zone industrielle, au bord d’une route assez dangereuse, sans panneau ni aucune forme de marquage).

Dans la voiture, c’est l’avalanche de questions pour Stratos qui répond spontanément et avec conviction. Même quand on lui demande pour qui il a voté dimanche dernier au deuxième tour des législatives grecques, il n’hésite pas à évoquer sa méfiance à l’égard du parti Syriza (parti radical de gauche, arrivé deuxième) et son dégoût profond pour les deux partis traditionnels (Neo-democratie à droite et Pasoc à gauche). « Cela fait des années que ces deux partis corrompus gangrènent le pays, je ne sais plus trop où on va » nous dit-il avant de comparer la politique grecque aux nombreuses imprudences pouvant être commises au volant ici.

En Grèce, les facultés voient leur note
abaissée quand les inscriptions augmentent
et la durée des études supérieures ne
peut plus dépasser 6 ans.

Arrivée à l’université de Patras. Costas nous installe dans la salle de réunion du recteur de la fac, avec son énorme bureau rectangulaire en bois massif et ses dessous de table en simili cuir vert. Il ne tarde d’ailleurs pas à arriver et s’entame alors une longue interview en anglais. Dès la première question -concernant le nombre d’étudiants inscrits- il nous apprend qu’une nouvelle loi est passée il y a neuf mois, plafonnant le nombre d’années d’études supérieures à six ans, permettant ainsi de se débarrasser des « vieux » étudiants. En effet en Grèce, le classement des meilleurs facs tient compte du ratio entre le nombre d’inscrits et le nombre d’encadrants. Les facultés voient leur note abaissée quand les inscriptions augmentent.

Il passera ensuite un long moment à nous expliquer que la crise touche d’abord financièrement aussi bien les jeunes que les institutions du supérieur. Les étudiants doivent redoubler d’effort puisque beaucoup sont obligés de travailler pour aider leur famille en difficulté, en même temps qu’ils mènent de front leurs études. Sauf que, le travail (même précaire) se faisant rare, certains sont obligés de se rendre parfois de Patras jusqu’à Athènes (2h30 de voyage) pour aller bosser. Pourtant, à l’université de Patras, les frais de scolarité sont inexistants.

Avec la crise, les subventions de l’Etat pour l’université ont subi des coupes drastiques (-50%), les salaires ont diminué de près de 30%, avec une baisse encore plus importante concernant les profs, ce qui entraîne également le blocage des recrutements et les renouvellements de contrat. Le secteur privé n’est pas très développé en Grèce donc les seules autres subventions proviennent de l’Union Européenne à travers des programmes qui nécessitent un maintien au sein du classement des meilleures universités. Mais comment maintenir un niveau d’exigence avec du matériel vétuste, des bâtiments dont la construction s’est arrêtée en plein travaux et des étudiants plus préoccupés par leur avenir professionnel à l’étranger ? Sur ce dernier point, le recteur est formel : selon les filières, c’est jusqu’à 20% des étudiants qui partent s’installer au nord de l’Italie ou en Amérique du Nord. Il souligne également le fait qu’en dehors de l’Allemagne, la Grèce -à l’image d’autres pays européens- ne dispose pas d’un secteur dédié à la recherche et au développement, aggravant ainsi la fuite des cerveaux.

Nous finissons cette rencontre avec un brin d’espoir quand il évoque la volonté de créer une fréquence radio faite par l’université où ils pourraient enfin exprimer leur vision d’une autre gestion de la culture et de leur principal atout : la jeunesse grecque.

« Mais où se cache la scène électro grecque ? »

Next stop : le siège dUpFm, la radio étudiante dirigée par Costas depuis quelques années, également professeur de mathématiques et d’informatique. Dans le studio plutôt cosy, nous faisons notamment la connaissance de Chrysothalia, 28 ans, qui cumule trois jobs (technicienne radio, ingénieur son et formatrice aux techniques radiophoniques). Elle nous avouera plus tard qu’elle part s’installer à Londres en août. « Histoire de connaître enfin la reconnaissance que je mérite ».

L’ambiance est détendue entre Alex l’animateur radio, Maria, l’équipe Campus et Fishaking qui s’apprête à nous jouer quelques-uns de ses morceaux en acoustique. Pour ceux qui ont déjà vu l’ex Doc dans d’autres formations (comme à l’époque d’Urban)cette prestation est des plus surprenantes. Il est touchant dans sa manière d’égrener les accords ; sa voix, déjà marquée par des années de java, laisse entrevoir derrière des accents résolument blues une certaine fragilité… Ces moments sont vites balayés par des passages plus dynamiques qu’il entrecoupe de blagues. Merci Doc, on reprend rendez-vous avec toi au plus vite !

On prend le temps de discuter un peu musique avec Alex, l’animateur radio. Il est très branché musique électronique. On lui pose alors la seule et unique question sur le sujet : « Mais où se cache la scène électro grecque ? » Impossible en fouinant sur Google de déterrer un seul DJ ayant comme notre David national parcouru les clubs du monde entier avec son jet privé et son piano à deux notes. Pas de producteur non plus. Alex nous explique alors que son kiff à lui c’est la house, la techno, mais qu’il est aussi obligé de modérer sa sélection vu que son émission a lieu en plein milieu d’après midi. Et puis ce qui marche en Grèce, ce n’est pas le binaire. Toutes les attentions se portent sur ce genre : la folk-laïka – oreilles sensibles s’abstenir. Quand on s’enquiert de la côte de popularité de la bass music, il nous cite uniquement le dubstep : « La scène est minuscule ici, mais le dubstep est arrivé jusqu’à nous il y a peut être deux ans seulement ».

En partant, nous encourageons le jeune animateur, qui espère bien en faire sa profession. Et pourquoi pas rester en Grèce, parce que pour lui, il faut une vraie raison pour quitter le pays. La crise à elle seule n’a pas suffi à décourager l’étudiant de 21 ans.

On prend également rendez-vous avec Chrysothalia, la techos de la team, qui viendra nous rejoindre le soir de la fête de la musique pour éventuellement nous emmener en after-embuscade sur la côte. Challenge accepted.

Le manque de moyens et de subventions
obligent aussi les artistes à redoubler
d’ingéniosité pour continuer à apporter
un contenu de qualité auprès d’un
public qui a bien besoin de se vider la tête.

Retour au centre-ville pour rencontrer la journaliste web-TV du site Patras Events, Heleni Vasilopoulou (31 ans), qui nous attend à la terrasse de l’Orient Express, restaurant à la déco kitsch hommage aux films américains des années 50. Son site regroupe de manière exhaustive l’ensemble des événements culturels de Patras et de la région (théâtre, concerts), et consacre également quelques thématiques autour de sujets politiques et sociaux.

Patras, ville de Saint-André, organise tous les ans un carnaval de renommée internationale (il arrive troisième derrière celui de Venise et de Rio). Nombreuses sont les activités culturelles qui rythment l’année ici : festival du film, concerts de musique, pièces de théâtre des grandes compagnies… sauf que la ville ne dispose même pas d’une véritable salle de concert pour accueillir les groupes. Lorsque nous évoquons le sujet brûlant de la crise avec Heleni, elle nous explique que d’une certaine manière, la crise a donné un second souffle à la création artistique : les pièces d’Aristophane trouvent une autre résonance auprès du public en cette période difficile. Le manque de moyens et de subventions obligent aussi les artistes à redoubler d’ingéniosité pour continuer à apporter un contenu de qualité auprès d’un public qui a bien besoin de se vider la tête.

On remercie enfin Heleni pour son accueil : elle nous offre une magnifique assiette de dégustation pleine de fromage de chèvre frit et de saucissons huilés montés sur des petites brochettes.

C’est le ventre plein de gras qu’on reprend le bus direction Selianitika. On vous déconseille d’ailleurs de partir sur les routes de campagne grecques en car après avoir ingéré un tel festin. Le groupe de journalistes descendra à Katamaran pour assurer la rencontre avec un ancien député de Siryza et assister à la fin des concerts de nos groupes dijonnais.

– Sophie Brignoli, à Selianitika.

Photos : Roxanne Gauthier et Dr. Larry (n&b)